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Politique sociale

Bilan de santé alarmant pour le Québec

Politique sociale | publié le : 01.05.2010 | Ludovic Hirtzmann

Rien ne va plus dans la Belle Province. Accès aux soins, qualité de la médecine, équipements… Le système de santé est à la fois coûteux et défaillant. Faute de politique cohérente.

Je n’ai pas confiance dans la qualité des soins au Québec. Si j’ai un problème de santé grave, je retournerai en France pour me faire soigner, mais est-ce que la Sécurité sociale française me couvrira ? » questionne Marie, une jeune Française qui habite au Québec. Si le constat est brutal, c’est que des bavures médicales à répétition ont miné la crédibilité du système de santé de la Belle Province.

Le Canada anglais n’est pas épargné. De nombreuses patientes sont décédées ces dernières années lors d’erreurs de diagnostic de cancer du sein. Si, comme beaucoup d’étrangers, Marie s’inquiète de la piètre qualité de la médecine québécoise, la question est presque déplacée puisqu’il est très dur de se faire soigner. « Ce système ne fonctionne pas bien. Le temps d’attente pour une chirurgie est du simple au double par rapport à la France. Ce qui est encore pire, c’est qu’au Québec il est désormais impossible d’obtenir une consultation avec un médecin de famille. Et, sans un généraliste qui vous oriente vers un spécialiste, pas de soins spécifiques », confie le professeur d’économie de l’université de Montréal Claude Montmarquette, spécialiste des questions de santé et P-DG du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations, un think tank montréalais. De 800 000 à 1 million de Québécois, sur les 7,5 millions d’habitants de la Belle Province, n’ont pas accès aux soins. À Montréal, sur la façade d’une clinique du quartier du Plateau-Mont-Royal, une affiche prévient les arrivants : « Nous ne prenons plus de nouveaux patients ». Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Yves Bolduc, dépassé par les événements, a déclaré fin février : « Ce n’est pas dans cinq ans que les choses fonctionneront bien, mais il va y avoir des améliorations progressives. »

Ce discours est celui de tous les ministres de la Santé depuis une quinzaine d’années. Mais aucune politique n’est entreprise. La pénurie de personnel est souvent avancée comme la cause majeure de la faillite du système. Mais si le Québec connaît, comme la France, des déserts médicaux, globalement, la pénurie n’est pas flagrante. « Actuellement, une infirmière travaille en moyenne vingt-huit heures par semaine au Québec. Nous sommes loin d’être débordés », remarque Claude Montmarquette. Le système paie d’abord les erreurs commises au milieu des années 90. Le Québec était alors très endetté. Le gouvernement a fermé du jour au lendemain une flopée d’hôpitaux. Il a mis des dizaines de milliers de personnels de la santé à la retraite. Tout cela sans réflexion préalable. Depuis, rien ne va plus.

Médecins bien payés. La seconde cause de ces dysfonctionnements est aussi affaire de gros sous. Au Québec, mis à part une infime proportion de cliniques privées, la santé est entièrement publique et gratuite. « Le ministère de la Santé assume toutes les fonctions. Il est responsable de l’élaboration des politiques et des programmes, de la répartition des ressources financières et du contrôle de leur utilisation, de l’évaluation du système. Il est à la fois juge et partie », souligne l’ancien ministre de la Santé Claude Castonguay dans un rapport sur la pérennité du système de santé.

Dans les Invasions barbares, le réalisateur Denys Arcand dénonce la puissance des syndicats. « Les hôpitaux constituent le seul secteur d’activité financé directement par les fonds publics qui échappe à toute évaluation réelle de performance », note Claude Castonguay, 81 ans et l’un des pères du système actuel de santé. De nombreuses voix s’élèvent pour que le gouvernement procède à des investissements massifs afin de renouveler les installations hospitalières. « Certains hôpitaux sont en ruine… Les matériels et les infrastructures sont désuets », relève Claude Montmarquette. L’opinion reproche au gouvernement de favoriser les praticiens au détriment des équipements. Les médecins, qui demandent d’importantes augmentations pour le printemps, bénéficient pourtant déjà de confortables rétributions. Le salaire d’un généraliste est 15 fois plus élevé que celui d’un travailleur payé au salaire minimum. Il perçoit en moyenne 250 000 dollars canadiens (183 300 euros) par an contre 350 000 dollars (256 400 euros) pour un spécialiste.

La marge de manœuvre des autorités demeure faible. La santé dévore près de la moitié du budget du gouvernement, soit 26,7milliards de dollars (19,7 milliards d’euros). Le professeur d’économie pense que la seule solution serait d’ouvrir la porte au secteur privé. Les Québécois ne sont pas au bout de leurs peines. Gaétan Barrette, le tout-puissant président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec, qui est pressenti comme futur ministre de la Santé, a proposé des solutions pour le moins étonnantes dans une longue tribune publiée dans le quotidien montréalais le Devoir : « L’argent est là… Il faut taxer les biens de luxe ou nocifs pour la santé et s’assurer d’éliminer les abus dans la construction des routes au Québec. »

2,1 C’est le nombre de médecins pour 1 000 habitants au Québec (2007), contre 3,1 pour l’OCDE et 3,4 pour la France. Moyenne d’âge des médecins : 52,3 ans.

19,7 milliards d’euros sont consacrés à la santé, soit 44 % du budget total du Québec (2009).

146 euros par an et par habitant seront désormais prélevés par le gouvernement pour financer le système de santé.

Sources : Institut de la statistique du Québec, Institut canadien d’information sur la santé.

Médecins français malvenus

Malgré des accords franco-québécois signés en grande pompe en octobre 2008 afin que médecins québécois et médecins français puissent exercer sans contrainte sur le continent de leur choix, les seconds ne peuvent toujours pas travailler au ? Québec. « C’est plus compliqué pour un médecin français d’exercer au Québec. Nous ne sommes pas au bout du chemin. Les ordres professionnels québécois sont très susceptibles sur cette question », a confié, lors d’une visite à Montréal, le secrétaire d’État chargé de l’Emploi, Laurent Wauquiez. Ces ordres sont en effet souverains et très réticents à l’idée d’accueillir des nouveaux venus. D’autant que les Français sont davantage demandeurs que leurs homologues québécois. Mais si les praticiens québécois peuvent travailler en France sans conditions préalables, les médecins français doivent effectuer de multiples stages et examens pour exercer dans la Belle Province. « Les Français ont fait preuve de négligence et, disons-le, ils se sont fait avoir », conte le docteur François Lubrina, représentant des Français de l’étranger à Montréal. La ministre de l’Immigration et des Communautés culturelles du Québec (MICC), Yolande James, tempère : « Il y a eu un effort du Collège des médecins. Nous sommes pressés, mais il faut faire les choses correctement. » En attendant, les médecins français déménagent dans les provinces du Nouveau-Brunswick ou de l’Ontario, plus accueillantes. Yolande James laisse entrevoir une lueur d’espoir : « On souhaite que l’ensemble des ententes professionnelles soient entérinées avant la rencontre qui aura lieu cet automne à Paris entre les Premiers ministres français et québécois. »

Auteur

  • Ludovic Hirtzmann