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Politique sociale

L’insertion des handicapés sur le fil

Politique sociale | publié le : 01.04.2010 | Stéphanie Cachinero

Stagnation des aides oblige, les centres de travail réservés aux handicapés doivent de plus en plus compter sur leurs ressources propres. Reportage.

Seul le ronronnement des machines se fait entendre. Chacun exécute sa tâche, avec minutie. Pour Stéphane, Agnès et leurs compagnons de labeur, la journée est studieuse. Déficients intellectuels et visuels à la fois, ils conditionnent des boîtes de punaises et des paires de ciseaux pour Auchan ou Magasins U. Soudain, Fabienne, la monitrice de l’atelier, bondit : un travailleur se met un sac sur la tête, par jeu. « Il faut les surveiller comme le lait sur le feu », souligne-t-elle. La scène peut dérouter. C’est pourtant le quotidien dans l’établissement et service d’aide par le travail (Esat) d’Escolore, dans le Puy-de-Dôme.

Sur l’ensemble du territoire, quelque 1418 Esat accueillent environ 110 000 personnes, soit 17 % de la population handicapée adulte. Près de 80 % d’entre elles n’ont pas le niveau bac.

Les conditions d’entrée dans les ex-centres d’aide par le travail sont strictes. Les candidats doivent disposer d’une capacité de travail inférieure au tiers de la capacité dite normale ou nécessiter la mise en place d’un dispositif de soutien médical, éducatif, social ou psychologique. « De plus en plus de personnes souffrant de problèmes psychologiques ou en rupture sociale nous sont envoyées », constate le directeur d’un Esat. Un confrère puydômois, Laurent Charles, enfonce le clou : « Il y a un risque de dérive quant à la sélection des nouveaux entrants : prendre les personnes les plus performantes pour produire plus. » De quoi compromettre l’insertion par le travail des plus lourdement handicapés. Pour ces derniers, ce sera le « foyer occupationnel », et « ce n’est pas vraiment leur rendre service », s’indigne un cadre d’une structure d’aide par le travail. La mission première des Esat tend à être remise en cause par les impératifs du marché. « Quand on s’adresse aux Esat, il y a une vraie mise en concurrence. On ne fait pas de sponsoring, encore moins de misérabilisme », affirme François Denis, ancien responsable du projet handicap de BNP Paribas et membre du conseil d’administration du Gesat, le réseau national du travail protégé et adapté, qui regroupe des directeurs d’Esat et d’entreprises adaptées (les anciens ateliers protégés, qui emploient au moins 80 % de personnes handicapées).

Concurrence des délocalisations. Mondialisation oblige, les activités de conditionnement industriel, traditionnellement dévolues aux Esat, se délocalisent dans les pays à faible coût de main-d’œuvre. Si le salaire d’un travailleur en milieu protégé n’atteint pas des sommes extravagantes – entre 55 et 110 % du smic –, il n’a évidemment pas de commune mesure avec celui d’un ouvrier chinois. Pis, « nous avons des obligations de production et, de plus en plus, de qualité. Nos travailleurs n’en sont pas toujours capables. Alors on fait quoi ? » s’interroge un chef d’atelier. Et la crise n’arrange rien. Un sondage du Gesat révèle que 59 % des Esat et entreprises adaptées s’estiment touchés, voire très touchés par la crise. Dans ce contexte, les 30 à 40 % d’établissements en déficit chronique ne risquent pas de sortir la tête de l’eau. Partant, il n’y a guère d’autre alternative que la diversification.

L’établissement de Bastille, à Paris, l’a bien compris. Au 29, rue du Faubourg-Saint-Antoine, derrière une colossale porte rouge, se cache une courette protégée par une magnifique verrière signée Eiffel. C’est la terrasse du restaurant La Cour du Faubourg. Midi approche : le rush. Pas moins de 14 serveurs, des travailleurs handicapés souffrant de troubles psychiques, deux moniteurs et un maître d’hôtel pour accueillir les clients. Qui est valide, qui est handicapé ? Ici, difficile de faire la distinction. Près de 180 couverts sont servis entre midi et 14 heures, du lundi au vendredi.

Mais, en dehors de cette activité de restauration, l’établissement réalise du publipostage, du routage par e-mail et du traitement de données informatiques. Organisé en open space, le service bureautique compte une quinzaine d’ordinateurs. Dans le fond, deux colonnes de casiers indiquent le nom des entreprises clientes : la banque Barclays, LU, un opérateur de téléphonie mobile, une marque française de cosmétiques. Des sociétés qui, grâce à ce type de partenariat, peuvent atteindre le quota légal de travailleurs handicapés. À l’étage inférieur, un atelier de couture, l’activité historique du centre. Elle « ne dégage pas un chiffre d’affaires mirobolant », avoue Genima Krabchi, éducatrice technique spécialisée. C’est grâce à la brasserie, plus productive et rentable, que les six couturières pourront continuer à piquer, surpiquer, les yeux rivés sur l’aiguille de leur machine à coudre japonaise.

Politique d’austérité. Mais trouver de nouvelles activités adaptées au handicap et lucratives n’est pas simple. « Cela demande un accompagnement soutenu pour apprendre des métiers que nous ne connaissons pas. Nous n’avons pas de moyens suffisants », regrette Jean-Paul Galleyrand, directeur d’Esat à Saint-Denis, en région parisienne. Pas la peine de demander une aide supplémentaire à l’État. En 2009, il a attribué 11 634 euros de dotation par personne en Esat. Ce chiffre passera à 11 700 euros en 2010. Le montant des aides n’augmente pas, l’heure est à l’austérité. « Quand les budgets croissent moins vite que prévu, les acteurs du social comprennent qu’ils diminuent », s’agace Fabrice Heyriès, directeur général de l’action sociale. Le gouvernement entend pourtant faire un effort les années à venir en créant près de 10 000 places supplémentaires en Esat d’ici à 2015. Un chiffre qui correspond tout juste au nombre de personnes figurant sur les interminables listes d’attente des établissements. Augmenter le nombre de places d’accueil est nécessaire, mais renforcer les moyens en accompagnement le serait tout autant.

Auteur

  • Stéphanie Cachinero