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Idées

Faut-il, à nouveau, réformer le droit du travail ?

Idées | Débat | publié le : 01.04.2010 |

Franck Mougin, DRH de Vinci, a été chargé d’animer un groupe de travail sur « la sécurité des relations du travail ». Une initiative qui n’est pas sans rappeler la commission de Virville, en 2004, dont s’est inspiré l’accord du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail.

Pierre-Yves Verkindt Professeur à l’université Paris I

Simplifier le droit [du travail]. Le dessein a d’illustres prédécesseurs. Il y eut même, il y a peu, des lois de « simplification du droit » (2004, 2007, 2009) parfaitement illisibles pour un être normalement constitué. Le projet a comme un parfum d’évidence et ne peut, a priori, que susciter l’adhésion : imagine-t-on un seul instant une revendication ou un discours politique en faveur d’une augmentation de la complexité du droit ? Pourtant, je n’ai aucune idée de ce que signifie « simplifier le droit ». Je ne suis pas loin de penser que l’expression n’a aucun sens. S’agit-il de remplacer le vocabulaire technique par des mots de la langue de tous les jours S’agit-il de modifier la grammaire et les structures des textes, au-delà de ce qu’a réalisé la récente recodification ? Si tel est le cas, le discours de la simplification n’est qu’un leurre (et la fonction d’un leurre est de détourner le regard, mais de quoi et au profit de qui ?). Il procède, au surplus, d’une méconnaissance totale de ce qu’est le droit. L’application de la norme juridique au fait, l’interprétation inéluctable du texte qui en résulte, l’articulation normale des principes et de la respiration des exceptions introduisent de la complexité. Et cette complexité est à la mesure du réel que la norme juridique prétend régir et plus souvent construire. S’agit-il de réduire le volume de la réglementation ? Pourquoi pas, mais la question est alors de savoir ce que l’on supprime. Quels droits ? Et les droits de qui ? En réalité, le problème d’aujourd’hui est moins la complexité que l’accumulation de normes – selon la double équation : un événement (si possible médiatisé) = un texte = quelques secondes au « 20 Heures ». C’est aussi parfois le manque de sérieux dans l’élaboration de la norme, ces amendements glissés en douceur auxquels le ministère ne réagit pas, ces amendements « faire-valoir » ou ces « cavaliers » s’insinuant discrètement dans un texte au détour d’un alinéa… Ce n’est pas à moins de complexité qu’il faut rêver mais à plus de cohérence, de lisibilité et de stabilité. Combien de lois sur le temps de travail depuis 2002 ? Last but not least, on voudrait être totalement sûr que simplifier le droit ne signifie pas réduire les droits des salariés. Sur ce sujet, une proposition très simple : tout licenciement économique est nul dans une entreprise ou un groupe ayant bénéficié d’aides publiques ou d’une exonération de cotisations. Simplissime, non ? Chiche ?

Marcel Grignard Secrétaire général adjoint de la CFDT

La simplification du droit du travail ne peut être un objectif en soi. Mais on sait également qu’un droit complexe, peu lisible, prétendant tout régler quelles que soient les situations concrètes, peut se révéler, in fine, peu protecteur. Aussi, pour la CFDT, une simplification du droit du travail n’a de sens que si elle veut apporter des réponses à deux enjeux. Il s’agit en premier lieu de rendre le droit du travail lisible et opérationnel pour tous les salariés. La réalité des entreprises est aujourd’hui très diverse, les situations de travail sont de plus en plus différenciées, les aspirations des individus eux-mêmes sont plurielles, dans l’espace comme dans le temps. Quand le droit prétend traiter en détail une réalité aussi éclatée, il devient illisible et souvent inopérant. Illisible car on n’y discerne plus ce qui s’applique à telle ou telle situation ; inopérant car il est illusoire de vouloir répondre à tous les cas par la loi et le décret. Dès lors, c’est l’incertitude juridique qui prend le dessus et le rôle du juge qui prévaut au détriment de celui des partenaires sociaux.

Le second enjeu en découle : il s’agit de donner l’espace nécessaire à la négociation collective. Le Code du travail doit être le socle qui fixe les droits universels et les principes directeurs. Leur mise en œuvre et leur adaptation à chaque situation particulière doivent être laissées à la négociation collective. La loi du 20 août 2008 rend possible une telle évolution. Elle élargit le champ des entreprises où la négociation est possible, donne aux salariés la capacité de choisir les syndicats qui négocient en leur nom et fixe des règles de validité des accords qui rendent leur légitimité incontestable.

La recodification du Code du travail intervenue en 2008 a été une étape de simplification permettant de lui donner une meilleure lisibilité, à droit constant. Engager une simplification aujourd’hui appelle donc une transformation du droit existant. Elle n’aurait de sens que si elle aboutissait à substituer à des garanties illusoires un renforcement des droits des salariés et de leurs représentants à négocier des droits conventionnels respectueux des principes fondamentaux, adaptés à leurs conditions concrètes de travail et formalisant au mieux l’équilibre délicat entre les parties prenantes. Tout cela dans un cadre sécurisant les accords collectifs. Un beau défi qui, à l’évidence, ne peut être relevé qu’après un débat approfondi avec les partenaires sociaux et par la voie de la négociation.

Gilbert Cette Professeur d’économie à l’Université de la Méditerranée

Oui, il faut que les acteurs du dialogue social aient la possibilité de simplifier conventionnellement et dans certaines limites le droit du travail, pour en réduire certaines complexités inutiles. L’analyse que Jacques Barthélémy et moi développons dans un récent rapport du Conseil d’analyse économique explique la nécessité d’une refondation du droit social et les orientations souhaitables de cette refondation. Le droit social est, en France, essentiellement réglementaire et faiblement conventionnel. Or la complexité de ce droit social réglementaire s’est continûment accrue dans les dernières décennies. Un symptôme : dans l’édition Dalloz, le Code du travail est passé, dans sa partie codifiée, de 938 pages en 1974 à 2 548 pages en 2009 ! Une telle complexité limite son appropriation et son usage pertinent par les partenaires sociaux. Une conséquence en est que la fonction protectrice même du droit social est fortement affaiblie. Ce constat suggère la nécessité d’une refondation du droit social visant à le rendre plus efficacement protecteur, en l’amenant à mieux concilier protection des travailleurs et efficience économique. Trois grandes orientations de refondation peuvent a priori être envisagées : une contraction du droit réglementaire supposant qu’un droit conventionnel pourrait spontanément s’y substituer. Mais cette approche amoindrirait le caractère protecteur du droit social, compte tenu de la faiblesse actuelle du syndicalisme et du dialogue social.

L’encouragement au développement d’un droit plus conventionnel est une approche utopique, car le développement spontané du droit conventionnel est difficilement envisageable dans les maigres espaces d’intervention laissés par le droit réglementaire.

Mais, avec la réduction du droit réglementaire par le développement simultané du droit conventionnel, les protections ne sont affaiblies à aucun moment. Une telle orientation paraît nettement plus cohérente que les deux précédentes avec la tradition de civil law française. Le droit réglementaire continuerait de s’appliquer pleinement en l’absence de droit conventionnel, dont l’élaboration nécessite le plein accord des parties concernées, autrement dit des partenaires sociaux. Dans une telle approche, le contrat collectif ne peut déroger à toute disposition ressortissant à l’ordre public social, mais il peut déroger à toute autre disposition du Code du travail.