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Vie des entreprises

Y a-t-il une vie après l’humanitaire ?

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.05.2010 | Stéphanie Cachinero

Pour les expatriés des ONG, le retour sur le marché du travail est difficile. Mais les entreprises commencent à s’intéresser à leurs profils.

La gestion du retour n’est paschose aisée pour les ONG. Elles sont, par nature, déconnectées de la réalité du marché de l’emploi. Pour elles, l’entreprise fait office de véritable ovni », explique Marie-Cécile Desalbres, ancienne volontaire et responsable associée du cabinet de consultants et de conseil Solidarité & Expertise qui, depuis 2009, a vu défiler plus de 300 ex-humanitaires comme consultants.

La professionnalisation grandissante que connaît le secteur ne change rien à la donne. Le couplet reste le même : pas facile de rebondir après avoir donné de son temps et de sa personne à l’autre bout du monde, souvent dans des conditions d’extrême urgence. « Chaque jour ouvrable, c’est un nouvel adhérent qui nous rejoint », constate Éric Gazeau, membre fondateur de Résonances humanitaires, association d’aide au retour des humanitaires de terrain. En effet, dans nombre d’organisations non gouvernementales, fin de collaboration est souvent synonyme de rupture radicale pour les quelque 2 500 bénévoles qui s’investissent, chaque année, dans l’action humanitaire via un contrat de volontariat de solidarité internationale (VSI). Sans oublier les milliers d’autres, non quantifiés, qui partent en CDD.

Aucune réciprocité

Les ONG ont une tendance à l’amnésie, sélective. « Les expatriés sont au service des ONG sans qu’il n’y ait aucune réciprocité », pointe du doigt Marie-Cécile Desalbres. Raison pour laquelle Julien Roufast, chef de travaux chez Bouygues Bâtiment IDF Habitat social, s’est senti « laissé-pour-compte » après cinq ans de missions sur le terrain, au Mali ou encore en Équateur, sous la bannière, entre autres, de l’agence onusienne United Nations Office for Project Services et de Handicap international. « Quand je suis revenu en France, la seule chose qui m’a été proposée, c’est un débriefing avec un psychiatre. Je n’ai reçu aucun autre type d’aide. Pourtant, la plupart des ONG connaissent le contexte » et les difficultés rencontrées par nombres d’humanitaires qui décident de décrocher. Mais là n’est pas leur vocation.

Responsabilité de l’employeur

En méconnaissance de l’article 4 de la loi du 23 février 2005 relative au contrat de volontariat de solidarité internationale, des voix internes à la Croix-Rouge française affirment tout haut ce que les autres pensent tout bas : « Le reclassement n’est pas de la responsabilité de l’employeur. » Aucun doute pour l’association. Le retour est conditionné par la bonne intégration sociale et l’employabilité du candidat à l’aventure humanitaire. C’est sur ce constat que la Croix-Rouge française fonde sa stratégie d’expatriation : « Il n’est pas question pour nous de faire partir des personnes dépourvues d’une première expérience professionnelle. En cela, nous avons conscience de cette problématique du retour, mais ce n’est pas notre problème. » Autre particularité à la Croix-Rouge : pas de volontariat. Leurs expatriés – entre 130 et 150 départs par an – quittent le territoire hexagonal sous le statut de salarié, en CDD renouvelable au gré des besoins des missions engagées. Une politique qui donne droit à une meilleure rémunération, une à deux fois le smic, sans compter les avantages sur le terrain : prise en charge du logement, moindre coût de la vie sur place. Mais ce n’est pas tout. Car qui dit contrat de travail dit cotisations sociales, droit à la formation professionnelle et à l’assurance chômage. De quoi envisager le retour en France avec plus de sérénité.

Un CDD au bout de deux ans de volontariat

Au sein d’Action contre la faim ou de Solidarités International, cette sécurité contractuelle n’est pas une évidence. Dans ces structures non gouvernementales de solidarité internationale, 65 à 70 % des humanitaires – environ 200 pour chacune d’elles – bénéficient d’un CDD. Mais ils n’y accèdent qu’au bout de deux ans de bons et loyaux services volontaires, avec pour seuls revenus une indemnité dérisoire comprise entre 800 et 900 euros par mois. Cette perspective de contrat est un moyen comme un autre de fidéliser les bonnes âmes en mal d’évasion. « Ce n’est pas si facile de trouver des personnes prêtes à affronter des situations d’urgence dans un contexte d’extrême misère. L’être humain n’est pas fait pour ça. C’est pour cette raison que les ONG n’ont qu’une envie : garder leurs humanitaires pour les faire repartir », constate Marie-Cécile Desalbres.

Résultat, mieux vaut pour les expatriés de la solidarité internationale ne pas trop compter sur leur association afin de rebondir sur le marché du travail. Julien Roufast ne s’est d’ailleurs jamais fait d’illusions à ce sujet. « Je savais que je n’allais avoir droit à aucune prestation en rentrant. J’étais désœuvré. Et un dimanche matin, alors que mon mandat au Pakistan touchait à sa fin, je me suis mis à taper des mots-clés sur un moteur de recherche. Là, je suis tombé sur Résonances humanitaires [RH]. La rencontre avec les membres de cette association a été décisive. Ils m’ont aidé à mettre en avant mes compétences, acquises au cours de mes expériences à l’étranger, et à traduire mon CV dans un langage intelligible dans le privé. » Après traduction, le « chef de mission » devient par exemple directeur de projet, l’« administrateur » responsable administratif et financier. « Il existe de vraies passerelles entre le monde de l’entreprise et le secteur de l’humanitaire. Mais encore mal connues. La conseillère qui m’a reçue à Pôle emploi était désarmée. J’ai managé des équipes allant jusqu’à 250 personnes et j’ai dû gérer des budgets de plusieurs millions d’euros. Malgré mes compétences clairement identifiables, je ne rentrais pas dans ses cases », s’amuse Élise Briançon, aujourd’hui chargée de projets chez l’opérateur de transport public de voyageurs Transdev. « Résonances humanitaires a été la clé de ma réintégration », insiste-t-elle.

À la SNCF, on est sensible à la “débrouil lardise” et aux “qualités managériales” des humanitaires
Réseaud’anciens

En moyenne, ce sont près de 300 ex-humanitaires par an qui viennent chercher un soutien auprès de RH, dont le réseau d’anciens compte plus de 600 adhérents. Les résultats sont probants, « 75 % de nos visiteurs retrouvent un emploi qui leur convient en moins de huit mois », précise Éric Gazeau. Partenaire de Solidarités International, de la SNCF, de Bouygues Bâtiment IDF Habitat social…, cette association n’a que peu d’équivalent en termes de reclassement. Les humanitaires aspirant à une vie plus stable ne sont pas les seuls à se tourner vers elle. Les DRH d’ONG aussi. Interpellé par le devenir post missions de ses collaborateurs, Jean-Christophe Lallau, de Solidarités International, a fait le choix de l’externalisation. C’est « le manque de temps et de savoir-faire » de sa structure en la matière qui a fait pencher la balance. Côté entreprises, les mentalités changent et les profils humanitaires deviennent prisés.

L’image du baba cool désireux de sauver la veuve et l’orphelin commence à s’estomper. Ainsi, Frédéric Sénéchal, DRH de Bouygues Habitat social, apprécie chez ces jeunes ex-humanitaires (dont 70 % ont un niveau de diplôme d’au moins bac + 4) leur capacité d’avoir « pris le temps de donner du sens à leur vie, à avoir offert de leur temps et de leurs compétences à des populations en détresse ». A fortiori, « ils reviennent enrichis d’un métissage culturel », s’enthousiasme Frédéric Sénéchal. Depuis le début 2009, il a recruté près d’une quinzaine de jeunes retraités de l’humanitaire.

La SNCF commence aussi à s’intéresser à ces jeunes « tournés vers les autres, ayant le souci de l’humain et du service rendu ». Serena Krakovitch, responsable du recrutement et de l’évaluation des cadres à la SNCF, avoue être sensible à la « débrouillardise » et aux « qualités managériales » des humanitaires. Pour 2010, elle envisage de recruter 250 cadres environ et n’exclut pas de faire appel à des jeunes diplômés armés d’une expérience de solidarité réalisée dans de lointaines contrées. Son idée : les orienter vers des postes de manager dans le ferroviaire ou l’équipement, souvent en proie à des conflits sociaux d’ampleur et des situations de crise. Des profils qui n’ont plus grand-chose à voir avec ceux des vieux baroudeurs trop « abîmés » par le terrain ou restés trop d’années à l’écart du marché du travail traditionnel.

Le statut des expats de l’humanitaire

Solidarités International

Nombre de volontaires : 200, 70 % CDD, 30 % VSI. Programme de reconversion externalisé.

Action contre la faim

Nombre de volontaires : 200, 65 % CDD, 35 % VSI. Pas de programme de reconversion.

Croix-Rouge française

Nombre de volontaires : de 130 à 150, 100 % CDD. Pas de programme de reconversion.

Acted

Nombre de volontaires : 154, 30 % CDI, 70 % CDD. Pas de programme de reconversion.

Première Urgence

Nombre de volontaires : 100, 100 % CDD (en VSI seulement pendant la période d’essai). Pas de programme de reconversion.

Médecins sans frontières

Nombre de volontaires : 1337 (en 2008), 100 % en congés sans solde ou en congé de solidarité internationale (CSI) la première année, puis possibilité de passer en CDD, voire en CDI. Formations proposées pour évoluer en interne. Programme de reconversion externalisé.

Médecins du monde

Nombre de volontaires : 134 (en 2009), 72,4 % en VSI, 27,6 % en CDD (pour la majorité) et en CDI. Pas de programme de reconversion mais un guide du retour édité par le Comité de liaison des ONG de volontariat (Clong).

Unicef : un quart de fonctionnaires

S’il devait être un statut en or pour les humanitaires, ce serait celui de fonctionnaire international. À l’Unicef, la pratique est courante. Mais les places sont chères. Sur les 10 000 collaborateurs de l’agence onusienne spécialisée dans la défense des droits de l’enfant, seuls 2 500 se voient dotés de ce titre, à raison de 100 à 250 embauches par an. Côté turnover, le pourcentage oscille entre 5 et 10 %.

Les recrues, issues des quatre coins du monde, affichent au minimum un bac + 4 et cinq ans d’expérience. Leur anglais est parfait. La maîtrise du français et de l’espagnol est courante. Ce niveau de compétences justifie une rémunération alléchante : entre 30 000 dollars (22 000 euros) et 200 000 dollars (147 000 euros) brut annuels. Et, pour les missions supérieures à deux ans, les convois familiaux n’ont rien d’exceptionnel. La recherche du bien-être est de mise. « Nos fonctionnaires alternent des missions en situation d’urgence et en zone de paix. Quand une bouffée d’air devient nécessaire, nous les envoyons temporairement, voire définitivement, au siège de l’ONU à New York ou à Genève, ou encore à Copenhague, dans notre centre d’achats et logistique », explique Antoine Dernis, administrateur d’Unicef France et ancien DRH d’Unicef international.

Pour orchestrer ces va-et-vient incessants – 30 % de rotation chaque année –, l’Unicef compte sur sa « cellule de développement de carrières ». Mais, depuis une dizaine d’années, le défenseur de la cause enfantine préfère les CDD, calés sur la durée des missions, aux rassurants CDI.

Auteur

  • Stéphanie Cachinero