Exigeantes, parfois très coûteuses, ces formations répondent à des aspirations diverses mais ne mènent pas toujours à une évolution dans l’entreprise.
À 40 ans et des poussières, Franck Beyssac, contrôleur de gestion, n’avait plus grand-chose à prouver dans son entreprise. Au fil des années, cet adepte de la course de fond avait su se hisser à un poste de responsable chez Blanchon, une grosse PME du secteur de la chimie implantée depuis des décennies dans la région lyonnaise. Mais Franck Beyssac savait aussi qu’avec un BTS obtenu il y a plus de vingt ans sa formation initiale était bien loin de correspondre au poste qu’il occupait. En soi, cela ne posait pas fondamentalement de problème, mais « l’envie de faire le point sur [sa] pratique professionnelle » et peut-être aussi de se « sécuriser » a décidé ce salarié à aller voir du côté de la formation continue. Après quelques mois d’intenses efforts, il décrochait un master Comptabilité, gestion, audit à l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Lyon grâce à une validation des acquis de l’expérience (VAE).
Au cours de l’année universitaire 2008-2009, 19518 salariés ont, comme Franck Beyssac, retrouvé les bancs de la fac pour y décrocher un master. À l’université, ce diplôme s’est imposé comme le sésame le plus recherché par les stagiaires de la formation continue. Devant la licence professionnelle, par exemple. En VAE, le master est ainsi considéré comme le diplôme le plus recherché. Il concernait en 2007 35 % des bénéficiaires, contre 33 % en 2006 et 21 % en 2005. « Avec la crise, le diplôme est un point d’ancrage. Or le master est vraiment bien identifié et rentre dans une stratégie de carrière », analyse Jean-Marie Filloque, président de la Conférence des services de formation continue universitaire. « Les ouvriers sollicitent plutôt une formation qualifiante. Nos stagiaires de master, qui sont majoritairement des cadres en provenance de grandes entreprises, souhaitent, eux, acquérir de nouvelles connaissances ou renforcer leurs compétences pour évoluer professionnellement, voir leur salaire revalorisé, parfois se reconvertir », observe Nadine Royer, chargée de la formation continue à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée.
Théoriquement, tous les masters proposés par l’université sont accessibles en formation continue. Mais seuls quelques grands domaines ont les faveurs des salariés : d’abord et surtout les sciences de gestion (banque, finance, RH), puis l’informatique, la psychologie, l’administration de la santé et, à l’avenir, très probablement les masters de l’enseignement.
Université/école : « pas la même marque ». Malgré un déficit d’image injuste et qu’il conviendrait d’ailleurs de relativiser pour certains établissements comme Dauphine, Assas ou les IAE de Paris et d’Aix-Marseille, les masters de l’université se veulent les concurrents des formations labellisées par la Conférence des grandes écoles. « On est moins chers [deux à trois fois moins, ndlr] et nous disposons d’un lien plus proche avec l’innovation et la recherche, ce qui donne des caractéristiques un peu particulières à nos diplômés. Mais même si l’image de l’université a changé, on n’a pas la même marque. On ne va pas concurrencer une école de très grande renommée », reconnaît Jean-Marie Filloque.
Plus sélectifs, plus prestigieux, mastères et bilans d’aptitude délivrés par les grandes écoles (Badge) rehaussent indéniablement un CV et permettent – notamment pour les mastères spécialisés – d’intégrer le réseau des anciens. Comme pour les masters de la fac, ils offrent une hyperspécialisation ou l’acquisition de compétences transverses très souvent managériales. À la suite d’une évolution de fonction, un juriste choisira une formation en ressources humaines ; un ingénieur, en management. Mais ces prestations – cours théoriques et intervenants haut de gamme – se paient au prix fort. Accessibles aux jeunes diplômés comme aux salariés déjà titulaires d’un bac + 5 ou pour certains d’un bac + 4, les 430 mastères spécialisés proposés par 121 grandes écoles coûtent en moyenne de 10 000 à 12 000 euros. Certains certificats de niveau 2 délivrés dans les meilleures écoles tutoient, eux, sans complexes les 20 000 euros… Le prix du prestige et du haut niveau, affirment les écoles. Mais restent toujours moins onéreux que les MBA, dont les coûts sont astronomiques…
Hors des établissements du top 10-top 15, pour les écoles plus moyennes, les tarifs sont discutables. « Ce qui est valorisé, c’est le niveau d’études et ensuite l’école. Il y a une différence entre l’ESC de province et une grande école », résume Catherine Goutte, directrice du développement de la Cegos. « La marque joue un rôle », indique Laurence Crespel, directrice de la formation continue chez Audencia. « Les accréditations, un partenariat avec une association professionnelle sont une garantie de la qualité académique, une reconnaissance des pairs et, derrière, du réseau », poursuit-elle.
Financement casse-tête. Avec des coûts à cinq chiffres, le financement de ces formations relève du casse-tête. Il n’est pas rare qu’un salarié boucle au dernier moment le financement de sa formation. En dehors des grands groupes et des secteurs qui se sont lancés dans d’ambitieux programmes de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences comme la banque et l’assurance, la plupart des entreprises réduisent au minimum légal leur budget de formation et rechignent à se séparer de leurs cadres en cette période de crise. Le salarié doit alors jongler avec tous les dispositifs (plan de formation, CIF, DIF) et parfois puiser dans sa bourse. « Ma première année a été financée par mon entreprise et le DIF, la seconde par le Fongecif mais j’ai aussi investi personnellement en jours de congé et en frais de déplacement », témoigne Alexandre Pasquier, ex-ingénieur de l’agroalimentaire devenu conseiller en management RH après un MS Management des compétences et ressources humaines chez Audencia dont le coût s’élève à 15 000 euros.
Un retour sur investissement aléatoire. Reste que le plus gros investissement est l’investissement personnel. « À 17h30, les cadres en formation commencent leur deuxième journée », rapporte Laurence Crespel. Un cursus qui s’étale sur trois cents, quatre cents, cinq cents heures, des cours le week-end, le travail personnel le soir, le dimanche. « C’est un gros investissement, ça pèse sur la vie privée et professionnelle », ajoute Catherine Goutte. « C’est assez éprouvant en termes de charge de travail ; honnêtement je n’étais parfois pas loin d’être “overchargé” », confirme un ex-stagiaire.
Beaucoup d’efforts, donc. Pour un retour sur investissement parfois aléatoire. Selon une étude réalisée en 2007 par l’université Paris-Est Marne-la-Vallée, « l’impact du master sur l’évolution professionnelle des diplômés en formation continue est difficile à mesurer ». Sur 128 diplômés, 60 ont vu leur sort s’améliorer, 57 ont connu une situation stable et 11 enquêtés n’ont pas retrouvé d’emploi équivalent au dernier poste occupé avant le master. Les motivations des salariés sont diverses : « renouvellement des compétences », « assurance survie » contre le chômage, « volonté de se ressourcer », « motivations financières ». Avec son mastère spécialisé en management à l’ESCP Europe, Gauthier Hourcade espérait une belle évolution et l’augmentation qui va avec. Au bout du compte, il n’a pas eu « 100 % de ce qu’[il] voulai[t] mais une partie » et retient surtout le plaisir d’avoir su « prendre du recul par rapport à son boulot ».
Certaines entreprises pourtant engagées dans la formation de leurs salariés se passent dès lors fort bien de cette reconnaissance externe via les masters et autres mastères spécialisés. « 80 % de notre encadrement est issu de la promotion interne mais nous n’avons pas le culte du diplôme », indique François Rebeix, directeur de la formation à Sodexo, le poids lourd de la restauration collective. « On est dans du sur-mesure. Nous partons toujours du besoin et nous élaborons des parcours de formation en fonction de la réalité de l’individu et de l’entreprise. »
Comme l’entreprise n’a aucune obligation légale de récompenser le salarié de retour de formation en l’augmentant ou en le faisant évoluer, mieux vaut donc « être particulièrement vigilant sur le projet », souligne Martine Le Boulaire, membre du réseau Entreprise & Personnel. « S’engager dans une formation de type master est lourd : cela ne peut fonctionner que si le projet intéresse le salarié et l’entreprise. Il ne faut pas engranger une compétence sans qu’il y ait de besoin », assure l’experte du réseau.