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Vie des entreprises

Recadrer la prise d’acte

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.04.2010 | Jean-Emmanuel Ray

Depuis le revirement du 25 juin 2003, « lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission ». Inconnue il y a dix ans, la prise d’acte a le vent en poupe.

La croissance des prises d’acte reflète, certes, le solide réalisme de salariés docteurs ès rupture façon take the money and run, qui, hier, auraient démissionné mais estiment aujourd’hui avoir tout à gagner et rien à perdre à prendre acte : sur ce dernier point, on ne saurait leur donner tort.

Mais, dans d’autres cas, il s’agit d’un droit de retrait particulier car définitif, en forme de « maintenant, ça suffit ! ». Sur le mode de la guerre psychologique, ces entreprises voulant contraindre le collaborateur au départ se retrouvent alors face à un licenciement automatiquement sans cause réelle et sérieuse : « Si le juge décide que les faits invoqués justifiaient la rupture, il doit accorder au salarié l’indemnité de préavis et les congés payés afférents, l’indemnité de licenciement et les dommages-intérêts auxquels il aurait eu droit en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. » (Cass. soc., 20 janvier 2010.)

EFFET CANADA DRY

La prise d’acte justifiée a donc le goût et la couleur d’un licenciement… mais ce n’est pas un véritable licenciement.

– « Elle produit les effets du licenciement non fondé mais ne constitue pas un licenciement : l’employeur ne peut être condamné au paiement de l’indemnité pour non-respect de la procédure. » (Cass. soc., 16 septembre 2009) : à l’impossible nul n’est tenu.

– Le droit commun de la preuve s’applique : « S’il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués par le salarié, le juge doit considérer que celui-ci n’établit pas les faits qu’il alléguait comme cela lui incombe, et doit le débouter de ses demandes. » (Cass. soc.,, 18 décembre 2007.)

– « La prise d’acte de la rupture par le salarié entraînant la cessation du contrat de travail à son initiative, il n’y a pas lieu d’ordonner à l’employeur de délivrer une lettre de licenciement. » (Cass. soc., 3 février 2010.) Lettre cette fois motivée qui aurait pu, le cas échéant, fonder la rupture.

– À l’inverse de la lettre de licenciement, « l’écrit par lequel le salarié prend acte de la rupture en raison de faits qu’il reproche à son employeur ne fixe pas les limites du litige : le juge est tenu d’examiner les manquements invoqués devant lui par le salarié » (Cass. soc., 10 février 2010).

– Mais l’employeur doit immédiatement délivrer l’attestation Assedic, sans cocher la case « Démission »: sinon le salarié pourra agir en référé pour l’obtenir (Cass. soc., 4 juin 2008).

HABILE DÉMISSION AVEC GRIEFS = PRISE D’ACTE

« Contrairement à ce que Philippe L. tente de soutenir, il n’y a pas de rapport causal entre sa démission et les manquements réels de la société T. à ses obligations d’employeur : il est parfaitement établi que c’est uniquement pour fonder son entreprise le 8 avril 2003 qu’il a démissionné le 5 mars 2003 de ses anciennes fonctions au sein de la société T. » La cour d’Angers n’avait pas été du tout convaincue par Philippe L., démissionnaire invoquant des irrégularités dans le fonctionnement de la société. Et qui, un mois plus tard, avait fondé sa propre entreprise concurrente, mais attendu seize mois pour saisir la juridiction prud’homale.

Le 17 février 2010, la Cour de cassation a enfin rendu justice à cet avisé entrepreneur : « La démission d’un salarié en raison des faits qu’il reproche à son employeur s’analyse en une prise d’acte de la rupture qui produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission. En statuant ainsi, sans examiner l’ensemble des griefs invoqués par le salarié, la cour d’appel a violé l’article L. 1231-1. »

Cet article évoquant simplement les trois modes de rupture du contrat (démission, licenciement et résiliation conventionnelle), la chambre sociale fait là encore œuvre créatrice. Et donne un véritable mode d’emploi aux collaborateurs bientôt concurrents mais voulant garder une bouée de sauvetage si leur petite entreprise venait à défaillir.

FAUTE D’UNE SUFFISANTE GRAVITÉ OU FAUTE GRAVE ?

Sans évoquer le divorce pour faute et sa nécessaire « violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage rendant intolérable la vie commune », quel est le degré de faute patronale pouvant permettre au salarié de prendre acte ?

« La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise », rappelait la chambre sociale, le 9 février 2010, à propos d’un salarié « ayant choqué la pudeur de plusieurs collègues de sexe féminin [sic] en leur adressant des messages électroniques inconvenants ».

Créée le 27 septembre 2007, cette définition a trois avantages : être compréhensible pour les non-juristes, être identique pour les CDD et les CDI, être, enfin, symétrique s’agissant du CDD, toute prise d’acte étant ici exclue puisque la loi elle-même prévoit que seule la faute grave de l’un des contractants permet de rompre avant terme. Alors faut-il en rester aux « manquements suffisamment graves pour justifier la prise d’acte »? Au lieu de créer ce nouveau cas de faute patronale, la chambre sociale, qui, dans son élan finira forcément par contrôler un jour le motif de la rupture, ne pourrait-elle pas reprendre, pour un acte aussi grave, sa si pédagogique définition de la faute grave ?

Définition correspondant par ailleurs exactement à la situation décrite par le salarié : si ce dernier quitte immédiatement l’entreprise, c’est qu’il estime sa situation intenable.

PRÉAVIS ET PRISE D’ACTE : UN OXYMORE ?

Entraînant la cessation immédiate du contrat, rupture sur laquelle le salarié ne peut pas revenir sans l’accord exprès de l’employeur (Cass. soc., 9 décembre 2009), la prise d’acte semble a priori incompatible avec l’exécution d’un quelconque préavis. Si le salarié rompt ainsi, c’est que sa situation est devenue à ses yeux littéralement « insupportable » et que, à l’évidence, il ne pourrait la supporter deux ou trois mois de plus.

Trois conséquences :

1° Si les faits justifiaient la rupture, le juge doit, quoi qu’il arrive, accorder au salarié l’indemnité de préavis et les congés payés afférents (Cass. soc., 20 janvier 2010 : en l’espèce « peu important son état de maladie au cours de cette période »).

2° À l’inverse, lorsque la prise d’acte produit les effets d’une démission, le salarié peut être condamné à indemniser l’employeur pour non-respect du préavis (Cass. soc., 4 février 2009). Pour l’instant ?

3° Et si un collaborateur, peu sûr de son fait et ne voulant pas devoir payer ces dommages-intérêts dans un an, déclare vouloir effectuer son préavis ? Mais lequel ? La durée du préavis de licenciement n’est pas du tout celle de la démission, et le salarié ne va pas avouer que les faits n’étaient pas si graves que cela en proposant d’effectuer ce dernier.

On voit encore plus mal le collaborateur reconnaître lui-même que l’intolérable va être toléré encore un ou deux mois : ce souhait pourrait remettre en cause les fondements de sa rupture… mais aussi parfois permettre, de la part de l’employeur très embarrassé, une dispense immédiate avec paiement intégral.

Là encore, retenir le seuil de la faute grave éviterait donc quelques déconvenues.

L’AUTOLICENCIEMENT NUL DU REPRÉSENTANT DU PERSONNEL

« Les dispositions relatives au licenciement des salariés investis de fonctions représentatives instituent au profit de ces salariés, et dans l’intérêt de l’ensemble des travailleurs qu’ils représentent, une protection exceptionnelle et exorbitante du droit commun qui interdit à l’employeur de rompre le contrat de travail sans respecter le dispositif destiné à garantir cette protection. » (Cass. soc., 2 décembre2009.) Malgréce « statut exorbitant du droit commun », le délégué peut-il prendre acte ? demandait benoîtement un employeur dans son pourvoi jugé le 10 février 2010 :« Si la procédure de licenciement du salarié titulaire d’un mandat électif ou de représentation est d’ordre publique, ce salarié ne peut être privé de la possibilité de prendre acte de la rupture, en raison de faits qu’il reproche à son employeur. » Un délégué peut donc prendre acte : et non seulement au titre de fautes patronales relatives à son contrat, mais aussi à son mandat (ex.: non-versement d’heures de délégation). Ce même arrêt en tire toutes les conséquences, redoutables côté employeur : « Lorsqu’un représentant du personnel prend acte de la rupture, cette rupture produit soit les effets d’un licenciement, nul pour violation du statut protecteur lorsque les faits invoqués par le salarié la justifiaient, soit, dans le cas contraire, les effets d’une démission. » En clair, si les faits sont avérés, effets habituels au titre du contrat (IP + IL + ICP + défaut de cause réelle et sérieuse : soit l’équivalent d’une dizaine de mois de salaire); mais aussi, au titre du statut outragé, versement d’une indemnité équivalente à l’ensemble des rémunérations que le délégué aurait touché jusqu’à la fin de la période de protection (de six à cinquante-quatre mois). Or c’est le contractant-salarié qui peut prendre acte de la rupture de son contrat, le délégué disposant, lui, d’un véritable arsenal pénal et civil pour faire respecter son statut. Si l’employeur a fauté, ce n’est pas sur le terrain de l’éviction illégale d’un délégué, et la large indemnisation au titre du seul contrat paraît alors suffisante. Car, à faute patronale exactement équivalente (ex.: non-versement d’une prime), pourquoi Nestor toucherait six mois d’indemnisation alors que Patrick, son voisin de bureau mais délégué, en touchera six fois plus du seul fait de son statut auquel nulle atteinte n’a été portée ?

En l’absence de toute intervention de l’inspecteur du travail (« l’administration est tenue de se déclarer incompétente pour statuer sur la demande d’autorisation de licenciement sollicitée par l’employeur postérieurement à la prise d’acte », Conseil d’État, 17 décembre 2008), espérons qu’un facétieux délégué n’exige pas en référé sa réintégration. Et surtout que la chambre criminelle, saisie de cet incroyable délit d’entrave à ses fonctions, lui répondra qu’il est rare que la victime puisse ainsi, à son gré et à tout moment, provoquer l’infraction.

FLASH
Summum jus, summa injuria

Un commercial démissionne en invoquant le non-paiement d’une prime puis plaide la prise d’acte. Mais l’employeur ayant réglé la somme en cause, « au moment de la démission il n’y avait plus de différend entre les parties : la cour d’appel a pu en déduire que la rupture s’analysait en une démission ».

Bref, le démissionnaire reste démissionnaire.

Hélas non publié, l’arrêt du 12 janvier 2010 rassurera un peu les entreprises encore sous le coup de ceux du 3 février 2010 : « Tenu d’une obligation de sécurité de résultat en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, l’employeur manque à cette obligation lorsqu’un salarié est victime sur le lieu de travail d’agissements de harcèlement moral ou sexuel exercés par l’un ou l’autre de ses salariés, quand bien même il aurait pris des mesures en vue de faire cesser ces agissements. »

La salariée avait donc pu prendre acte, alors que l’employeur avait immédiatement pris des mesures de protection à son égard et même fait démissionner le directeur en cause. Arrêt allant bien au-delà de ce que veut le droit communautaire (CJCE, 14 juin 2007, C-127/05) et tout à fait désincitatif en termes de prévention.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray