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Vie des entreprises

La sanction des performances individuelles

Vie des entreprises | ACTUALITÉ JURISPRUDENTIELLE | publié le : 01.04.2000 | Jean-Emmanuel RAY

La Cour de cassation se montre de plus en plus regardante sur la rémunération des performances. Même contractualisés, les objectifs fixés doivent être compatibles avec le marché et les horaires du salarié. Et l'insuffisance invoquée par l'employeur doit reposer sur des faits objectifs et vérifiables.

Le passage aux 35 heures compensé incite nombre d'entreprises voulant garder les meilleurs collaborateurs à mieux associer salaire et réalisation d'objectifs. A fortiori pour les cadres en forfait jours, alors que la part d'augmentation individualisée est pour l'encadrement déjà proche de 80 %.

Si la sanction des performances est avant tout monétaire (voir 1°), elle peut également conduire au licenciement (voir 2°) : dans les deux cas, l'employeur n'est plus seul juge, et les surprises sont nombreuses.

1° Rémunération des performances : une variable pas si variable

Comme le notait l'arrêt du 22 février 2000, il n'est pas indifférent de savoir si les objectifs ont été « annoncés » par l'employeur, ont fait l'objet d'une « concertation » ou d'une véritable « contractualisation » formalisée.

• La fixation unilatérale par l'employeur d'une part variable de rémunération fonction des objectifs était entrée dans les mœurs : exceptionnels étaient les cas de contestation judiciaire de ce bonus. Mais l'évolution récente de la jurisprudence de la chambre sociale (fin de « l'employeur seul juge » – totale rigidité de la rémunération contractuelle) a incité par exemple certains commerciaux (sur le départ ?) à refuser toute évolution unilatérale. Un changement du mode de rémunération (exemple : moins de fixe, plus de variable) constitue en effet une modification que le salarié peut refuser : nouveau système de commissionnement, « peu important que l'employeur prétende que le nouveau mode soit plus avantageux » (Cass. soc., 19 janvier 2000), ou encore « fixation de nouveaux quotas de vente qui touchait directement la rémunération » (Cass. soc., 26 janvier 2000).

• Et si le contrat prévoit une renégociation annuelle ? En cas d'acceptation expresse, la signature du salarié n'empêchera pas le juge de vérifier que les objectifs étaient raisonnables et compatibles avec le marché (Cass. soc., 3 mars 1999). Et, a fortiori depuis les 35 heures, « que le salarié pouvait accomplir le travail demandé dans un temps compatible avec ses horaires » (Cass. soc., 16 novembre 1999).

Mais comment sortir d'un désaccord persistant ? : « Le paiement de la partie variable résultant du contrat de travail, il appartenait au juge de déterminer celle-ci en fonction des critères visés au contrat et des accords des années passées » (Cass. soc., 22 février 2000). Outre le caractère un peu singulier de la saisine du conseil de prud'hommes pour fixer un salaire, quel sera son raisonnement en l'absence de stipulations contractuelles précises ? Ici plus arbitre que juge, ne reconduira-t-il pas purement et simplement l'année précédente ? Côté entreprise, il vaut mieux prévenir (par le contrat) que guérir (au contentieux) : mais l'individualisation de la rémunération est aussi à vocation pédagogique, version hard.

2° Licenciement pour défaut de performances

• « L'insuffisance professionnelle ne peut justifier un licenciement que si elle est établie par des faits objectifs et vérifiables. » L'arrêt du 4 février 2000 montre que, à l'instar de la défunte « perte de confiance », la chambre sociale ne se contente plus d'impressions : elle veut des faits réels et suffisamment sérieux pour justifier la rupture (Cass. soc., 23 février 2000). Mais où trouver ces faits objectifs et vérifiables ? « La fixation unilatérale par l'employeur d'un rendement horaire ne s'analyse pas en un objectif contractuel liant le salarié » (Cass. soc., 18 janvier 2000), particulièrement « en l'absence d'éléments de nature à établir une carence du salarié dans l'exécution de son travail » (Cass. soc., 22 février 2000). L'employeur ne peut, en fixant des objectifs inatteignables, se préconstituer une cause de licenciement.

• Mais si les objectifs ont été fixés conjointement et contractualisés officiellement ? « L'employeur n'apportait pas la preuve d'un engagement contractuel du salarié sur un objectif précis, dont la non-réalisation pouvait lui être opposée. » L'arrêt du 25 janvier 2000 laissait penser que la contractualisation pourrait préconstituer un motif de rupture : c'était oublier le caractère d'ordre public du droit du licenciement, évoqué par la Cour de cassation dès le 3 février 1999. Un directeur de supermarché avait été licencié pour insuffisance de résultat par rapport aux objectifs contractuels. La chambre sociale y affirmait de façon prévisible qu'il appartient au juge de juger : « L'insuffisance de résultats au regard des objectifs fixés ne constitue pas une cause de rupture privant le juge de son pouvoir d'appréciation de l'existence d'une cause réelle et sérieuse. » « Priver », évidemment pas : mais en tant qu'aide à la décision, la contractualisation a un bel avenir…

FLASH

• Individualisations illégales

Discrimination à l'égard du nouveau secrétaire du CHSCT ne bénéficiant plus d'une prime (Cass. soc., 5 octobre 1999) ; non-respect d'un engagement contractuel de rémunération minimal, même si, en l'espèce, les objectifs n'ont pas été atteints (« ce qui est dit est dit » : Cass. soc., 23 février 2000) ; non-versement à un seul salarié d'une prime d'usage (Cass. soc., 1er mars 2000) ; compensation automatique effectuée par certaines entreprises de transport entre le salaire dû et les amendes routières encourues par leurs chauffeurs (compensation illégale et absence de responsabilité pécuniaire du salarié en dehors de la faute dolosive : Cass. soc., 1er février 2000) : la Cour de cassation veille au respect du caractère alimentaire du salaire, rémunération d'un travail, mais qui fait souvent aussi vivre une famille.

Auteur

  • Jean-Emmanuel RAY