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Vie des entreprises

Gallois réforme la SNCF à la vitesse d'un tortillard

Vie des entreprises | METHODE | publié le : 01.04.2000 | Valérie Devillechabrolle

Arrivé en 1996 à la SNCF, Louis Gallois a poursuivi la politique de développement des trafics, initiée par son prédécesseur, qui plaît tant aux cheminots. L'essentiel, pour cet énarque-HEC, est de ne pas provoquer d'étincelles dans cette Cocotte-Minute de 175 000 personnes. Quitte à retarder la modernisation de l'entreprise.

Quatre années de présence de Louis Gallois à la tête de la SNCF n'auront pas suffi à effacer, dans la tête des cheminots, le souvenir des six mois de son éphémère prédécesseur, Loïk Le Floch-Prigent… avant que celui-ci ne soit rattrapé par l'affaire Elf. De fait, tout oppose le flambant capitaine d'industrie Le Floch à l'austère commis de l'État Gallois. Tandis que le premier avait su galvaniser les cheminots par un projet offensif, le développement des trafics après vingt-cinq ans de déclin, le président actuel de la SNCF a bien du mal à les mobiliser avec un discours technocratique, où les « programmes prioritaires » voisinent avec la « gestion par activité ». Alors que Loïk Le Floch-Prigent n'avait pas hésité à donner quelques coups de pied dans la fourmilière, notamment dans les tentaculaires directions centrales, Louis Gallois gère l'entreprise ferroviaire de façon prudente et très politique.

Le contexte s'y prête. Socialiste de cœur, tendance Chevènement, le président de la SNCF est parfaitement en phase avec son ministre de tutelle, le communiste Jean-Claude Gayssot, ancien cheminot de surcroît, sur l'avenir de l'entreprise. La présence à ses côtés de l'ex-directeur de cabinet de Martine Aubry, Guillaume Pepy, au poste de directeur des clientèles et bientôt de Francis Rol-Tanguy, ex-bras droit de Gayssot, à la direction du fret facilite encore les relations avec le gouvernement. Enfin, l'arrivée à la tête de la CGT de Bernard Thibault, homme fort du conflit de 1995 et artisan du recentrage confédéral, permet de calmer les ardeurs contestataires des cheminots CGT. La division par trois du nombre de jours de grève entre 1998 et 1999 est un signe qui ne trompe pas dans ce bastion cégétiste.

Certes, la tâche du président de la SNCF n'est pas facile. Transformer ce mastodonte de 175 000 salariés, protégés par un monopole, un statut en béton et l'emploi à vie, en une entreprise rentable et performante n'est pas une mince affaire. A fortiori avec un personnel hypersyndicalisé et prompt à déclencher des conflits. Pour n'avoir pas su maintenir la paix sociale, plus d'un président de la SNCF l'a payé de son poste. À commencer par Jean Bergougnoux, remercié à la suite du conflit de l'hiver 1995, l'un des plus longs de l'histoire de la SNCF. Louis Gallois le sait et préfère conduire le changement en douceur. Avec un leitmotiv : surtout pas de vagues. Ce qui n'empêche pas Didier Le Reste, qui devrait devenir le leader des cheminots CGT en mai, de trouver que « le président Gallois va un peu vite » en besogne. C'est tout dire.

1 RECONQUÉRIR LA CONFIANCE DES CHEMINOTS

De son prédécesseur, Louis Gallois a repris à son compte la « politique de volume », destinée à restaurer la confiance des cheminots après deux décennies de déclin du chemin de fer. « Accusés de creuser la dette publique, nous étions condamnés à être privatisés », se souvient Denis Andlauer, le responsable des cheminots CFDT. Ce premier gros chantier, le président de la SNCF a mis trois ans « pour l'inscrire dans des faits », explique-t-il. Cette politique de reconquête prend le contre-pied de la recherche de marge, incarnée par Socrate, le logiciel honni des cheminots et des clients. L'objectif visé ? Tout simplement faire revenir les passagers dans les trains. Engagements auprès de la clientèle, simplification des tarifications, nouvelles dessertes cadencées (navettes TGV)… le discours et les actes plaisent aux organisations syndicales, à commencer par la CGT : « Pour la première fois, nous avions l'impression d'être entendus d'une direction qui apportait là des réponses allant dans le sens d'un meilleur service public », dit Lucien Le Canut, qui fut administrateur CGT pendant quinze ans et « sous sept présidents ».

Toutefois, passer de la gestion de la pénurie à celle de l'abondance ne va pas sans soulever de difficultés : « Aujourd'hui, le problème est inverse, on ne sait plus où faire passer nos trains tellement ils sont nombreux ! » souligne Éric Tournebœuf, secrétaire du syndicat Unsa Cheminots, héritier de l'ancienne Fédération maîtrise et cadres de la SNCF. Pour Louis Gallois, cette politique de volume présente de multiples avantages. En particulier celui de bousculer des organisations du travail figées depuis des lustres par des arrangements, à l'échelon local, entre directions et syndicats. Comme la reprise des trafics s'est effectuée, dans un premier temps, à moyens matériels et humains constants, l'effet ne s'est pas fait attendre : en 1998, la SNCF totalise à elle seule 180 000 jours de grève, soit 40 % de ceux enregistrés dans tout le pays. « La politique de volume générait beaucoup de tensions sur les effectifs », observe Francis Dianoux, du syndicat SUD Rail.

Sentant les cheminots se cabrer, Louis Gallois fait mine de lâcher du lest en promettant 25 000 embauches sur trois ans en contrepartie du passage aux 35 heures. Les syndicats ne sont pas dupes : « Du fait des 19 500 départs en retraite, des quelques milliers de titularisations de contractuels et des emplois jeunes, nous sommes au mieux dans une phase de stabilisation des effectifs », observe Éric Tournebœuf. Même Didier Le Reste, qui a approuvé l'accord, est obligé d'en convenir : « La lisibilité des embauches n'est pas bonne, car les cheminots continuent d'avoir des repos et des formations en retard, des congés refusés, des jours fériés payés plutôt que chômés… »

DRH depuis 1996, Pierre Vieu assume ces critiques : « La politique de volume a eu le mérite de permettre à la SNCF de porter un regard différencié sur l'emploi des cheminots en distinguant les postes au contact de la clientèle, qui ont vocation à augmenter, des emplois à caractère industriel (comme la maintenance des infrastructures), qui sont voués à évoluer selon des règles de productivité industrielle. » Le débat sur les suppressions d'emplois est donc loin d'être clos…

2 BICHONNER LES SYNDICATS MAJORITAIRES

En dépit des 3 000 interlocuteurs syndicaux de la SNCF, le dialogue de sourds y a longtemps fait office de concertation, comme en témoignent les 1 000 à 1 500 préavis de grève déposés chaque année. « C'en était au point qu'un jour sans grève surprenait tout le monde », indique Pierre Vieu, qui a été directeur régional à Marseille, l'une des régions les plus frondeuses. Au lendemain d'une nouvelle vague de conflits, en 1998, Louis Gallois prend l'entreprise à témoin : « Quand un phénomène atteint une telle ampleur sur une telle durée, tout le monde est responsable. »

Le président ne cessera alors de déployer des trésors de pédagogie en direction des organisations majoritaires. « Louis Gallois se moque du nombre de syndicats signataires d'un accord. Ce qu'il veut, c'est l'aval de syndicats forts et majoritaires en voix », constate Lucien Le Canut, l'ancien administrateur CGT. Le P-DG bichonne tout particulièrement les responsables de la CGT et de la CFDT, qui totalisent à elles deux 70 % des voix. « Le jour de la première réunion sur les 35 heures, nous avons trouvé sur la table la une du Monde annonçant la signature de l'accord à EDF par la Fédération CGT de l'énergie, raconte Didier Le Reste. Nous avons dû mettre les choses au point : notre signature serait conditionnée par le contenu et non par un effet de mode. »

Cette stratégie du dialogue à deux vitesses a failli se révéler dangereuse. En fin de négociation, alors que la CGT et la CFDT se montrent favorables au projet d'accord et aux 25 000 embauches qu'il prévoit, les minoritaires (Fédération générale autonome des agents de conduite et SUD Rail en tête) organisent un véritable front du refus, grèves à l'appui. Les responsables CGT et CFDT s'en sont sortis in extremis par un référendum, où 61 % des cheminots ont émis un avis favorable. Mais, sur le terrain, leurs équipes ont manqué d'être déstabilisées. Si Louis Gallois qualifie d'« historique » cet accord qui préfigure selon lui « un dialogue social plus serein », la négociation est loin d'avoir pacifié la SNCF. Pour éviter tout débordement local, et avec l'aval des organisations syndicales au sommet, « l'accord national a été volontairement très encadré », comme l'explique Pierre Vieu. Au point de définir la durée journalière du travail, le nombre de jours travaillés et les conditions d'attribution des repos. Il ne restait plus aux 300 chefs d'établissement qu'à tester auprès des syndicats de nouvelles organisations intégrant les aménagements prévus par l'accord national.

D'où un résultat forcément mitigé. « Avec une gare déjà ouverte 20 heures sur 24, j'avais exploité presque toutes les flexibilités possibles », témoigne Maurice Testu, directeur de la gare de Paris nord. Seule nouveauté : « Ce sont maintenant des cheminots sous statut qui font le travail au lieu de contractuels à temps partiel. » Dans les établissements de maintenance où les gains de productivité étaient possibles, les syndicats ont veillé au grain. « Nous sommes retombés dans un schéma classique en allant au conflit à chaque fois que les chefs d'établissement voulaient imposer davantage de flexibilité », se targue Éric Thouzeau, délégué CFDT chargé des 35 heures. Cette négociation classée à haut risque n'a pas déclenché de cataclysme social, mais le bilan est bien maigre. Nouveau directeur délégué aux ressources humaines, chargé de l'emploi, François Nogué note néanmoins que le management a pu, à cette occasion, « réaffirmer son rôle sur le terrain, aller à la rencontre des équipes pour défendre de nouvelles organisations ».

3 RENOUVELER L'ENCADREMENT

Après avoir pendant des années justifié auprès de leurs troupes la stratégie de fermeture des lignes les moins rentables, bon nombre de cadres opérationnels se sont retrouvés en porte-à-faux pour défendre la nouvelle politique de volume. Pis, Louis Gallois n'a autorisé les recrutements qu'au compte-gouttes. « C'est une volonté très stratégique du comité exécutif qui avait peur que les cadres cèdent sous la pression des organisations syndicales sans tenir leur budget », constate le cégétiste Didier Le Reste. Jean-Pierre Farandou, directeur délégué aux cadres, confirme : « On ne peut pas lâcher la barre tant que les cadres ne peuvent pas justifier leurs demandes par un retour sur investissement. » En outre, « une forte culture de production associée au respect impératif des règles de sécurité favorise davantage le sens de l'obéissance et de la rigueur que l'esprit d'initiative, plus difficile à impulser », souligne François Nogué.

Cette faiblesse du management – issu à 88 % de la promotion interne – constitue un sacré obstacle à la modernisation de l'entreprise. Pour y remédier, la direction mise avant tout sur… les départs en retraite. « D'ici à dix ans, 16 000 cadres vont partir, soit 75 % de nos effectifs », indique Jean-Pierre Farandou. L'occasion rêvée de changer la sociologie de cette population ! Sur les 2 000 cadres embauchés chaque année à partir de l'an 2000, 1 250 resteront, tradition oblige, issus de la promotion interne. Mais les autres viendront de l'extérieur : 600 jeunes diplômés pêchés dans toutes les filières universitaires (contre moins de 100 en 1996), et surtout, pour la première fois, 150 cadres confirmés recrutés hors statut. Notamment des professionnels en ressources humaines et en contrôle de gestion. « Aujourd'hui, nous n'avons pas ces compétences ou alors elles ne sont pas au niveau », reconnaît Jean-Pierre Farandou.

De la même façon, des ingénieurs méthodes expérimentés sont en train de faire leur apparition dans les établissements de maintenance. Objectif : en faire des directeurs d'ici à deux ans. Ces nouvelles recrues réussiront-elles à secouer le cocotier du management traditionnel ? Jean-Pierre Farandou et François Nogué en font le pari. Mais s'ils ne sont pas soutenus par un vrai projet managérial, ils risquent de se faire avaler par la lourdeur de la machine.

4 UTILISER LE LEVIER DE LA SATISFACTION DU CLIENT

Conscient de la faiblesse des leviers internes, Louis Gallois mise aujourd'hui sur la pression de la clientèle. C'est tout l'enjeu du projet industriel 2000-2002 présenté en janvier aux syndicats qui vise, selon lui, à « centrer le fonctionnement de l'entreprise sur ses différentes clientèles » : fret, grandes lignes, banlieue parisienne, régions. Depuis l'an passé, la loi permet ainsi aux conseils régionaux, en contrepartie du financement du matériel, de participer à l'élaboration des nouveaux schémas locaux de transport. Or leurs élus ont des exigences. « Là où nous faisions passer un train matin, midi et soir, ils en veulent un toutes les vingt minutes en matinée et en soirée », se félicite Patrice Leroy, directeur délégué au périurbain et au Bassin parisien, chargé de négocier les nouvelles dessertes autour de Rennes, Mulhouse ou Toulouse. « Cela nous oblige, poursuit-il, à mettre en place un nouveau rythme d'utilisation des personnels et des machines. »

Autre pression externe, celle exercée par le Réseau ferré de France (RFF), le nouvel établissement public qui a, depuis 1996, hérité de la propriété des voies en échange de la charge de la colossale dette de 200 milliards de francs de l'entreprise publique. Depuis deux ans, les péages acquittés par la SNCF pour l'utilisation des voies ont doublé, passant de 5 à 10 milliards de francs. Résultat constaté par les syndicats : « la pression sur la recherche des gains de productivité dans les établissements de l'équipement s'accentue ». Pour répondre aux exigences des uns et des autres, la SNCF est également contrainte d'améliorer la lisibilité de ses comptes. « De plus en plus, les clients nous demandent des explications sur la structure de nos coûts, y compris ceux de main-d'œuvre », se félicite François Nogué.

Par ricochet, la SNCF va se doter d'ici à 2002 d'un nouveau système comptable qui lui permettra notamment de détailler ses coûts internes de prestations de services en maintenance. Maurice Testu, le dynamique patron de Paris nord, « rêve depuis des années » d'avoir un vrai compte de résultat qui lui permette enfin de « comptabiliser ses frustrations et de s'en servir pour ouvrir la discussion » avec les tenants de la rigueur budgétaire. Mais cette immixtion des clients dans la vie de l'entreprise a pour effet de raviver les peurs des syndicats : « Toute velléité d'accorder un peu d'autonomie et de souplesse dans l'organisation est perçue, témoigne Denis Andlauer, de la CFDT, comme une attaque contre l'unicité du statut social des cheminots et les sacro-saints principes desécurité ferroviaire. » En dépit des deux heures d'explication de Gallois et des nombreuses assurances qu'il a pu donner sur le maintien du statut, lors du dernier comité central d'entreprise, en février, les huit organisations syndicales ont unanimement voté contre son projet industriel de gestion par activité. « Cette question ne doit pas être abordée de manière idéologique, observe François Nogué. C'est au contraire, pour toute entreprise industrielle, un besoin pragmatique de s'adapter du mieux possible à ses différents marchés. »

5 CONTOURNER LE STATUT GRÂCE À LA FILIALISATION

Pour appliquer son projet d'entreprise, Louis Gallois dispose d'un autre joker : le recours aux filiales qui permettent de s'affranchir du statut. « La gestion par activité s'accompagne en sous-main, remarque Francis Dianoux, permanent de SUD Rail, d'une restructuration très cohérente des différentes filiales de la SNCF. » Exemples : Effia pour les services en gare, VFLI pour le fret et maintenant VIA GTI pour les transports régionaux. « La SNCF commence à se servir de ces filiales de droit privé afin d'abaisser ses prix de revient, poursuit Francis Dianoux. Il n'y a aucune raison qu'elle s'arrête en si bon chemin et n'institutionnalise pas un véritable dumping social interne. »

« Pour développer nos trafics dans le créneau concurrentiel du périurbain, nous allons devoir abaisser nos prix de revient : de 70 à 35 francs le kilomètre, confirme Patrice Leroy, directeur délégué au périurbain. La façon d'y parvenir sera de passer par des filiales dédiées, créées avec les transporteurs urbains et dotées d'une organisation du travail adaptée. » Autrement dit de s'affranchir de la réglementation du travail et du dictionnaire des métiers. Et Patrice Leroy de citer le cas du seul cheminot aujourd'hui détaché à la Saarbahn pour assurer la liaison Sarreguemines-Sarrebruck : « Nous l'avons embauché sous un régime équivalent à celui des conducteurs stagiaires. » Lorsque ce dirigeant évoque cette perspective aux syndicats, ceux-ci ne sautent évidemment pas de joie, mais, assure-t-il, « ils le comprennent parce que c'est une condition nécessaire à ce développement ». Didier Le Reste, futur patron des cheminots CGT, est plus circonspect. Et il est le premier à réclamer à Louis Gallois davantage de transparence sur ses objectifs réels. C'est dire si le chemin de la pacification de la SNCF est encore semé d'embûches…

Entretien avec Louis Gallois
« La culture conflictuelle est une réalité de la SNCF et nous ne la changerons pas en six mois »

C'est au Trésor que Louis Gallois, 56 ans, a commencé sa carrière en 1972. À l'arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981, ce diplômé de HEC et de l'ENA qui n'a jamais caché ses sympathies socialistes prend la direction du cabinet de Jean-Pierre Chevènement, au ministère de l'Industrie, en 1981.

Directeur général de l'industrie entre 1982 et 1986, il devient président de la Snecma en 1989, puis d'Aerospatiale en 1992.

C'est là qu'Alain Juppé vient le chercher en juillet 1996, pour succéder à la tête de la SNCF à Loïk Le Floch-Prigent, empêtré dans l'affaire Elf.

Quel jugement portez-vous sur le climat social actuel à la SNCF ?

Dans notre enquête d'opinion de 1999, 73 % des cheminots se déclaraient optimistes sur l'avenir de la SNCF, contre 29 % en 1995. Pendant des décennies, la SNCF s'est sentie condamnée au déclin. La crise économique de 1993 combinée au lancement de Socrate s'est soldée par une profonde crise de confiance avec la clientèle. La SNCF a enfin été traumatisée par le conflit de l'hiver 1995, la valse des présidents qui s'est ensuivie et une situation financière catastrophique. Redonner des repères à une entreprise qui les avait perdus a été mon premier chantier pendant trois ans. Depuis, la SNCF a retrouvé une visibilité sur sa stratégie autour de trois mots : clients, Europe, efficacité. Le consensus sur la politique de volume est solide même s'il y a débat sur les moyens. Nous pouvons lancer un projet industriel plus ambitieux.

Comment pensez-vous avoir redonné confiance aux cheminots ?

En leur démontrant, par des faits, que nous étions sortis de la dynamique de déclin. La SNCF a, au cours des trois dernières années, davantage augmenté ses trafics que ses principaux voisins. Mais le plus significatif pour les salariés est que la courbe de l'emploi n'est plus orientée à la baisse. Grâce au trafic et à l'accord sur les 35 heures, la SNCF a accru ses effectifs de 800 agents en 1999. Ce rajeunissement constitue un facteur de dynamisme dans des établissements qui n'avaient pas embauché de jeunes depuis dix ans. Toutefois, en inversant la courbe de l'emploi, nous faisons aussi un pari sur la capacité de l'entreprise à poursuivre la croissance de ses trafics en continuant à réaliser les gains de productivité nécessaires.

Or cette politique ne pourra se poursuivre sans une évolution de la production qui permette de faire circuler des trains supplémentaires et sans une réforme de notre fonctionnement. C'est pourquoi nous sommes en train de franchir une nouvelle étape en passant à la gestion par activité.

En quoi consiste-t-elle ?

Ce n'est pas un gadget à la mode, mais la conséquence de la politique de volume. Elle vise à centrer le fonctionnement de l'entreprise sur ses clients en mobilisant les salariés sur le service à rendre. Ce virage revient à passer d'une culture de gestion de moyens à une culture de résultats, en termes de trafic, de qualité du service et de résultats économiques.

Faut-il pour cela que la SNCF change de mode de management ?

Inévitablement, cette culture de résultats se traduira par une responsabilisation de l'encadrement et aura des conséquences en termes d'organisation, d'appréciation et de choix des responsables. Concrètement, la gestion par activité va organiser l'entreprise en trois niveaux de responsabilité : l'établissement, l'activité, la direction. Dans ce schéma, le chef d'établissement va hériter de la responsabilité opérationnelle en s'appuyant sur un encadrement plus solide aux compétences élargies.

Parallèlement, les responsables hiérarchiques seront davantage appréciés sur leur capacité à obtenir des résultats. Les cadres dirigeants bénéficient déjà d'une politique salariale plus dynamique, avec une part variable importante. Sans l'étendre à toute l'entreprise, on peut trouver d'autres formes de mobilisation du personnel, tout en tenant compte de l'aversion cheminote pour toute individualisation des rémunérations.

Les cadres intermédiaires sont-ils favorables à cette évolution ?

Les cadres intermédiaires sont l'interface entre le terrain, l'exécution et la direction, la hiérarchie. Leur rôle est essentiel. Nous devons les informer, les former, les faire évoluer et mieux les reconnaître. Nous allons organiser à l'automne la première convention de l'encadrement. Ce sera l'occasion de réfléchir au rôle des cadres dans la mobilisation de la SNCF. On y parlera aussi de management et de leur statut.

Ne craignez-vous pas de raviver les craintes d'une filialisation de la SNCF ?

À chaque fois que l'on modifie l'organisation de la SNCF, les cheminots pensent que c'est pour mieux la filialiser et la privatiser. Mais je les rassure. Je n'en vois pas la nécessité.

Et si j'en voyais une, je m'en expliquerais avec eux. On me soupçonne aussi de vouloir accentuer les clivages au sein de l'entreprise. Mais ces clivages n'existent-ils pas déjà ? Aujourd'hui, je ne peux pas faire passer un agent de l'équipement à l'exploitation parce que ces postes ne donnent pas droit aux mêmes primes !

Comment va se dérouler cette mutation ?

Un changement de fonctionnement ne se décrète pas par la publication d'un organigramme. Nous allons donc discuter avec les personnels et nous y consacrerons le temps nécessaire.

Ce débat doit être ouvert à d'éventuelles inflexions. Je ne cherche pas à faire preuve de dogmatisme mais, au contraire, de pragmatisme.

Le recrutement traditionnel d'enfants de cheminots n'est-il pas un frein ?

L'embauche d'enfants du personnel ne constitue pas l'essentiel de nos recrutements, loin de là ! Elle peut se traduire effectivement par une certaine reproduction de la culture cheminote ; mais cette dernière a ses qualités et elle est beaucoup moins monolithique qu'on ne le croit. Le maintien de cette tradition ne présente donc pas que des inconvénients, car celle-ci fait partie des repères auxquels les personnels peuvent se raccrocher. Ce n'est pas parce que l'on va construire une nouvelle SNCF que l'on va balayer le passé.

Le bilan des 35 heures est-il positif pour la SNCF ?

La réduction du temps de travail nous a permis d'instaurer un nouveau dialogue social. Pour la première fois dans l'histoire de l'entreprise, un accord de cette importance est signé par les deux principales organisations syndicales. Mieux, cet accord traduit un équilibre entre des jours de repos supplémentaires et des embauches en échange d'une modération salariale et d'organisations du travail plus efficaces au service des clients. Reste à savoir si les aménagements prévus dans l'accord national vont se traduire dans les faits. Pour ma part, je crois qu'il y a eu des changements assez forts.

L'accord national encadre fermement la concertation au niveau local…

La maîtrise de la concertation locale a correspondu à une volonté tant des syndicats que de la direction. Il y allait d'abord de notre conception de l'entreprise : les syndicats sont très attachés à l'unicité du statut social des personnels. Nous ne sommes pas, de notre côté, favorables à une trop grande diversité : ce serait un frein à la mobilité des personnels, que nous souhaitons favoriser. En outre, cette concertation devait avoir lieu dans 300 établissements, peu habitués à négocier et encore imprégnés d'une forte culture conflictuelle. Il fallait les aider à franchir cette étape difficile, par un texte national assez précis. Cela s'est avéré un bon choix : la concertation s'est déroulée dans un climat aussi serein que possible.

La signature de l'accord sur les 35 heures traduit-elle un recul de la culture du conflit ?

Avoir négocié un accord historique l'année où nous avons eu le moins de grèves depuis longtemps est significatif. Pour autant, la culture conflictuelle est une réalité de l'entreprise et nous ne la changerons pas en six mois. Il n'y a pas de recette miracle. On ne pourra sortir de cette situation, qui pèse très fortement sur le développement de l'entreprise, que si les partenaires concernés – direction, cadres, organisations syndicales, mais aussi personnels – prennent leurs responsabilités.

Nous allons donc généraliser une démarche déjà engagée dans sept régions, en ouvrant un débat avec les organisations syndicales sur les voies et les moyens d'une amélioration du dialogue social.

L'État laisse-t-il au président de la SNCF des marges de manœuvre suffisantes ?

Mes ministres de tutelle me laissent l'autonomie de gestion nécessaire à l'exercice de mes responsabilités. Je ne suis pas contre le fait d'avoir un actionnaire exigeant quant à la performance économique, la qualité du service délivré ou encore la transparence de mes comptes. Pour autant, les relations financières entre l'État et la SNCF sont d'une telle complexité qu'elles nécessiteraient une meilleure visibilité pluriannuelle.

Une réforme du régime de retraite des cheminots est-elle nécessaire ?

J'admets l'ouverture d'un débat, mais sans caricature. Le déficit du régime de retraite de la SNCF est lié à la démographie d'une entreprise passée de 500 000 à 175 000 salariés.

Mais le déficit démographique ne s'accroîtra pas dans les vingt prochaines années. Et, en dehors des agents de conduite qui bénéficient de la retraite à 50 ans mais qui ne représentent que 10 % de l'effectif, les cheminots partent à 55 ans. Autrement dit, l'écart avec l'âge moyen des départs dans l'industrie (57 ans) n'est pas si important. J'ajoute enfin que la Cour des comptes a inspecté notre régime de retraite et qu'elle l'a trouvé plutôt bien géré.

Propos recueillis par Denis Boissard, Jean-Paul Coulange et Valérie Devillechabrolle.

Auteur

  • Valérie Devillechabrolle