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“En France, le tripartisme avance masqué”

Actu | Entretien | publié le : 01.03.2010 | Sandrine Foulon, Jean-Paul Coulange

En dépit de règles implicites, notre démocratie sociale fonctionne, estime cet expert du social. Mais nous entrons dans une période d’incertitude.

Quel bilan tirez-vous de ? cinquante ans de négociation collective sur l’emploi ?

Elle est remarquablement active, surtout depuis 1968. C’est aussi une spécificité hexagonale, car nulle part ailleurs, hormis en Italie, en Espagne ou au Portugal, mais sur une durée moins longue, on ne retrouve une négociation interprofessionnelle aussi riche sur le plan de l’emploi. Autre caractéristique, en France, l’on négocie toujours entre l’État, le patronat et les syndicats, mais le tripartisme avance masqué. Notre système d’assurance chômage est ainsi le fruit d’un accord signé le 31 décembre 1969, le général de Gaulle ayant menacé de recourir à une ordonnance si les partenaires sociaux ne s’entendaient pas avant le 1er janvier 1970. Plus près de nous, l’accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail a été précédé d’un matraquage de Matignon et de l’Élysée afin que les partenaires sociaux s’entendent.

Ce tripartisme est-il à bout de souffle ?

C’est un système qui fonctionne. Avec des hauts et des bas. Mais chacun s’en accommode : les partenaires sociaux y voient la condition de leur autonomie et l’État peut ainsi légitimer son action. Personne ne veut officialiser ce tripartisme car ce serait socialement incorrect. Le jeu est subtil. Patronat et syndicats ont constamment recours à l’État pour trouver des compromis. Contrairement aux démocraties sociales d’Europe du Nord, où l’État et les partenaires sociaux savent ce qu’ils ont à faire et où personne ne marche sur les plates-bandes de l’autre, en France, la répartition des rôles n’a jamais été vraiment définie. Et cela quelle que soit la couleur du gouvernement en place. En 1993, la droite a imposé par voie législative une loi quinquennale sur l’emploi qui est typiquement du ressort des partenaires sociaux. Et le gouvernement de Lionel Jospin a fait exactement la même chose en 1997 sur la réduction du temps de travail.

La démocratie sociale est-elle respectée ?

À de rares exceptions près, les accords interprofessionnels sont repris lorsqu’ils bénéficient de signatures unanimes ou quasi unanimes. Des échanges informels avec le gouvernement ont généralement lieu avant pour s’assurer que le texte passera. Les partenaires sociaux sont loin d’être des marionnettes. En 2009, le gouvernement n’était pas satisfait de l’accord sur la formation professionnelle. Mais comme il a été paraphé par huit signataires, la loi a suivi. Nicolas Sarkozy voulait le contrat unique mais il a été évacué dès le début des négociations, qui ont débouché sur l’ANI du 11 janvier 2008. En revanche, l’exécutif peut prendre des libertés en cas de division syndicale. En témoigne le bras de fer sur l’assurance chômage en 2000.

Les accords sont-ils efficaces et de qualité ?

Après des négos marathons, les accords sont rarement bons sur le plan technique. Ils sont « nettoyés » par les experts du ministère avant la transposition dans la loi. Ensuite, il est utile de distinguer les accords selon leur nature, s’ils sont créateurs de nouvelles normes, s’ils adressent des demandes à l’État ou s’ils ont pour but de stimuler la négociation de branche. L’efficacité de ces derniers est très faible car les fédérations ne veulent pas se soumettre à la discipline interprofessionnelle. Par ailleurs, il n’existe pas de procédure indépendante d’évaluation de l’impact des négociations interprofessionnelles sur l’emploi. En revanche, leur efficacité sociale est évidente.

Y a-t-il eu des périodes pauvres en matière de négociation ?

La période creuse est incontestablement celle qui a suivi l’échec de la négociation de 1984 sur la flexibilité. Les partenaires sociaux étaient pourtant à un cheveu d’aboutir. Cela a signifié aussi l’échec des négociations multidimensionnelles. Il a fallu attendre 1995, avec l’élection de Jean Gandois à la présidence du CNPF, pour que ce type de négociation collective retrouve de la vigueur, mais avec une réussite partielle. Car l’accord sur la durée du travail du 31 octobre 1995 est resté pratiquement sans suite. Dans la foulée, les négociations ont repris leur cours mais recentrées par spécialité. C’est seulement avec l’ANI du 11 janvier 2008 que l’on a pu voir aboutir une première négociation réellement multidimensionnelle. Concernant l’avenir, nous entrons dans une période d’incertitude. La loi du 20 août 2008 sur la représentativité syndicale va laisser des traces profondes. Elle n’est pas propice à la créativité, les organisations syndicales devenant concurrentes pour des questions de survie.

JACQUES FREYSSINET

Économiste, spécialiste de l’emploi.

PARCOURS

Professeur agrégé, Jacques Freyssinet a dirigé l’Institut des sciences sociales du travail jusqu’en 1988 et présidé le conseil d’administration de l’ANPE de 1981 à 1987. Directeur de l’Ires jusqu’en 2002, il a mis sa retraite et son expertise au service de nombreux organismes, dont le Centre d’études de l’emploi, dont il préside toujours le conseil scientifique. Il vient de publier Négocier l’emploi : 50 ans de négociations interprofessionnelles sur l’emploi et la formation aux éditions Liaisons (voir note de lecture page 71).

Auteur

  • Sandrine Foulon, Jean-Paul Coulange