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Enquête

Le vague à l’âme des responsables de ressources humaines

Enquête | publié le : 01.04.2010 | Éric Béal

Tenus à l’écart des décisions stratégiques, les DRH ont vu leurs services profondément réorganisés. Persuader les directions du bien-fondé d’une véritable GRH leur demande une bonne dose de courage et de conviction.

Le TGV Strasbourg-Paris file à travers la campagne en ce début de soirée hivernale. Dans un des compartiments, une poignée de DRH parisiens discute librement après un voyage d’étude organisé par un club connu. La conversation finit par se porter sur le rôle de chacun dans son entreprise. « Et soudain, ce fut le bureau des pleurs », rapporte un témoin de la scène. « Je n’ai pas assez voix au chapitre. » « Je ne suis jamais consulté en amont sur les décisions importantes. » « Les décisions stratégiques sont toujours prises par la DG et les financiers. »

Homme de réseau bien introduit dans le milieu des professionnels des ressources humaines, notre témoin est bien conscient que ces reproches vont à l’encontre du discours officiel sur « les DRH, qui sont massivement entrés dans les comités exécutifs et sont consultés à chaque décision importante ». Mais il assure que le malaise est largement partagé au sein de la communauté RH. « Parmi les fonctions support, la direction des ressources humaines est la plus stressée, explique-t-il. Elle applique des décisions souvent prises par d’autres tout en étant au contact avec l’ensemble du corps social de l’entreprise. Mais tous les DRH prétendent officiellement que tout va bien. » Ce n’est pas systématique. Le discours lisse et sans aspérités laisse parfois la place à une esquisse de critique. Dans l’étude IGS-Mercer d’avril 2009, 70 % des DRH interrogés estiment ne pas être pris en compte par leur direction générale. Et ne pas être associés aux démarches prospectives ou aux projets de développement. Dans le Baromètre Hewitt de février 2010, les DRH internationaux sont encore 44 % à demander à être intégrés plus tôt dans les décisions stratégiques.

Taylorisation de la fonction RH. Outre l’oreille plus ou moins attentive de leur direction générale, c’est la réorganisation de leur fonction selon les recommandations des cabinets de conseil en stratégie qui gêne les DRH insatisfaits de leur sort. « Dans les grands groupes, nous assistons à une révolution de la gestion des ressources humaines au moins aussi importante que l’introduction des métiers à tisser pour les canuts », estime Gérard Hochapfel, DRH de transition passé par SAP France et Rio Tinto. Un ancien directeur des ressources humaines d’une entreprise internationale, aujourd’hui conseiller technique dans un cabinet ministériel, résume la nouvelle doxa. « Je me suis retrouvé avec une plate-forme centralisée pour la gestion administrative des flux de toutes les filiales européennes : fiches de paie, entrées-sorties ou renseignements personnels. Puis ma fonction a été coupée en deux avec des responsables RH sur les sites, chargés du premier niveau de service auprès des salariés et des managers, et une équipe au siège, à qui revient la mission de gérer les tâches nobles, dites à valeur ajoutée. » Mais, dans un grand groupe international, les tâches nobles d’une DRH de filiale nationale se résument souvent à l’application de décisions prises au siège, fut-il situé à des milliers de kilomètres. « J’ai quitté la DRH de Coca-Cola Entreprise pour retrouver une pratique professionnelle plus large et plus globale, indique Alain Mauriès, aujourd’hui DRH du groupe Pochet. L’organisation qui devait se mettre en place représentait pour moi une taylorisation de la fonction RH. Je ne me voyais pas évoluer dans une organisation regroupant des experts en silo, autour d’un centre de services partagés. L’outil informatique devient le support central pour les RH, les managers et les salariés. Aux dépens de l’autonomie des acteurs de terrain. »

Objectifs quantifiables, externalisation des tâches administratives, regroupement des experts internes dans un centre d’appels et réduction des équipes RH : « Il est frappant de constater que l’on retrouve souvent les mêmes cabinets de conseil à l’origine de ces transformations. Ils sont également pourvoyeurs des études qui en montrent tout l’intérêt », constate Grégory Gamot, maître de conférences à l’IAE de Lille et consultant auprès des CE. À ses yeux, aucune vision du rôle des RH ne préside à la mise en place de la nouvelle organisation. « D’ailleurs, personne ne fait le parallèle entre la réorganisation de la DRH et la montée de la souffrance au travail ou la disparition du sentiment d’appartenance à l’entreprise chez les salariés. »

Chargé des RH et du développement chez BLB Associés, Jean-Michel Garrigues estime que la raison principale à la généralisation de cette nouvelle organisation est d’ordre financier. « Les directions générales sont guidées par le bas du compte de résultat », explique-t-il. Autrement dit, par les résultats financiers à court terme. « Il s’agit de diminuer les coûts, même dans les structures RH elles-mêmes. » La norme admise internationalement tourne autour d’une fonction RH forte de 1 % de l’effectif total. Un ratio contesté par le DRH d’un groupe énergétique français, qui estime la proportion idéale à un RH pour 70 salariés. « C’est une question d’équilibre raisonnable. Et, au-delà de un pour 120 personnes, c’est trop tendu », assure-t-il. Certaines entreprises font pourtant beaucoup mieux. Ou bien pire.

Créé en 1982, Altran n’a pas eu de direction des ressources humaines avant 2006 et la fusion de ses 17 filiales. Aujourd’hui encore, le service RH centralisé est très léger puisqu’il comprend une dizaine de personnes pour 6 500 salariés dans le groupe. La situation engendre surcharge de travail, pression constante et stress généralisé. « La culture interne met le business au centre de tout. Nous, en tant que fonction support, nous ne sommes jamais pris en compte car nous ne pouvons justifier d’une augmentation du chiffre d’affaires », explique un membre de l’équipe. La fonction RH est-elle condamnée à se vider de sa substance ? La question fait sortir Dominique Vercoustre, DGA RH de BPI, de ses gonds. « Le discours défaitiste de certains collègues m’irrite. La pression sur les coûts n’est pas nouvelle. Les DRH doivent avoir des convictions et savoir les partager avec leurs collègues du comité exécutif. Ils doivent aussi trouver le temps de réfléchir à l’organisation du travail, au développement des collaborateurs et à l’accompagnement des managers. » La culture du résultat et la standardisation de la fonction RH sont même jugées positives par certains. « Mais cette évolution doit être synonyme d’efficacité accrue et de réelles marges de manœuvre sur les problèmes d’organisation du travail ou de gestion des talents », précise un ancien d’H-P.

“La pression sur les coûts n’est pas nouvelle ; les DRH doivent avoir des convictions et savoir les partager avec leurs collègues du comité exécutif” (Dominique Vercoustre, BPI)

Un impact sur le résultat financier. Gérard Hochapfel partage cet avis. Ce DRH de transition estime que les circonstances demandent aux DRH de prendre des initiatives et d’accroître leur implication personnelle. Quitte à modifier, petit à petit, le contour du poste, en apportant la preuve de l’intérêt financier d’une gestion des ressources humaines de qualité. « Garder les talents pour diminuer ses besoins en recrutement, gérer ses seniors pour éviter les pénalisations fiscales ou anticiper sur les futurs besoins de l’entreprise, toutes ces actions ont des impacts concrets sur le résultat financier de fin d’année », précise-t-il.

Reste la question des moyens octroyés à la fonction RH. Même les trentenaires, a priori moins choqués par la nouvelle organisation, constatent que la recherche de productivité prime partout. Consultante chez Multicibles, après avoir été manager RH au sein du groupe EADS et correspondante Junior de l’ANDRH Provence, Sophie Thomazeau juge favorablement la création d’« un back-office administratif, couplé à la présence de RRH sur le terrain et d’une DGRH chargée de développer les politiques RH ». Mais elle insiste sur la nécessité de disposer d’effectifs suffisants et de moyens adéquats. « Malheureusement, l’objectif non avoué d’une réorganisation est souvent de réduire les coûts liés à la fonction. Et d’atteindre le ratio d’effectif recommandé », déplore-t-elle. Ancien DRH et enseignant du master RH de Lille, Jean-Louis Mutte constate que les jeunes RH sont très accaparés par les tableaux de bord et les analyses pour mesurer l’efficience de la fonction. « Ils ont le sentiment d’être redevenus une fonction support. Leur contribution stratégique est très faible. »

Autre correspondant de l’ANDRH Junior, Guillaume Sogliuzzo est responsable des RH de l’Araimc centre Saint-Thys, une association d’aide aux infirmes moteurs cérébraux. Il connaît de jeunes responsables RH déjà désabusés par leurs conditions de travail. « La déception porte sur les marges de manœuvre restreintes qui leur sont laissées dans les entreprises internationales. Je les invite à s’intéresser au secteur sanitaire et médico-social. La fonction RH y est en plein essor. Les projets se multiplient dans les structures que je connais car tout est à créer. »

Ex-DRH de Rhodia, Max Matta ne dit pas autre chose. « Un DRH doit partir s’il n’arrive pas à convaincre sa direction que les économies immédiates programmées vont créer des dépenses importantes dans le futur. » Un choix soutenu par Gérard Hochapfel : « À côté des groupes internationaux, dans lesquels la chasse à la productivité bat son plein, il existe des entreprises aux dimensions plus modestes qui ne tombent pas dans les mêmes travers. » Quitte à embrasser la carrière de DRH de transition.

Des DRH heureux, ça existe aussi

Ancien DRH de plusieurs groupes internationaux, Max Matta ne veut pas voir l’avenir de la fonction RH en noir. « Son poids dépend d’abord de la personnalité du DRH et de la qualité de la relation avec son directeur général. » À ses yeux, la nouvelle organisation de la DRH demande un niveau de professionnalisme encore plus élevé que l’ancienne pour assurer le pilotage d’intervenants extérieurs. Il explique que l’externalisation d’une partie des tâches de la RH n’est pas un problème si l’équipe RH maîtrise les procédures et le savoir-faire pour rattraper une erreur administrative – tel un mauvais numéro de commande – en toute circonstance. « Dans le cas contraire, c’est le service rendu et la fonction RH elle-même qui perdent en qualité. »

De son côté, Xavier Molinié, DRH Europe du Sud de Dell, apprécie la nouvelle organisation de la fonction RH. « C’est un outil très efficace qui pousse le DRH à développer sa capacité à influer plutôt qu’à décider, en faisant remonter informations et conseils sur les tendances du marché local de l’emploi, en cultivant les échanges avec les autres membres du comité exécutif ou encore en travaillant en mode projet permanent avec ses équipes. Il incite également à développer sa capacité à animer, encadrer et déléguer des responsabilités à ses collaborateurs. »

Le dernier Baromètre de la fonction RH présenté par Hewitt lui donne raison. 62 % des DRH interrogés attendent des évolutions dans l’expertise fonctionnelle des RH en matière de changement ; 54 % en matière de conseils stratégiques à la DG et 58 % en termes de processus et de savoir-faire. « D’un point de vue personnel, le DRH doit aussi développer ses compétences juridiques, en business et en stratégie, pour devenir un réel business partner », note Xavier Molinié. Pas sûr que ses pairs soient très enthousiastes.

Auteur

  • Éric Béal