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Politique sociale

Les départs anticipés ne battent pas en retraite

Politique sociale | publié le : 01.05.2010 | Anne Fairise

Débat sur le recul de l’âge de la retraite, mesures de maintien dans l’emploi… Rien n’y fait : au moindre cahot, les ? entreprises poussent les seniors vers la sortie. En profitant des dispositifs encore existants.

Schizophrénie ou hypocrisie totale ? Alors que les débats sur le recul de l’âge légal de la retraite à plus de 60 ans batent leur plein, les entreprises continuent allégrement à se séparer de leurs salariés dès 55 ans. Chez Sanofi-Aventis, les ultimes pots de départ des 1 300 chercheurs et employés quinquagénaires, qui bénéficient depuis fin 2009 d’une préretraite maison, n’ont pas encore eu lieu ce mois-ci que le géant pharmaceutique boucle un second plan, concernant 650 à 800 ouvriers des sites de Romainville (Seine-Saint-Denis) et Neuville-sur-Saône (Rhône). Michelin supprime 1 093 postes d’ici à 2011 ? Près de la moitié le sera par des mesures d’âge. L’équipementier Bosch à Vénissieux restructure ? Il proroge le dispositif de retraite anticipée… initié en 2006. Et la liste n’est pas exhaustive.

Pas de quoi faciliter la conversion des esprits à l’allongement de la vie active, comme le prône le gouvernement, obsédé par la stagnation en dessous de 40 % du taux d’emploi des 55-64 ans. Dans sa besace, plein d’arguments de bon sens, à commencer par l’impact sur le financement de la protection sociale. En guise d’aiguillon, depuis trois ans, une flopée de mesures ont été prises afin de contraindre les entreprises à garder leurs cheveux gris. De la taxation alourdie des allocations de préretraite d’entreprise à l’interdiction faite aux DRH de mettre d’office leurs seniors à la retraite avant 70 ans. Depuis janvier, ils doivent aussi avoir signé un accord, ou a minima engagé un plan d’action, sur l’emploi des seniors sous peine de lourde amende (1 % de la masse salariale). « En enclenchant cette dynamique dans un contexte de crise, le gouvernement n’a pas cédé à la facilité », s’enthousiasmait récemment le secrétaire d’État chargé de l’Emploi, Laurent Wauquiez.

Mais, sans surprise, le contenu des accords ne transpire pas l’enthousiasme (voir encadré p. 26). « Il y a un fossé entre les discours des politiques, des confédérations syndicales ou du patronat sur le vieillissement actif et la réalité dans les entreprises », note Delphine Vegas, consultante chez Sextant. Les experts ont, depuis longtemps, qualifié ce mal tricolore : « consensus paradoxal », diagnostiquait Xavier Gaullier, sociologue au CNRS, « faux consensus », renchérit Guillaume Huyez-Levrat, chercheur au Centre d’études de l’emploi. Car, sur le terrain, employeurs, syndicats, salariés, pouvoirs publics ont toujours de bonnes raisons à invoquer pour considérer les plus âgés comme première variable d’ajustement : leur souhait de partir, l’usure, la pénibilité du travail, la paix sociale, les embauches que les départs anticipés devaient (hier) autoriser, les emplois qu’ils doivent (aujourd’hui) permettre de sauvegarder… La crise n’arrange rien, qui a vu se multiplier les licenciements ou les plans de départs volontaires ouvrant des boulevards aux seniors. Révélateur, la part des 55-64 ans au chômage (3,2 % fin 2009) est en nette hausse. Du jamais-vu depuis 2003 !

Chez HP-EDS, les plus de 57 ans représentaient plus de 40 % des 651 ? volontaires au départ, en train de quitter la SSII. « En autorisant, dès fin 2008, des plans massifs de départs volontaires chez ArcelorMittal, PSA, Renault, qui se résumaient pour l’essentiel à des mesures d’âge, le gouvernement n’a pas donné de signes d’intransigeance », ironise un directeur départemental du travail. Tour d’horizon des dispositifs utilisés pour pousser les seniors hors de l’entreprise.

La préretraite d’entreprise espèce menacée. Une rente jusqu’à l’âge du départ à la retraite, financée à 100 % par Sanofi-Aventis. Sitôt annoncée, fin mars, la restructuration de la branche chimie, Philippe Luscan, patron des affaires industrielles, a sorti la vieille recette de la préretraite maison, « conformément à la politique sociale ». Une tradition remontant aux années 80. On en piaffait d’impatience sur les sites industriels, à en croire les syndicats du leader européen de la recherche pharmaceutique. « Voilà longtemps que nous demandions, sans succès, un dispositif prenant en compte la pénibilité. Les mesures d’âge ne sont jamais la panacée, mais ce sont les mieux acceptées par les salariés », souligne Jean-François Chavance, de la CFDT. Elles sont considérées comme un dû, dans le groupe désormais le plus rentable du CAC 40 (8,4 milliards d’euros de bénéfices en 2009), devant Total.

Le renchérissement de la fiscalité sur les allocations de préretraite, visant à en limiter leur attractivité, n’arrête pas Sanofi ou un Michelin, mais il en fait réfléchir bien d’autres. BNP Paribas se refuse à mettre la main au porte-monnaie malgré la pression du SNB CFE-CGC, majoritaire, exigeant des « dispositifs négociés » pour les plus de 55 ans. « Le groupe a les moyens de payer », déplore Roland Roberdeau, son délégué syndical, qui fait le siège de la direction depuis qu’elle a dû enterrer, en janvier, sous la pression de l’ancien ministre du Travail, un plan social dédié aux seniors volontaires ayant ou près d’avoir tous leurs trimestres de cotisation. Un PSE alibi lui permettant de profiter de la défiscalisation des indemnités de départ volontaire en préretraite ou en retraite, seule autorisée dans ce cadre, et ainsi d’amoindrir les coûts… Un contournement intolérable pour Xavier Darcos, qui a alors suggéré une proposition de loi interdisant, dans les entreprises en bonne santé financière, « les plans sociaux s’appuyant sur des départs prématurés de seniors ».

Aux tours de passe-passe fiscaux, certaines entreprises préfèrent la mise à contribution des salariés. Essoré par la crise (cent quarante jours de chômage partiel par salarié sur les sites de production en 2009) et interdit de plan social pour cause d’aide soutenue de l’État, Renault Trucks a suspendu depuis février le contrat de travail de 300 agents de production volontaires, de 57 à 59 ans, et les a renvoyés chez eux jusqu’à la date de leur départ à la retraite, payés 70 % de leur ancien salaire net. « Il fallait concilier une situation économique avec les aspirations des syndicats favorables à un système de préretraite », argumente la direction. La filiale française de Volvo finance la moitié du salaire réduit, le reste l’est par la monétisation du solde des congés, une partie de l’indemnité de départ à la retraite ou un versement du fonds de régulation créé en interne pour compléter le chômage partiel. Mais, pour arrondir les fins de mois, les préretraités de Renault Trucks sont autorisés… à travailler. Un leurre pour la CGT, non signataire de l’accord paraphé par la CFDT, la CFTC, la CFE-CGC et FO : « On est usé lorsqu’on a travaillé pendant trente ans sur une chaîne », maugrée Philippe Perrin, de la CGT.

Du FNE aux préretraites Pôle emploi. Sous le coup de cette fiscalité, les préretraites d’entreprise (qui ont pu représenter, selon l’OCDE, plus du tiers des départs anticipés dans les sociétés de plus de 500 salariés) semblent avoir pris une raclée. « En pleine crise, le renchérissement de la taxation est contre-productif », déplore un syndicaliste. Cela ne facilite pas la tâche des directions départementales de l’emploi, soucieuses d’éviter un report de la prise en charge de l’inactivité des préretraités sur l’assurance chômage. Cela d’autant plus que les préretraites publiques de portée générale, de type FNE, sont quasi éteintes (1766 entrées en 2009) et que les préretraites « Assedic » – c’est-à-dire l’indemnisation sans obligation de recherche d’emploi pour les plus de 57 ans, qui leur permettait de faire la jonction jusqu’à la retraite – sont appelées à disparaître. Après avoir été des années durant une soupape idéale. Fin 2009, 324 300 seniors de 55-64 ans étaient encore indemnisés par l’assurance chômage et dispensés de recherche d’emploi. Depuis janvier, la filière n’est plus accessible qu’à 59 ans, et elle doit disparaître en 2012. « Les représentants syndicaux et les salariés sont avertis de la restriction des conditions d’accès aux dispenses de recherche d’emploi. Cela ne signifie pas pour autant la conversion des esprits », reconnaît Patrick Markey, directeur départemental du travail de Nord-Lille.

Chez Continental à Clairoix (Oise), la plus grande usine fermée depuis la crise, les syndicats, qui ont arraché 114 ? cessations anticipées… à 52 ans dans un accord contresigné par le gouvernement, espèrent bien un traitement de faveur pour leurs préretraités lorsqu’ils intégreront Pôle emploi. « Les conseillers seront obligés de tenir compte de la pénibilité des postes. Trente ans de travail de nuit, c’est sept ans de vie en moins. Ils ne mettront pas la pression sur les Conti », assure Antonio da Costa, délégué CFTC du fabricant de pneus, qui a monté un mécanisme hypercomplexe de préretraite mixant les sources de financement. L’entreprise prend en charge les jeunes quinquas pendant vingt-trois mois, via des congés de conversion rémunérés à hauteur de 68 % de l’ancien salaire net. Puis Pôle emploi assurera le relais, pendant trente-six mois maximum. Et, à 57 ans, si les Conti arrivent en fin de droits et doivent basculer vers l’aide sociale et le RSA, le fabricant versera un capital leur garantissant 80 % de leur salaire jusqu’à la retraite.

Même espoir de traitement de faveur et de dispense de recherche d’emploi, sans engagement aucun, chez les salariés de La Redoute, qui vient de conclure deux plans de départs volontaires pour 250 seniors dès 57 ans, entérinés par tous les syndicats sauf la CGT. « C’est une forme de préretraite cofinancée par l’entreprise et l’assurance chômage. Nous n’en sommes pas fiers, mais ces salariés sont usés et ne retrouveront pas de poste dans le bassin d’emploi sinistré », souligne Jean-Claude Blanquart, délégué CFDT. Les seniors de La Redoute licenciés sont assurés de voir leur indemnisation chômage, calculée sur un maximum de trois ans, complétée par l’entreprise jusqu’à 96 % de leur ancien salaire net. Dans d’autres entreprises, certains syndicalistes assurent avoir décroché des engagements oraux de la part des DDTEFP que leurs seniors seront dispensés de recherche d’emploi. « Pôle emploi a beaucoup à faire, avec la fusion ANPE-Assedic et l’afflux de chômeurs, pour ne pas mettre la pression sur les plus âgés », plaide l’un d’eux. Au risque de déconvenues futures.

Les Conti attendent un traitement de faveur pour leurs préretraités quand ils intégreront Pôle emploi

Providentielles ruptures conventionnelles. Autre brèche dans la volonté publique de réduire les départs anticipés ou leur prise en charge par l’assurance chômage : le nombre important de ruptures conventionnelles de CDI parmi les seniors. Les spécialistes tirent, depuis longtemps, la sonnette d’alarme sur le risque que cette nouvelle rupture du contrat de travail (assurant une indemnisation non assujettie aux prélèvements sociaux, fiscaux et un droit aux allocations chômage) favorise les cessations anticipées. Et s’ajoute aux contournements connus ; par exemple, le déguisement juridique d’une rupture en raison de l’âge en licenciement pour faute (ouvrant droit aussi aux allocations chômage).

Les faits semblent leur donner raison. Chez IBM Ile-de-France, un quart des 57 ruptures conventionnelles accordées en 2009 concerne des plus de 57 ans, selon la CFDT. « Il est anormal qu’IBM détourne ce dispositif en se défaussant de sa responsabilité sur l’assurance chômage », note Jean-Michel Daire, délégué syndical de Big Blue, qui a d’ailleurs sorti fin 2009 un nombre inhabituel de seniors (265)… avant que les mises à la retraite d’office deviennent hors la loi. Certaines directions de Pôle emploi s’en inquiètent aussi. « En 2009, 23 % des chômeurs inscrits à l’issue d’une rupture conventionnelle étaient âgés de 50 ans et plus », pointe la direction de Champagne-Ardenne, alors que, « tous motifs d’inscription confondus, les seniors représentent seulement 10 % de la demande d’emploi enregistrée au cours de la même période ». L’Hexagone n’en a pas fini avec son « consensus paradoxal ».

Jean-Claude Blanquart, DS CFDT La Redoute

“Nous ne sommes pas fiers d’avoir négocié une préretraite cofinancée par Pôle emploi, mais les salariés sont usés.”

Monique Benedetto, ex-conseillère clientèle La Redoute, partie avec le plan de départs volontaires seniors

“Le stress, les objectifs de productivité, l’agressivité des clients… Ce qu’on supporte à 30 ans devient insupportable à 59.”

38,9 %

C’est le taux d’emploi des 55-64 ans en 2009, bien éloigné de l’objectif européen de 50 % en 2010 défini lors du Conseil européen de Lisbonne en 2000. Il était de 37 % en… 2003.

(Source : Insee, Eurostat.)

Accords seniors : une obligation de moyens, pas de résultat

78 accords de branche et 26 000 accords d’entreprise ou plans d’action unilatéraux. Voilà, fin mars, le bilan de la mobilisation des PME en faveur de l’emploi des seniors. L’ampleur réelle de leur « effort » doit être connue le 30 avril, quand celles n’ayant pas mis à profit le délai accordé par le gouvernement régleront une pénalité égale à 1 % de la masse salariale. Qu’importe, Laurent Wauquiez, le secrétaire d’État à l’Emploi, se félicitait déjà de la proportion de salariés du privé couverts (13,4 millions, soit 75 %), espérant, à terme, une couverture de 95 %. Cela ne préjuge en rien d’une explosion à venir du taux d’emploi des seniors. Car les entreprises ne sont pas jugées sur l’évolution de ce taux mais sur l’existence, ou pas, d’un accord ou d’un plan d’action. Bref, elles sont dans une obligation de moyens, pas de résultat.

« Les accords ne sont jamais suffisants pour garantir une politique performante », note Sophie Thiéry, du département audit en responsabilité sociale de Vigeo. Tout dépend du contenu des mesures et de leur déploiement. « Beaucoup d’accords, signés à la va-vite fin 2009 ne sont même pas articulés à la GPEC », déplore Lucie Wozniak, de Syndex. De fait, les employeurs n’ont pas caché leur réticence à aborder l’emploi des seniors, de surcroît en pleine crise, alors que nombre d’entre eux se débarrassaient de leurs anciens. Échapper à la pénalité financière a été le seul aiguillon. « On ne va pas le cacher », expliquait, mi-octobre, la direction de la banque Natixis (6 500 salariés), en proposant en comité central d’entreprise un plan d’action unilatéral (d’ailleurs sous le coup d’un délit d’entrave)… en lieu et place de l’accord envisagé depuis 2007 ! La raison ? Elle ne se voyait pas négocier sur l’emploi des seniors tout en exécutant son plan social incluant des préretraites. HP-EDS, La Redoute, IBM…, bien d’autres n’ont pas eu ce scrupule. De quoi laisser planer des doutes sur la vigueur de leurs engagements. A.F.

554 581

C’est le nombre de seniors de 55-64 ans bénéficiant, fin 2009, de mesures publiques de cessation anticipée d’activité.

Parmi eux :

324 300 chômeurs étaient indemnisés et dispensés de recherche d’emploi, 181 933 seniors avaient anticipé leur départ en raison d’une carrière longue et 48 348 étaient en préretraite totale à financement public.

Il est en chute de 17 % comparé à fin 2008.

(Calcul : Dares.)

6,7 % C’est le taux de chômage des 50-64 ans au dernier trimestre 2009, en hausse de 1,6 point sur un an.

(Source : Insee.)

Auteur

  • Anne Fairise