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Métropoles

Des stratégies différenciées face à la crise

Métropoles | publié le : 01.05.2010 | Laure Dumont

Dans l’industrie, la plus touchée par la crise, les grandes entreprises ont eu recours à la formation et au chômage partiel pour maintenir les gens en poste. L’agroalimentaire et les services ont bien tenu le coup, déployant même des stratégies de fidélisation des salariés.

Pour les entreprises de la région nantaise, la crise a opéré un renversement brutal. « La Loire-Atlantique était très dynamique jusqu’en septembre 2008, raconte Michel Bentounsi, directeur départemental du travail, avec une forte tension sur les recrutements, y compris à Saint-Nazaire où nous avions lancé un plan d’action ambitieux, baptisé 6 000 Compétences. La crise est venue percuter cela. » Airbus a subi de nombreux reports de commandes, et STX (les ex-Chantiers de l’Atlantique), deux annulations et deux gels. Or, comme on dit dans la région, « quatre commandes aux Chantiers, c’est du travail pour deux ans ». Non seulement il a fallu laisser tomber un programme qui visait à recruter des milliers de personnes pour alimenter en nouveaux emplois STX et Airbus, les plus gros donneurs d’ordres locaux, mais encore en prendre le contre-pied total.

Secrétaire régional de la CFDT, Laurent Berger a pris son bâton de pèlerin pour proposer aux partenaires sociaux et aux acteurs économiques et politiques un plan de formation visant à réorienter la filière navale vers l’éolien et l’offshore. En juin 2009, une charte tripartite pour le développement de la formation professionnelle a été signée avec l’État et la Région. Cent entreprises l’ont paraphée, s’engageant à préparer leurs personnels à travailler sur de nouveaux métiers. Chez STX, 2200 personnes sont concernées par ce plan financé par l’État, la Région et la branche. Réunis au sein d’une structure appelée Neopolia, les sous-traitants devraient aussi y être associés. Mais STX n’a pu faire l’économie d’un plan comprenant 350 départs volontaires, essentiellement des ouvriers.

Globalement, 2009 restera une année noire pour les PME de la troisième région industrielle de France, la troisième aussi dans le recours au chômage partiel. L’usine nantaise de Goss (300 personnes), fabricant de machines d’imprimerie, a fermé. MTTM (700 salariés), spécialisé dans la logistique industrielle et portuaire, a supprimé 40 postes. Chez Manitou, un champion de la machine de chantier, 680 personnes sur 2600 sont parties en 2009. Les salariés maintenus en poste ont été mis au chômage partiel une semaine sur deux et ont pu suivre une formation d’au moins deux semaines par personne. « Pour l’instant, le réseau de PME qui dépend de nous a bien tenu, indique Jérôme Tertrais, DRH de Manitou. Nous avons beaucoup déstocké en 2009 et la production repart. » Chez Pilote, spécialiste du camping-car, on veut aussi rester optimiste. Échaudé par une délicate sortie de crise en 1994, le P-DG, Philippe Padiou, a choisi de préserver les emplois par la formation. Début 2010, il était déjà question de réembaucher. « Ce qui est difficile, note Bruno Hug de Larauze, P-DG de MTTM et président de la CCI, c’est que nous sentons que nos clients sont perturbés sur leur propre modèle. »

Dans l’industrie, l’agroalimentaire se porte bien. Certes, le raffinage du sucre chez Tereos a cessé en juin dernier, mais les élus locaux se sont battus pour que cette entreprise maintienne son activité de conditionnement sur l’île de Nantes. Surtout, des PME surfent sur les nouveaux modes de consommation. C’est le cas de Tipiak (1 200 salariés) qui fait un tabac avec ses plats préparés, ou encore de la coopérative Terrena (1 100 salariés, 1,2 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2008), tandis que l’usine LU de La Haie-Fouassière poursuit la tradition locale de la biscuiterie en modernisant et en augmentant ses lignes de fabrication. « Ces entreprises se démarquent par une grande capacité d’innovation sur les produits et sur leurs processus industriels. Mais elles travaillent aussi beaucoup sur leur organisation et leur management, explique François Chatard, directeur régional d’Altedia Ouest. Dans ce secteur, le marché de l’emploi est souvent tendu. Nous peinons à trouver des candidats de valeur, notamment sur certains postes d’expertise, de R & D, de chefs de produit marketing de haut niveau. »

Mais l’avenir est en marche pour relayer ces industries historiques, nées de l’activité portuaire. La banque, l’assurance et les services aux entreprises, sans oublier les biotechnologies autour de champions internationaux comme Biomatlante ou Eurofins Scientific, poursuivent leur développement. Leur dynamisme permet à la ville d’amortir les effets de la crise.

Nantes est à présent la troisième place financière française en termes d’emplois et l’une des capitales informatiques du pays. La SNCF, La Banque postale, la Société générale ou BNP Paribas y ont délocalisé des pans entiers de leurs activités informatiques ou financières. Malgré la proximité de Niort, le secteur mutualiste arrive aussi dans l’estuaire. Fidélia, assisteur du groupe Covéa, a ouvert une filiale le 1er avril. « Cette ouverture représente pour l’instant 80 CDI avec un renfort de 80 saisonniers, note Caroline Le Pen, RRH du site nantais, et, d’ici à 2013, 300 permanents et 100 saisonniers. »

Pour répondre aux besoins de ces entreprises, les grandes SSII, de Capgemini à Steria, ont créé des filiales à Nantes. Mais une myriade de PME leur font concurrence dans un esprit RH innovant afin de fidéliser des salariés très volages. « Chez Néo-Soft (450 personnes à Nantes et à Rennes), nous prenons le pari qu’il va être de plus en plus difficile de recruter des ingénieurs, affirme Franck Gascard, le directeur de la filiale nantaise. Chez nous, les gens ne sont pas des numéros, nous voulons remettre l’ingénieur au centre de nos préoccupations. Nous avons supprimé la clause de mobilité et assurons à nos salariés des missions à proximité de leur domicile. »

Pour Sneda (137 personnes), spécialisé dans la conception de logiciels pour l’immobilier, 2009 a été un cap difficile. Mais Paul Maillot, le P-DG, a misé sur la pérennité : « Nos collaborateurs ont accepté de renoncer ponctuellement à leurs primes de fin d’année et de gros efforts ont été faits sur les frais généraux mais, parallèlement, nous avons maintenu les investissements et les embauches. » Sneda a également signé un accord ambitieux sur le télétravail en 2006, dont 34 salariés profitent aujourd’hui. Chez Proservia, SSII créée en 1994 par un autodidacte, Thierry Congard, le DRH propose aux 820 salariés un dispositif individualisé de formation et d’évolution interne, appelé plan de carrière prédéfini, ou encore contrat de nouvelle orientation.

Formation et compétences. Ces deux mots-clés caractérisent la dynamique de la métropole. La ville a bâti en vingt ans un pôle de formation initiale de haut niveau en lien étroit avec les entreprises. « Le tissu de PME comprend beaucoup de cadres de niveau bac + 2 qui ont démontré leur potentiel mais qui n’ont pas la maîtrise des fondamentaux pour continuer à progresser, note Laurence Crespel, directrice de la formation continue chez Audencia. Nous avons un rôle à jouer pour ces personnels très techniques qui ont besoin de développer leurs compétences managériales. » Ce département de l’école de management créé en 2001 travaille aujourd’hui pour 40 % avec des entreprises de la région.

Parallèlement, Nantes manque de multinationales offrant des postes de haut niveau. Les élèves des grandes écoles s’en vont leur diplôme en poche et les cadres confirmés qui arrivent ne trouvent pas toujours, sur la durée, les opportunités qui boosteront leur carrière. Une situation qui montre qu’à Nantes le marché de l’emploi n’a pas encore atteint sa pleine maturité.

2 200 personnes sont concernées par la charte de développement de la formation professionnelle signée par la Région, l’État et une centaine d’entreprises

Un tissu de réseaux efficaces

Lieu de rencontres, Nantes a développé un tissu de réseaux inhérent à son dynamisme économique. « Notre situation géographique fait que nous n’avons jamais rien attendu de l’extérieur, explique Jacques Floch, président du think tank Kervégan. Il y a toujours eu l’idée que si l’on veut continuer à exister, il faut que l’on s’organise. » Avec ses 115 membres, le CJD de Nantes est l’une des sections françaises les plus importantes et actives. Ce cercle, présidé par Didier Hervaux, est très influent. Si les commissions de travail planchent sur des thèmes attendus, comme la performance globale ou les outils financiers, la section nantaise s’engage aussi sur le terrain de la solidarité. Depuis quatre ans, elle propose un parcours « Un emploi, j’y crois » avec les maisons de l’emploi pour contribuer à faire baisser le chômage dans les quartiers difficiles. Dans la fibre humaniste, le club Escalade (160 adhérents), présidé par Jean-Pierre Thibaud, apporte une aide aux personnes en difficulté d’intégration dans l’entreprise (chômeurs, handicapés, seniors…).

Du côté de la réflexion et de la formation des dirigeants, le choix est vaste : l’APM compte sept sections à Nantes qui travaillent dans un esprit d’ouverture et de renouvellement des idées. L’ANDRH 44, avec ses 130 membres, est un réseau actif, sous la houlette du consultant Serge Masserot, qui prolonge son action au travers des quatre groupes d’entraînement et de réflexion sur le management (Germe) locaux. Enfin, l’Institut Kervégan, dont le champ de réflexion dépasse l’économique et le social, reste un pilier du paysage nantais. Sur cette terre d’entrepreneurs, la CCI est un acteur puissant, notamment au travers de Creadev, pour les créateurs d’entreprise. En dix ans, 175 entrepreneurs ont été aussi accompagnés par le Réseau Entreprendre Atlantique, qui figure parmi les 10 plus grosses associations de la fédération nationale. Atlanpole incube une soixantaine de projets d’entreprises dans les biotech et l’informatique. En son sein, Atlantic Pionnières est un outil complémentaire pour pousser les projets portés par des femmes. Avec BFN, Créad’elles, Femmes 3 000, les réseaux féminins se multiplient pour contrer une tradition du pouvoir assez masculine. Signe des temps : en juin, une femme – Marie Godart – prendra la présidence du puissant CJD local.

Auteur

  • Laure Dumont