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Chronique juridique

À propos des licenciements économiques

Chronique juridique | publié le : 01.03.2010 | Jean-Emmanuel Ray

Le droit du licenciement économique étant d’une biblique simplicité, le rôle de chacun parfaitement précisé, gérer un grand licenciement dans un groupe à structures complexes est une partie de plaisir. Avec, chaque année, un petit plus dans cet enchevêtrement de textes, lois, arrêts, accords interprofessionnels et de branche. De quoi créer des emplois pour les juristes !

Le summum semblant atteint avec les procédures d’information-consultation ? des diverses institutions représentatives du personnel, il est souhaitable que la négociation interprofessionnelle en cours s’occupe de cette obscure clarté.

QUESTIONS DE PROCÉDURES

GPEC et PSE, deux procédures autonomes. « La régularité de la consultation du comité d’entreprise sur un projet de licenciement économique n’est pas subordonnée au respect préalable, par l’employeur, de l’obligation de consulter le comité d’entreprise sur l’évolution annuelle des emplois et des qualificationsprévueparl’article L. 2323-56, ni de celle d’engager tous les trois ans une négociation portant sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, imposée par l’article L. 2242-15. » L’arrêt du 30 septembre 2009 a mis fin à la cacophonie des TGI, la chambre sociale s’étant montrée réceptive à l’appel des partenaires sociaux dans l’ANI du 14 novembre 2008 : « La GPEC n’est pas une étape préalable aux procédures de licenciements collectifs et aux PSE, qui obéissent à des règles spécifiques. »

« La régularité de la consultation du comité d’entreprise » n’est donc pas affectée par l’absence de toute négociation d’un accord de GPEC dans les entreprises concernées. Reste à savoir si la chambre sociale n’y verra pas un jour une perte de chance, voire un élément de la cause réelle et sérieuse des licenciements prononcés.

Consultation préalable du CHSCT. Depuis l’arrêt du 25 septembre 2009, il semble risqué de consulter le comité d’entreprise avant d’avoir recueilli l’avis du CHSCT. En l’espèce, il s’agissait d’une simple restructuration sans licenciement économique : mais ce projet étant de nature à modifier les conditions de travail du personnel, pour la chambre sociale il justifiait l’information-consultation du CHSCT, et même le recours à un expert. Dès lors, on voit mal comment un PSE avec des licenciements économiques à la clé pourrait échapper à cette jurisprudence. Il paraît évident que les conditions de travail des « survivants » seront bouleversées par le départ de leurs camarades, comme l’a démontré le rapport européen Health in Restructurating publié en 2009 qui souhaitait, au nom de l’intérêt général, que l’accent soit aussi « mis en amont sur la préservation de la santé psychosociale des salariés devant être licenciés ».

Assourdissant silence de la directive sur le comité d’entreprise européen. La directive du 5 décembre 2009 révisant celle de 1994 n’a pas, hélas, fait avancer le débat sur l’ordre des consultations comité d’entreprise/CCE, comité de groupe/comité européen. « Cet ordre n’est pas prescrit et peut donc se réaliser dans n’importe quel ordre ou de manière concomitante », avait indiqué, sans rire, le TGI de Sarreguemines dans l’affaire Continental le 21 avril 2009 : « On peut estimer que la consultation aille du haut, là où la décision est prise, vers le bas, là où la décision est ap­pliquée ; maisonpeutaussi estimer que la consultation du comité d’entreprise européen sera d’autant plus fructueuse que cet organisme sera éclairé par les avis des comités centraux d’entreprise et des comités d’établissement. » « L’effet utile » de la directive ne sautant pas aux yeux, il serait souhaitable qu’un texte tranche : car cette multiplication à l’infini des procédures assurant les fins de mois des cabinets spécialisés serait distrayante s’il ne s’agissait pas de licenciements économiques.

OBLIGATION D’ADAPTATION ET RECLASSEMENT

Lien adaptation-reclassement. L’employeur doit en permanence assurer l’employabilité interne, mais aussi externe de chaque collaborateur. Mais jusqu’où va cette obligation à l’occasion d’un projet de licenciement économique ? « Les emplois des entreprises du groupe implantées à l’étranger requéraient des compétences que les salariées ne possédaient pas et, de surcroît, celles-ci ne connaissaient pas les langues parlées dans les pays concernés : leur reclassement dans un emploi de ces entreprises aurait exigé une formation excédant la simple adaptation des intéressées à leur emploi. » L’arrêt du 26 janvier 2010 répond aux demandes de deux salariées exigeant leur reclassement au sein d’autres sociétés du groupe situées à l’étranger, « fût-ce au prix d’un (gros) effort de formation et d’adaptation » : il précise qu’adaptation ne doit pas être confondue avec reconversion. Mais l’incise sur le fait que « les salariées ne connaissaient pas les langues parlées dans les pays concernés » serait-elle l’amorce d’une évolution sur l’obligation de reclassement urbi et orbi ?

Reclassement interne. L’employeur doit-il proposer au salarié qui a refusé de suivre son service à Vesoul et qui est licencié pour motif économique de ce fait son reclassement… à Vesoul ? La chambre sociale a toujours décidé que le collaborateur qui ne voulait pas voir Vesoul devait cependant se voir offrir cette seconde chance : il est vrai que les conditions de température et surtout de pression entre la proposition de mobilité future et l’entretien préalable au licenciement ne sont pas exactement les mêmes. Solution identique le 25 novembre 2009 : « La proposition d’une modification du contrat de travail, que le salarié peut toujours refuser, ne dispense pas l’employeur de son obligation de reclassement. » En l’espèce, un commercial refuse légitimement un changement de structure de sa rémunération : dans le cadre de son obligation de reclassement, l’employeur devait-il lui proposer un des postes de commerciaux ouverts au recrutement… aux nouvelles conditions financières qu’il avait justement refusées ? « L’employeur est tenu de proposer au salarié dont le licenciement est envisagé tous les emplois disponibles de la même catégorie ou, à défaut, d’une catégorie inférieure sans pouvoir limiter ses offres en fonction de la volonté présumée de l’intéressé de les refuser. » L’interdiction de prendre en compte la volonté présumée du salarié a été renforcée par l’arrêt Pinault Bois du 4 mars 2009 interdisant à l’entreprise de commencer par envoyer un questionnaire de mobilité géographique avant de lui proposer la Roumanie ou l’Azerbaïdjan…

Mais une proposition de loi pourrait bientôt modifier l’article L. 1233-4 : « Le reclassement du salarié doit s’effectuer sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d’une rémunération équivalente. » Ce qui commencerait par éliminer légitimement les postes à l’étranger dont la rémunération est inférieure au smic. Serait également ajouté un nouvel article L. 1233-4-1 autorisant le questionnaire préalable de mobilité : « Lorsque l’entreprise est implantée hors du territoire national, l’employeur demande au salarié, préalablement au licenciement, s’il accepte de recevoir des offres de reclassement hors de ce territoire, dans chacune des implantations en cause. »

DES OFFRES VALABLES OU PAS

Reclassement externe. À l’inverse de l’obligation de reclassement interne, les offres valables de reclassement (OVR) n’avaient pas fait l’objet d’un volumineux contentieux. Les trois arrêts du 19 janvier 2010 pourraient modifier la donne :

1° Constitue un manquement de l’employeur aux obligations contenues dans le PSE le fait d’avoir soumis à une salariée une seule offre qui n’était pas sérieuse, puisque l’employeur désigné n’avait pas répondu à sa demande. Et que la salariée en cause soit sortie ultérieurement du dispositif de reclassement « n’est pas de nature à exonérer l’employeur des conséquences de ce manquement ».

2° L’employeur n’est pas libéré de son obligation de proposer le nombre déterminé d’OVR prévu par le PSE du seul fait que le salarié a trouvé un autre emploi.

3° Mais l’OVR n’est pas seulement une offre portant sur un emploi répondant à l’objectif professionnel du salarié, mais également l’offre relative à un emploi correspondant soit au métier, soit aux compétences, soit aux aptitudes du salarié ; en l’espèce, il appartenait donc au juge, avant de la considérer comme non effective, de vérifier si l’offre d’emploi de serveuse proposée à la salariée répondait à l’un de ces critères.

À quoi le salarié réintégrant son poste après annulation du PSE a-t-il droit exactement ? L’arrêt du 19 janvier 2010 fera sans doute réfléchir les collaborateurs : car un nouveau PSE, plus présentable aux yeux des juges mais parfois moins favorable, sera souvent mis en place et, finalement, ils se retrouveront à Pôle emploi.

Le licenciement prononcé étant nul, le salarié concerné a d’abord droit au paiement d’une somme correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s’est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, mais « dans la limite du montant des salaires dont il a été privé, déduction faite des revenus qu’il a tirés d’une autre activité et du revenu de remplacement qui lui a été servi pendant cette période ». Bref, tout le dommage, et rien que le dommage : classique.

Plus dissuasif : « L’annulation du PSE oblige le salarié à restituer les sommes perçues sur son fondement, lesquelles doivent venir, par compensation, en déduction de sa créance indemnitaire. » Sur le plan juridique, rien de novateur puisque le plan a été annulé. Mais, sur le plan tactique et à l’instar de la transaction, le salarié a intérêt à bien réfléchir avant de plaider la nullité : si, en termes financiers et autres, le second PSE est nettement moins avantageux que le premier…

En 2009, 22 000 licenciements économiques ont été prononcés, soit une augmentation de 39 % en un an. Plus inattendu : les 49 000 « autres licenciements » (pour l’essentiel pour faute) ont diminué de 15 %. En temps de crise, les salariés commettraient donc moins de fautes ? Bravo ! Encore mieux : les « autres cas » passent de 133 000 à 205 000,soitunehausse de 54 %: cette croissance étant en partie due au succès de la résiliation conventionnelle homologuée, nous voyons que les différents modes de rupture de contrat sont en constante interaction. Qui en doutait vraiment ?

FLASH
Reclassement : un DRH téméraire

L’arrêt rendu par la Cour de cassation le 20 mai 2009 met en scène le directeur des ressources humaines d’une filiale devant supprimer plus de 100 postes mais ne recevant aucune réponse à ses appels au secours à la direction de son groupe au titre du reclassement. Devant la détermination de ses syndicats mais contre l’avis de son directeur général, il avait donc envoyé au siège social une lettre recommandée avec accusé de réception exigeant le recensement des postes ouverts au reclassement. La missive comminatoire fut peu appréciée, et Bayard licencié. Pour la cour d’appel de Paris, il y a défaut de cause réelle et sérieuse : il a agi dans le cadre strict de ses attributions pour satisfaire aux obligations légales, et son comportement « démontrait son souci de respecter la législation en vigueur, et non sa volonté délibérée de s’opposer à l’autorité de son supérieur hiérarchique ».

Rappelons que, dans l’arrêt Unichips du 13 janvier 2010, où un liquidateur judiciaire avait engagé une action contre les autres sociétés du groupe sur le même thème, la chambre sociale a désavoué la cour d’appel en indiquant qu’« une société relevant du même groupe que l’employeur n’est pas, en cette seule qualité, débitrice d’une obligation de reclassement envers les salariés qui sont au service de ce dernier ».

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray