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Vie des entreprises

Des camps de travail chinois très rentables

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.05.2010 | Émilie Torgemen, à Shanghai

Travail forcé et mauvais traitements sont la norme dans les camps chinois. Selon les défenseurs des droits de l’homme, leur production continue à être exportée malgré l’interdiction officielle.

Jetravaillaisde 7 heures à 20 h 30 presque chaque jour. Le dimanche, jour de repos, nous retournions très souvent dans l’atelier pour finir les commandes à temps », raconte Cai Wenjun*. Cette Shanghaienne de 51 ans a passé un an dans un camp laojiao (système de rééducation par le travail) en 2004 puis de nouveau dix-huit mois à partir de 2006 pour avoir protesté contre la destruction de sa maison. Son salaire symbolique, 0,3 cent par jour, partait immédiatement dans les repas. Serrés dans des chambres avec ou sans couchage, interdits de sortie, punis parfois simplement parce qu’ils ne se tenaient pas droits, les anciens prisonniers des camps chinois décrivent des conditions de travail et de détention terribles.

Tan Lanjun, petite femme de 65 ans, s’est irrémédiablement abîmé les yeux lors de son séjour en camp, faute de protection quand elle manipulait des colles toxiques pour fabriquer des bols laqués. « Je devais rester assis sur une petite chaise sans bouger de longues heures quand je n’arrivais pas au bout de mes 100 chaussures à coudre par jour. Tous mes muscles me faisaient souffrir », se souvient Zhu Hui, enfermé entre 2004 et 2006. Dans le camp numéro trois de Qingpu, cet ancien paysan raconte avoir notamment fabriqué des sacs promotionnels avec le logo L’Oréal ou des chaussures Daphné, une marque très connue en Chine. Alors que la loi chinoise interdit l’exportation des produits des camps de travail, ces trois anciens détenus rapportent tous qu’une partie des décorations de Noël, jouets, circuits électroniques qu’ils fabriquaient étaient vendus à l’étranger. Les gardiens ne s’en cachaient pas.

Millions de travailleurs

170 000 opposants politiques, dissidents, activistes tibétains ou simples prisonniers de droit commun seraient internés dans les camps de travail chinois, selon Pékin, qui ne comptabilise que le laojiao. Ils seraient 3 à 5 millions (dont 1,5 million dans le laojiao) selon Harry Wu, le plus célèbre ancien détenu des camps laogai et créateur de la Laogai Research Foundation. Après dix-neuf ans de camp pour avoir critiqué l’invasion de la Hongrie en 1960, il a trouvé refuge aux États-Unis puis est revenu en Chine trente ans plus tard pour filmer la réalité des camps. « Les chiffres dépendent de ce que l’on entend par camp de travail, il faut savoir que le travail forcé est la règle pour l’ensemble du système carcéral chinois », précise Wang Songlian, de l’association Chinese Human Rights Defenders.

Le laogai a été créé par Mao sur le modèle du goulag soviétique pour enfermer les « éléments hostiles » au communisme. Son principe est double : réformer et produire. Le travail dans les camps doit à la fois rendre les prisonniers meilleurs et participer à l’économie du pays. Les détenus travaillent dans les champs de thé, dans les mines de charbon comme dans l’ensemble des usines du made in China. « Depuis 1994, le terme laogai a été remplacé par celui de prison, plus anodin, mais la situation est très différente de celle des pénitenciers américains. Les prisonniers chinois peinent un nombre d’heures considérable, souvent sans protection élémentaire et sans contrôle », déplore Joshua Rosenzweig, directeur à Hongkong de l’association Dui Hua. Ce qui explique les abus.

Le débat sur les camps a récemment rebondi sur le Net après plusieurs décès suspects. C’est le cas du père de Xiong Yuping, officiellement mort d’une crise cardiaque dans un camp de l’ouest de la Chine. « Nous sommes allés chercher son corps, les gardiens ont refusé ; nous avons demandé une autopsie, le camp a fini par l’incinérer sans notre autorisation », raconte la jeune femme, persuadée qu’il a été battu à mort. L’homme de 65 ans avait été arrêté comme adepte du falun gong, considéré par Pékin comme une secte dangereuse.

Certains prisonniers sont jetés en camp de travail sans jugement. C’est le cas pour les internements dans le cadre du laojiao. Cette peine administrative de quatre ans maximum a été créée pour les petites infractions. La police peut, seule, enfermer ; les recours administratifs sont très peu efficaces. Triste paradoxe, cette punition est plus terrible que bien des peines encourues dans le système criminel. Les associations de défense des droits de l’homme dénoncent un moyen discret de faire disparaître tous ceux qui dérangent. Par ailleurs, les prisonniers du laojiao, non jugés, ne sont pas couverts par les traités internationaux, et les biens qu’ils fabriquent n’entrent pas dans les accords bilatéraux sur les produits du travail forcé.

Depuis la politique d’ouverture initiée par Deng Xiaoping en 1979, l’accent s’est porté sur la production de biens plus que sur la « réforme » des prisonniers. Les prisons et les camps, en grande partie coupés de leurs subventions publiques, signent désormais des contrats avec des entreprises qui leur sous-traitent le travail intensif en main-d’œuvre.

Absence de procès

Chaque prison est aussi une entreprise, parfois très rentable. Selon la Laogai Research Foundation, qui traque les raisons sociales des prisons, la prison de Jinzhou, dans la province du Liaoning (nord-est), est aussi connue sous les noms de Jinzhou Switch Factory et Jinzhou Jinkai Electrical Group. En 2003, elle avait un chiffre d’affaires de plus 30 millions d’euros ; en 2006, elle était récompensée comme l’une des dix « meilleures entreprises » de la municipalité.

Malgré l’interdiction légale, l’exportation des produits des camps de travail chinois continue. « Plus de 300 camps de travail sont répertoriés sur la base de données de la société de conseil Dun & Bradstreet, rapporte Harry Wu. Il ne s’agit sûrement que d’une petite partie des camps qui exportent. Les produits vendus via différents intermédiaires sont très difficiles à tracer. »

Les associations de défense des droits de l’homme estiment que la pression internationale porte ses fruits, et les produits des camps semblent de moins en moins sortir des frontières. En Chine, des avocats proposent au Congrès du peuple de supprimer le laojiao. À l’instar de Hu Xingdou : « La réforme par le travail, d’accord, mais s’il ne s’agit pas de travail forcé, si les prisonniers sont traités humainement. » Dur combat. Tant que le gouvernement chinois privilégiera la stabilité sociale, le laojiao restera un outil difficile à supprimer.

* Les prénoms ont été modifiés.

LAOJIAO : rééducation par le travail. Peine administrative pour les petits délits. Ce système qui permet d’enfermer des individus sans les juger s’oppose aux conventions internationales et même à la Constitution chinoise.

LAOGAI : réforme par le travail. Officiellement, le terme n’est plus utilisé depuis 1994. Avec son lot de travail forcé et de conditions de détention très dures, il englobe différentes formes d’enfermement : des prisons ou hôpitaux psychiatriques en passant par le laojiao.

Auteur

  • Émilie Torgemen, à Shanghai

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