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Vie des entreprises

Désenchantement au royaume de Disney

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.03.2010 | Laure Dumont

Grève fin 2009, plaintes de SOS Racisme, inquiétudes sur la santé des salariés…, rien ne va plus chez Disney. Et, dans un contexte de relations sociales difficiles, la stratégie de la direction manque de lisibilité.

En 2009, Disneyland Paris aura connu un taux defréquentation inégalé : 15,4 millions devisiteurs. Mais ce chiffre effec­tivement record depuis l’ouverture du parc en 1992 est bien le seul point positif auquel la direction peut se raccrocher. Et encore. Car, en réalité, des promotions à foison, pour attirer le chaland en ces temps de crise économique, expliquent en partie cette affluence inédite.

Un bien mauvais sort semble s’acharner sur le royaume de Mickey. À cause de la crise économique, le chiffre d’affaires du parc – à 1,2 milliard d’euros – a baissé de 7 % par rapport à 2008, tandis qu’une dette abyssale (2 milliards d’euros) plombe durablement les comptes de l’entreprise la plus médiatique de l’Est parisien. Quant à la situation sociale, elle s’avère particulièrement tendue, et les 14 500 castmembers et autres managers de Disneyland Paris ont, eux aussi, perdu le sourire. C’est par une grève que s’est terminée l’année 2009, avec annulation de parade et blocage d’attractions le 23 décembre.Unepotionbien amèrepourlesclientsmalchanceux de cette veille de Noël… et pour la direction, restée silencieuse.

Sur les ressources humaines en général, cette dernière a du mal, d’ailleurs, à afficher clairement sa stratégie. Des salaires à la formation en passant par la GPEC, la plupart des dossiers ont tout l’air d’être au point mort. « Cette année, 1 163 postes ont été supprimés, essentiellement des CDD, raconte un élu de l’Unsa, et ce sont les salariés en CDI qui doivent compenser la surcharge de travail induite par la hausse de la fréquentation du parc. » À 20 %, le turnover global est d’ailleurs élevé, comme dans l’ensemble du secteur touristique. Un élu CFTC poursuit : « Le parcours de formation diplômant, appelé HAT (hôte d’attraction touristique), est arrêté depuis janvier 2009. Les personnes en cours de formation sont maintenues dans le cursus, mais il n’y a plus de recrutements et les équipes chargées de la mise en œuvre de ce programme sont affectées à d’autres tâches. » Disney consacre pourtant 4,6 % de sa masse salariale à la formation, notamment avec son université maison. On peut donc supposer que le cursus HAT va être remplacé…

Depuis septembre 2008, c’est un ancien DRH de l’entreprise, Philippe Gas, qui dirige Disneyland Paris. Et le DRH actuel, Daniel Dreux, connaît lui aussi très bien la maison pour en avoir gravi tous les échelons. Comme la directrice des relations sociales, Karine Raynaud, arrivée au service juridique comme stagiaire en 2000. Mais cette somme d’expertises ne suffit manifestement pas. La direction peine aujourd’hui à faire partager aux salariés une vision qui permettrait de maintenir la mobilisation contre les vents et les marées qui les agitent actuellement. Revue de détail des dossiers sensibles.

Des rémunérations bloquées

C’est le point le plus sensible de l’année 2009 dans une entreprise où les salaires sont bas car les postes sont peu qualifiés. « La moitié des Disney sont employés et touchent 1 500 euros brut mensuels, commente un élu Unsa. Un millier de personnes touchent le smic. » Selon le bilan social 2008, le salaire moyen est de 1 916 euros brut et les non-cadres représentent 79 % des salariés. Ouvertes en novembre 2009, les négociations annuelles obligatoires (NAO) ont vite tourné court. La direction a affirmé qu’elle n’avait pas, compte tenu de la conjoncture économique, la visibilité nécessaire pour assurer des hausses de salaire. Résultat : aucune augmentation collective pour la deuxième année consécutive et des bonus réduits de moitié pour les team leaders et les managers. « Normalement, les primes sur objectif représentent un quatorzième mois de salaire, explique un élu CFE-CGC. Or, cette année, les objectifs ont été tenus, mais pas les bonus ! »

L’intersyndicaleCFDT-CFTC-Unsa, trois organisations qui ont raflé 52 % des voix lors des dernières élections de 2006, a porté le mécontentement des Disney, la CFDT et la CFTC allant jusqu’à appeler à la grève. La direction campant sur ses positions, la menace a été mise à exécution fin décembre : 225 grévistes ont bloqué l’accès du public à des attractions phares comme Space Mountain et fait annuler la légendaire parade de Noël.

Les relations sociales sont jugées “fébriles et tendues” en interne comme à l’extérieur

Des actions qui n’ont pas été très populaires : « J’ai vu des mômes en larmes et des pères de famille s’attaquer physiquement aux grévistes tellement ils étaient en colère qu’on leur ait pris leur parade, raconte un salarié. Je les comprends, ce genre de mouvement est irresponsable. Il y a d’autres moyens de manifester son mécontentement. » Grève, pleurs et prises de bec n’ont pas fait bouger la direction d’un iota pour autant. Elle a maintenu le calendrier fixé avec une nouvelle séance de négociation qui devait commencer le 18 février, date à laquelle elle prévoyait d’avoir une meilleure visibilité.

Des relations sociales complexes

Jugées « fébriles et tendues », « trop affectives », voire « malsaines » en interne comme à l’extérieur, les relations sociales sont empoisonnées par les prochaines élections professionnelles, programmées pour la fin 2010. Un scrutin crucial puisqu’il pourrait rebattre les cartes et bousculer un ordre bien établi, dont la direction semble se satisfaire. Pas moins de sept syndicats cohabitent à Disneyland. À l’issue des dernières élections, la CFTC est sortie première avec 25,75 % des voix, laCFDT deuxième (21,57 %), la CGT troisième (21 %), la CFE-CGC quatrième (14 %), suivie de FO (6,6 %), de l’Unsa (5,69 %) et enfin du Syndicat indépendant des personnels d’Euro Disney (4,34 %). Si cette répartition des suffrages se maintenait, le fameux couperet des 10 % introduit par la loi du 20 août 2008 évincerait d’emblée les trois « petits ».

La réalité est probablement loin de cette vision purement mathématique, tant un subtil jeu d’alliances et d’oppositions, parfois improbables, s’est mis en place. La CGT, par exemple, signe tous les accords proposés par la direction, contrairement aux autres syndicats qui discutent, amendent et refusent éventuellement de les valider. Quant au CE, il est dirigé par un tandem CGT (secrétaire et trésorier)-CFE-CGC (secrétaire adjoint) auquel fait face l’intersyndicale CFDT-CFTC-Unsa. Pour ne rien arranger, les responsables du CE sont inquiétés depuis décembre 2009 pour détournement de fonds. Lors de la dernière expertise descomptes, il manquait 100 000 euros dans les caisses. Ce n’est pas la première suspicion de détournements de fondsquiplanesurleCE. Mais cette fois, la direction a porté plainte.

Le 5 février, elle a en outre présenté aux syndicats un projet de nouveau « modèle social » qui prévoit d’éclater le CE en un CCE et cinq CE décentralisés. « Comme d’habitude, nous n’avons eu accès à aucun document préparatoire pour travailler en amont sur ce que nous présente la direction, indique un membre de la CFTC. Nous prenons acte mais, a priori, nous ne voyons pas l’intérêt de cette nouvelle organisation, si ce n’est de permettre aux petits syndicats de se maintenir dans la course et d’avoir des responsabilités à l’issue des prochaines élections. » Quoi qu’il en soit, la marge de manœuvre des syndicats s’annonce faible. Car la direction de Disneyland a la réputation de suivre à la lettre les consignes de la direction départementale du travail de Seine-et-Marne. Laquelle aurait poussé, suivant les recommandations de l’inspecteur du travail local, à cette réforme des instances représentatives du personnel. Manifestement, la DDT est lassée des bisbilles et désireuse de voir les relations sociales s’apaiser quelque peu. Pour qualifier la guerre que se mènent les syndicats de Disney, on n’hésite pas, dans les coulisses du ministère du Travail, à parler carrément de « Vietnam syndical ».

La diversité, étendard malmené ?

Plus de 100 nationalités sont représentées à Disneyland. Cette diversité est affichée par la direction de l’entreprise qui l’arbore comme une marque defabrique,notamment quand elle mène des campagnes de recrutement dans toute l’Europe.

Youcef Alem, Algérien d’origine entré dans l’entreprise en 1992 comme réceptionniste, est aujourd’hui le Monsieur Diversité de la DRH. En avril 2008, cet homme qui incarne à merveille le modèle de réussite à l’américaine mis en avant par la filiale française de The Walt Disney Company présentait à la direction son « plan d’action pour la valorisation du multiculturalisme ». Depuis, une « caravane de la diversité » a circulé durant plusieurs semaines autour du château de la Belle au bois dormant pour aller à la rencontre des salariés et les interroger sur les discriminations éventuelles.

Depuis octobre, des groupes de réflexion sur la diversité, animés par des directeurs, se réunissent deux heures par mois. Les salariés qui y participent sont tous volontaires. Mais ces initiatives ne semblent pas convaincre SOSRacisme :« Nous avons trois procédures en cours contre Disneyland Paris, commente Émilie Perrier, du service juridique de l’association, car nous estimons que les offres d’emploi sont discriminantes et que les modes de fichage des salariés constituent des faits de fichage ethnique, sanctionnés par la loi. » SOS Racisme conteste par exemple que, dans une offre d’emploi, la langue maternelle polonaise soit exigée, que « toutes les ethnies » soient « bienvenues » ou encore que des salariés soient classés dans les fichiers internes en pourcentages par zones géographiques (Maghreb, Afrique noire, etc.).

À l’issue de la dernière plainte déposée par SOS Racisme en octobre 2009, la direction s’est exprimée dans les pages du Parisien contre une « campagne médiatique déplorable » tout en précisant qu’elle n’effectue « aucune discrimination à l’embauche ». Le 4 novembre, elle a remis à la justice les fichiers internes incriminés. Les experts de SOS Racisme sont actuellement en train de les analyser pour voir s’il y a matière à poursuivre leur action en justice.

2009, mauvaise année ? On veut bien le croire. Malgré nos sollicitations, le directeur des ressources humaines n’a pas souhaité répondre à nos questions au prétexte qu’il y a justement « trop de sujets en cours pour s’exprimer sereinement ». La direction craindrait notamment de jeter de l’huile sur le feu de relations sociales déjà tendues. Aveu d’impuissance ou vrai signe de prudence ?

Des alertes sur la santé et la prévention

Horaires décalés, inconfort des costumes, station debout prolongée, toujours avec le sourire : chez Disney, on sait que faire le bonheur des enfants n’est pas toujours une partie de plaisir. Les personnels médicaux sont formés à cette spécificité : des infirmières pour l’accompagnement des danseurs, par exemple, et un ostéopathe travaillent dans les coulisses pour aider les salariés à combattre les maux de leur quotidien. Mais qu’en est-il de la politique de prévention ? D’après le dernier rapport de la médecine du travail, confortés par des membres des CHSCT, elle serait très insuffisante.

La dizaine de médecins du service autonome de santé au travail est débordée. Le parc d’attractions employant plus de 6 000 personnes en CCD, l’équipe médicale est accaparée par les visites d’embauche (4 560 en 2008), au détriment des visites périodiques et du tiers-temps consacré à la prévention. Une situation que déplore le médecin responsable dans son rapport 2008 soulignant un « retard de 4 000 visites ». Parallèlement, les accidents du travail augmentent régulièrement depuis 2004, étant passés en cinq ans de 2 310 à 4 315 (accidents avec et sans arrêt de travail). Enfin, les CHSCT ont alerté dès 2005 la direction des risques psychosociaux courus par des salariés dans certains secteurs. « Mis à part la constitution de groupes de travail sur le sujet, rien n’a vraiment changé », indique un membre du CHSCT. Faisant état de cette dégradation générale, le rapport 2008 du responsable médical est aussi alarmant. Il a d’autant plus surpris que les comptes rendus précédents étaient plus modérés. Mis à pied par la direction, le responsable en question, qui n’a pas souhaité répondre à nos questions, poursuit son employeur aux prud’hommes.

Auteur

  • Laure Dumont