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Enquête

Où sont passés les DRH ?

Enquête | publié le : 01.04.2010 | Anne-Cécile Geoffroy

Chasse aux coûts, externalisations, plans de départs : les services RH aussi subissent une cure d’amaigrissement. Résultat : ils perdent le contact avec les salariés. Et le manager de proximité a bien du mal à prendre le relais.

Les représentants du personnel d’AstraZeneca en sont tombés de haut. Début mars, en surfant sur la Toile, ils découvrent que le groupe pharmaceutique entend externaliser l’ensemble de la gestion des ressources humaines au niveau mondial. « Personne ne nous a tenus au courant alors que, dans le même temps, la direction française nous annonçait un PSE avec 94 suppressions de postes, dont trois à la DRH », fulmine un représentant du personnel. Le contrat a été signé en catimini trois mois plus tôt. Seul le prestataire Northgate Arinso s’était fendu d’un communiqué de presse en anglais sur son site. La décision du groupe anglo-suédois est pour le moins radicale. Dans les mois qui viennent, la paie, l’administration et la gestion des salariés, le recrutement seront dispersés aux quatre coins de la planète dans des villes à bas coûts : Manille, Buenos Aires, Katowice et Grenade. La Belgique, le Luxembourg et la France se sont portés volontaires pour être les pilotes de ce projet à hauts risques. Autant dire que la fonction RH de la filiale française peut se faire du mouron.

Ces trois dernières années, la crise a rendu plus aiguë la nécessité pour les grandes entreprises de faire une chasse impitoyable aux coûts. Et les directions des ressources humaines n’y coupent pas. La grande tendance, dans les entreprises de plus de 2000 salariés, c’est l’externalisation de la fonction RH. « Sur le marché français, les appels d’offres se sont vraiment accélérés ces derniers mois, constate Yves Benezech, directeur de l’outsourcing pour HR Access. Aujourd’hui, un appel d’offres sur deux concerne un projet d’externalisation. Les clients qui avaient jusqu’ici choisi de confier la paie ou leur SIRH à un prestataire vont désormais vers des projets plus larges. » Sommés par leur direction générale de prouver la valeur ajoutée de leur service au business, les DRH des grands groupes ont mis toute leur énergie à chercher le meilleur retour sur investissement possible. Une quête sans fin tant les outils informatiques autorisent des ratios de productivité toujours plus spectaculaires. « Aujourd’hui, nos outils permettent aux gestionnaires RH des entreprises du secteur tertiaire de prendre en charge 500, voire 800 collaborateurs », se félicite Yves Benezech.

Machine à café. Maîtres d’œuvre des plans sociaux et des plans de départs volontaires, les directions des ressources humaines ne passent pas non plus à travers les gouttes des restructurations. Aux centres techniques de Renault à Rueil-Malmaison et Lardy, en région parisienne, les équipes RH ont quitté le navire avec le plan de départs volontaires. « Au fil des restructurations, l’effectif des équipes RH de Hewlett-Packard a été divisé par deux. Un RRH suit à présent 500 à 1 000 salariés selon les unités », indique Jean-Paul Vouiller, le délégué syndical central CFTC. Sur le site d’ArcelorMittal de Florange, même constat. « Le dernier plan de départs volontaires a fragilisé les fonctions support. À Florange, le DRH du site est parti dans ce cadre, souligne Patrick Auzanneau, responsable syndical national CFDT du sidérurgiste. Et quand la direction recrute des responsables des ressources humaines, ils n’ont plus d’administratifs pour les épauler. Ils n’ont plus de temps pour maintenir le lien avec les salariés. »

Sur le terrain, cette course à la productivité creuse l’écart entre les DRH et les salariés. Pour Jean-Paul Bouchet, secrétaire général de la CFDT Cadres, « à force d’avoir instrumentalisé cette fonction pour lui permettre de faire du reporting à tour de bras, les DRH se sont coupés du terrain. Il faut à tout prix qu’ils réinvestissent le champ du travail, qu’ils créent des espaces de discussion autour des métiers et de l’organisation du travail ». La dernière enquête de l’Observatoire Cegos sur le climat social dans les entreprises montre un vrai décalage dans la perception du travail par les équipes RH et par leurs collaborateurs. Quand 76 % des DRH estiment que ceux-ci peuvent construire leur projet professionnel avec l’équipe RH, seuls 27 % des salariés partagent ce point de vue ! « Je n’attends absolument rien des ressources humaines, avoue Patrick, consultant senior pour la SSII Steria. Notre chargée des RH s’occupe de 250 collaborateurs. Comment voulez-vous qu’elle connaisse nos métiers et nous aide en quoi que ce soit ! Je sais qu’elle n’a pas le pouvoir dans l’entreprise, alors je fais sans elle. » Pour Annick Allégret, directrice de l’unité ressources humaines et management de Cegos, « les DRH restent centrés sur leur rôle de membres de comité de direction. Ils ne vont plus sur le terrain. Ils ne passent plus assez de temps à la machine à café ou dans les ateliers. À leur décharge, les managers n’assurent plus le relais avec le terrain, trop accaparés, eux aussi, par le reporting ».

“Notre chargée des RH s’occupe de 250 collaborateurs. Comment voulez-vous qu’elle nous aide en quoi que ce soit”, déplore un consultant senior de Steria

Le manager « premier RH ». En prenant du galon, les RH ont confié aux managers la charge d’entretenir le lien de proximité. « Ça n’est pas complètement absurde de penser qu’ils sont le mieux placés pour remplir ce rôle. Mais ce mouvement ne se décrète pas, il s’accompagne en formant les managers. Et avant de passer le relais, le bon sens est de déployer des équipes RH sur le terrain pour transmettre le savoir-faire », note Gilles Verrier, consultant, ancien DRH de Décathlon. Un bon sens que les directions ont sans doute perdu dans les méandres des organisations matricielles et qui a sacrément dénaturé cette règle de proximité.

À force de consacrer les managers premiers RH, mais aussi premiers gestionnaires ou premiers communicants…, la distance qui s’est installée entre les services de ressources humaines et les salariés se retrouve aussi entre les managers et leurs propres troupes. Chez Steria, un responsable d’unité peut avoir à gérer jusqu’à 100 personnes. Impossible pour lui d’être au plus près du terrain. C’est donc à ses managers de second rang de récupérer les tâches RH sans avoir le pouvoir qui va avec. Et d’évaluer parfois le travail de salariés qu’ils ne connaissent même pas. « Pour faire ces entretiens, je cours après les infos. J’interroge le client chez qui le collaborateur est en mission », raconte Patrick, consultant senior chez Steria, sans illusions sur son rôle de premier RH auprès de sept collaborateurs dont deux qu’il n’a jamais rencontrés. « J’évalue en fonction des infos que je reçois. Mais je ne fais pas de zèle. Ces entretiens ont de toute façon peu d’incidence sur nos carrières. Ils servent à occuper les RH et à alimenter la machine à reporting. »

Les organisations matricielles et la chasse aux coûts n’expliquent pas tout. Le législateur n’a pas facilité le travail des RH ces dernières années en multipliant les obligations légales : seniors, handicap, risques psychosociaux… La liste des négociations obligatoires à mener avec les partenaires sociaux s’allonge tous les ans. Elles coincent DRH et représentants du personnel dans de multiples réunions marathons. « Je me bats tous les jours pour ne pas passer ma vie à faire des relations sociales, souligne Emmanuelle Capiez, DRH d’Assystem. J’ai étoffé mon équipe en recrutant deux juristes pour m’épauler sur des sujets de plus en plus techniques. » Antoine Werner, consultant chez Pactes Conseil, a découvert avec stupeur le résultat d’un questionnaire soumis à ses clients pour concocter l’agenda 2010 du DRH. « Tous veulent revenir au terrain, ne plus être accaparés par des grands projets globaux, ne plus passer leur temps à négocier. »

Syndicalistes sollicités. Sur le terrain, le salarié se sent donc bien seul avec ses questions de base. Quelles sont les règles du congé de paternité, comment alimenter mon Perco, comment faire une demande de 1 % logement ou de DIF ? Des questions auxquelles ni les services RH décimés ou trop lointains ni les managers n’ont le temps de répondre. « Impossible d’avoir un collaborateur du service RH en ligne aujourd’hui, s’énerve un délégué médical chez AstraZeneca. Quand on a une question, on nous renvoie vers l’intranet et ses listes de réponses toutes faites ! » Dernier recours, les organisations syndicales, de plus en plus sollicitées et pas toutes forcément à l’aise avec ce rôle. « On est challengés par les salariés, constate ainsi Jérôme Chemin, délégué syndical CFDT chez Accenture. Quand ils viennent nous voir pour les accompagner lors d’une rupture conventionnelle, c’est parce qu’ils savent que l’on connaît bien les dossiers et que l’on saura négocier avec la RH. » À la CFDT Cadres, Jean-Paul Bouchet ne voit pas le problème. « Les élus représentent le personnel. Compte tenu du déficit de proximité, on est obligé de le combler. »

Chez ArcelorMittal, Patrick Auzanneau constate : « On devient bien plus professionnels que les RH sur les questions de congés ou de fiches de paie à force de répondre à leur place. » Chez Hewlett-Packard la CFTC tire aussi à son profit la désertion du service RH. « Nous nous occupons des employés à la place des ressources humaines, explique Jean-Paul Vouiller, le DSC à la tête d’une section de 300 adhérents et sept permanents. J’ai 50 spécialistes à ma disposition pour répondre à toutes les interrogations des salariés sur la formation, l’épargne salariale, les congés payés… Notre force, c’est notre disponibilité et la rapidité de nos réponses. La CFDT nous accuse de faire le boulot de la RH. Mais il n’y a plus personne pour faire le job, alors on s’en occupe. » La nature a décidément horreur du vide.

RHODIA

Site de Chalampé, en Alsace

JUSQU’EN 2005, 9 personnes dédiées aux RH pour les 900 salariés

AUJOURD’HUI, après un plan social : 3 personnes dédiées aux RH pour 840 salariés

JEAN-MARC LE GALL, consultant en stratégies sociales
“La fonction RH se banalise et s’appauvrit”

Comment a évolué la fonction RH ces dernières années ?

Une cassure s’est produite au milieu des années 90. Les entreprises globalisées et financiarisées ont assigné de nouvelles fonctions aux RH, considérées comme un sanctuaire bureaucratique avec ses propres règles de fonctionnement. Brusquement, la fonction RH a dû réduire ses coûts. Les formes de GRH sociales sont devenues, aux yeux de nombreux dirigeants, archaïques et ringardes, la DRH devant être contributrice de valeur au même titre que la fonction achat.

Les entreprises françaises ont-elles adopté ces nouvelles règles ?

Tous les grands groupes français ont vite mordu à l’hameçon. D’abord parce que l’ancien système n’était pas brillant. Les services RH n’étaient jamais évalués sur la base d’un rapport coût-qualité du service. Ils se cantonnaient à la régulation sociale et à la formation professionnelle. Ensuite, les collectifs syndicaux s’effilochant, personne ne s’est opposé à l’individualisation de la GRH. Résultat, le modèle du « manager premier RH » et du salarié acteur de son parcours professionnel s’est généralisé. Mais il ne fonctionne guère. En France, les salariés ne sont pas des acteurs confiants. Ils ont besoin d’être accompagnés. Quant aux managers, ils sont hyperinvestis dans les contraintes du business et ne souhaitent pas forcément jouer le rôle de RRH. Au passage, l’injonction « tous DRH » est devenue le meilleur argument pour dégraisser les équipes RH.

Quelles en sont les conséquences ?

La fonction s’est professionnalisée. Mais, en adoptant la logique court-termiste de leur direction, les DRH ont perdu le contact avec le terrain. De bureaucratique, la fonction RH devient technocratique. Elle se banalise et s’appauvrit. La généralisation des systèmes d’évaluation des RH a rejeté dans l’ombre toutes les tâches qui n’étaient pas quantifiables. L’organisation du travail, la santé, l’ergonomie sont passées à la trappe. Ces évolutions sont d’autant plus préoccupantes que l’intensité du travail ne fait que croître et que les dimensions invisibles du travail des RH redeviennent stratégiques. Chez France Télécom, plus personne ne portait la logique de l’organisation du travail avant la série de suicides. Aujourd’hui, la direction remet des RH sur le terrain.

La RH serait une fonction comme les autres ?

Non, mais les entreprises ont oublié ses singularités. Cette fonction incarne plus que toute autre le fait qu’une entreprise combine en permanence des logiques individuelles et collectives. Avant, les DRH servaient de vigies aux managers, en leur rappelant de veiller aux conditions de travail et en incarnant les conflits de priorité dans l’entreprise. Aujourd’hui, ils habillent des politiques souvent désincarnées par des discours creux dont se moquent les salariés. La multiplication des stratégies de marketing RH à la mode leur donne l’illusion d’agir et masque le fait que le contrat de travail est une relation de subordination. Le salarié n’est pas et ne sera jamais un client de l’entreprise. La DRH doit assumer sa fonction de valorisation et de protection du personnel autant que de contribution à la performance immédiate.

Auteur

  • Anne-Cécile Geoffroy