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Vie des entreprises

Cadre français aux États-Unis : attention aux faux pas !

Vie des entreprises | REPORTAGE | publié le : 01.04.2000 | Michèle Aulagnon

Vraiment puritains, ces Américains ! C'est le constat que font les Français qui partent travailler outre-Atlantique. Règles de base : mieux vaut éviter de complimenter une femme, de raconter une histoire salée, de critiquer un collaborateur. Mais rien de plus facile que d'aller bavarder avec son P-DG.

Lorsque Laurent a emménagé à New York, il pensait arriver en terrain connu. À Paris, il travaillait pour le même établissement financier américain, qui l'avait déjà envoyé en poste à Londres. Surprise totale. Au 47e étage de son gratte-ciel, il se trouve rapidement confronté aux impératifs du politiquement correct en vigueur aux Etats-Unis, qui n'a rien d'une légende. Et ce quadra, responsable de l'achat et de la vente de devises, comprend bien vite qu'il lui faut changer radicalement de comportement dans la salle de marché.

« J'ai découvert, par exemple, qu'ici toute critique doit être formulée en privé, sous peine de créer un véritable séisme, alors qu'en France, quand quelqu'un fait une bourde on en parle ouvertement », explique-t-il. C'est ainsi qu'un jour il est convoqué par le directeur de la salle de marché parce qu'il a « humilié un employé » ; et il est prié de faire ses excuses. Chaque fois que Laurent dépasse une ligne jaune pratiquement invisible pour les étrangers qui arrivent outre-Atlantique, ce n'est pas son interlocuteur qui le lui fait remarquer, mais son supérieur hiérarchique. « Toute critique en public est perçue comme une remise en cause personnelle », confirme un consultant. « À l'inverse, les Américains qui viennent travailler en France ont beaucoup de mal à supporter les « lynchages » en réunion. »

Autre Français de Manhattan, Hubert est vice-président d'une grande banque américaine. Parfois, ses journées à Wall Street prennent une étrange tournure : quelques mois après son arrivée, ses collègues font irruption dans son bureau munis de pinceaux et d'une combinaison pour l'emmener repeindre un hôpital. « J'ai cru qu'il s'agissait d'une blague, d'un bizutage. Mais quand ils sont revenus le lendemain couverts de peinture, j'ai réalisé que le bénévolat faisait complètement partie de la culture d'entreprise. » En trois ans, Hubert a ainsi débroussaillé un parc en Californie, repeint les murs de l'Armée du salut à Las Vegas et emballé des jouets usagés pour les enfants défavorisés à New York. « Il y a parfois jusqu'à 1 500 personnes. Mais nous n'avons même pas le temps de discuter entre nous. Ce n'est pas une partie de plaisir. C'est au contraire très organisé, avec des chefs d'équipe et des objectifs précis. L'idée est d'illustrer le slogan de la compagnie : une entreprise citoyenne. Et pas question d'y couper sous peine d'être considéré comme un mauvais citoyen. Ou, pis encore, comme un mauvais employé. »

Des P-DG très accessibles

Tous les Français qui viennent travailler aux États-Unis font le même constat. Le choc culturel est brutal. « Les étrangers, qu'ils soient français ou non, pensent connaître la société américaine, explique Dean Foster, vice-président des services interculturels du cabinet Windham International. En général, ils connaissent la musique, le cinéma, la littérature. Ils sont déjà venus en vacances, et souvent en voyage d'affaires. La surprise est d'autant plus grande. » Dean Foster parle en connaissance de cause. Depuis vingt ans, il organise des séminaires pour les étrangers qui émigrent aux Etats-Unis et pour les Américains qui partent travailler dans un autre pays. Pour lui, la première leçon à retenir est que les entreprises américaines jugent leurs salariés sur un seul critère : l'exécution des missions qui leur sont confiées. Et de préférence rapide.

« Les Etats-Unis sont un pays moins cartésien que la France. Peu importe la méthode, il faut répondre à la demande. On ne discute pas des moyens de parvenir à un objectif, il faut l'atteindre. » Peu après son arrivée, une Française est venue le trouver : on lui avait demandé un rapport, et elle avait répondu que ce serait un mauvais rapport. « Je lui ai expliqué que son chef de service n'attendait pas une thèse, mais un document rédigé en vingt-quatre heures. D'un côté, les Français pensent que les Américains vont trop vite. De l'autre, les Américains trouvent que les Français passent des heures à discuter avant d'effectuer une tâche. »

Autre règle à intégrer : dans les entreprises américaines, les salariés sont traités sur un pied d'égalité. « N'importe quel employé peut décrocher son téléphone et discuter d'un problème avec le P-DG, indique Cathy Baiardi, de la Chambre de commerce franco-américaine à New York. Les Américains sont moins inhibés par la hiérarchie, et celle-ci peut être modifiée beaucoup plus vite que dans une entreprise de l'Hexagone. » Damien Ponsonnet en a fait l'expérience. Ce médecin a été recruté par la maison mère d'un grand groupe pharmaceutique pour développer un médicament dans le domaine de l'immunoallergologie. Quelques mois après son arrivée, les études cliniques s'avèrent décevantes : la molécule apporte peu d'améliorations aux patients. « Un lundi, j'apprends que les résultats sont mauvais. Le vendredi, le service était démantelé et j'étais transféré en cardiologie », raconte ce scientifique de 38 ans. « Sur le coup, cela m'a beaucoup perturbé. Mais, aujourd'hui, j'apprécie cette vitesse de réaction. En France, mon équipe aurait passé six mois à se demander ce qui allait arriver. Et, au final, le résultat aurait sans doute été le même. »

Les procès pleuvent

Mais le fossé culturel le plus important concerne les relations entre collègues, qui sont étroitement codifiées. L'un des dogmes aux Etats-Unis est le respect absolu des equal opportunities. Cela signifie tout simplement que chacun, homme, femme, Blanc, Noir, hétérosexuel ou homosexuel, jeune ou vieux, doit avoir les mêmes chances dans la vie. Et dans l'entreprise. Tout un arsenal juridique a été bâti pour garantir ce droit. Gare à ne pas remettre en cause cet acquis ! Sinon, les procès pleuvent. Naturellement, le sujet le plus délicat concerne le code de conduite entre salariés de sexes opposés. Damien Ponsonnet ne sait toujours pas comment se comporter devant une porte ! « En France, je tenais les portes pour mes collègues féminines et je les laissais passer devant moi dans l'ascenseur. Ici, j'ai eu l'impression qu'elles me regardaient bizarrement. Alors, je me suis transformé petit à petit en mufle. Je passe le premier et je referme les portes comme si j'étais tout seul. »

Pas facile d'indiquer l'attitude à adopter. « On peut dire à une femme qu'elle a un joli tailleur, mais pas qu'il lui va bien, car cela reviendrait à lui faire un compliment sur son physique. Il faut également faire attention aux demandes les plus anodines. Si un homme demande à une femme de lui apporter un café et qu'elle estime être traitée ainsi uniquement parce qu'elle est une femme, elle gagnera devant les tribunaux », souligne Dean Foster. Son conseil : ignorer les différences. « C'est aussi difficile pour les étrangers que pour les Américains. » D'ailleurs, la commission publique ad hoc reçoit chaque année un déluge de plaintes qui opposent dans la majeure partie des cas des Américains entre eux.

Pas de blagues de potaches

Point culminant de la complexité des rapports humains dans l'entreprise – et sujet de plaisanterie inépuisable pour les Français arrivant aux Etats-Unis –, le harcèlement sexuel empoisonne les relations professionnelles. Expatrié français dans une usine de l'industrie chimique, Jean-Michel a vu débarquer dans son bureau une collègue américaine au bord de la crise de nerfs. « Nous avions eu la visite d'un employé de notre filiale française. Quand ils se sont croisés, ils se sont fait la bise et j'ai juste dit à mon collègue français qu'il avait bien de la chance. » Les Françaises elles-mêmes ne sont pas très à l'aise. Installée aux Etats-Unis depuis quinze ans, Brigitte Fehn donne des cours de français à des cadres d'entreprise américains dans le New Jersey. « Je suis toujours sur mes gardes. Je ne plaisante pas avec mes élèves comme je le ferais en France. » Surtout depuis que l'un d'eux s'est plaint auprès de sa hiérarchie qu'une personne de son service le draguait. « Les preuves qu'il a données sont si banales que j'ai décidé d'adopter, en ce qui me concerne, un comportement totalement neutre. »

Quinze ans après les premiers procès pour harcèlement, le puritanisme est total dans les bureaux. Qu'un salarié ait le sentiment que l'ambiance de travail est hostile à l'un des deux sexes, et une action en justice est entamée. Un calendrier suggestif dans les vestiaires pour hommes ? Prohibé. Des plaisanteries en dessous de la ceinture ? Totalement exclu. Des commentaires sur le physique ? Illégal. Les relations entre supérieurs hiérarchiques et subordonnés ne sont plus les seules concernées. Des cas de harcèlement sont reconnus entre collègues de même niveau, entre propriétaires et locataires, entre professeurs et étudiants, voire entre lycéens. Et les femmes ne sont pas les seules à se poser en victimes. Une plainte sur dix est désormais déposée par un homme. Le résultat, c'est que les comportements au travail se sont profondément modifiés. Les portes des bureaux restent toujours ouvertes. Les secrétaires sont toujours présentes lors des entretiens en tête à tête, car elles pourront ainsi témoigner en cas de litige. Les employeurs cherchent à se prémunir contre les procès éventuels.

La très grande majorité des entreprises organise également des formations, distribue des documents détaillant les comportements inadmissibles, crée des postes de médiateurs. Certaines mettent à la disposition de leurs salariés une « ligne rouge », un numéro de téléphone pour appeler en cas de problème. Il faut dire qu'elles ne sont plus à l'abri des condamnations. L'exemple de Chevron Corp. est édifiant. La firme a été condamnée en 1995 à payer 2,2 millions de dollars d'amende pour « environnement hostile aux femmes ». Parmi les documents fournis au tribunal, un message envoyé par Internet intitulé « 25 raisons de préférer la bière aux femmes » !

Gilles aurait mieux fait de consulter la documentation et la cassette vidéo consacrée au harcèlement sexuel qu'on lui a remis lorsqu'il est arrivé aux Etats-Unis. À peine quatre mois plus tard, ce vétérinaire s'est fait taper sur les doigts à cause des e-mails qu'il reçoit et envoie. Dans la correspondance électronique qu'il entretient avec ses amis et ses collègues restés en France, les blagues de potaches vont bon train. Et cela n'est pas passé inaperçu. Le coup de semonce est venu du service informatique de l'entreprise. Un e-mail l'a informé que tous ses messages avaient été lus et conservés et qu'il serait sanctionné en cas de récidive. L'entreprise lui a demandé de détruire immédiatement tout nouveau message de ce type et d'envoyer à l'expéditeur la note suivante : « Merci de ne plus m'envoyer de message inconvenant. Toute cette correspondance est enregistrée et je peux être tenu pour responsable de tout courrier reçu. » Mais les règlements les plus stricts sont susceptibles aussi d'être détournés. La preuve, Gilles utilise désormais son ordinateur personnel pour sa correspondance…

De l'art du recrutement

Le curriculum vitae, sésame pour tout emploi, est un exercice de style propre à chaque pays. Aux États-Unis, pas question d'y coller sa photo. Le « résumé » doit être neutre, aussi lisse qu'une carte de visite. Personne n'y précise sa situation de famille ou sa race, sujet brûlant outre-Atlantique. Sa date de naissance non plus. Le candidat doit être recruté en fonction de ses compétences et de son expérience, pas selon de son âge. Un récent téléfilm, diffusé il y a quelques semaines sur une grande chaîne de télévision, mettait en scène une femme de 55 ans qui, après quelques années d'interruption de carrière et le décès de son mari, recherchait un emploi à la télévision. Son expérience étant impressionnante, elle obtenait des rendez-vous avec toutes les chaînes qu'elle contactait. Chacun de ses interlocuteurs multipliait les précautions quant à son âge. « Excusez-moi d'avoir l'air d'être indiscret, mais vous serait-il possible de me dire… », s'entendait-elle demander.

Elle finit par obtenir un poste de productrice sur une chaîne très branchée, et apprend que le directeur est poursuivi devant les tribunaux pour avoir licencié un employé le jour de ses 40 ans. Son embauche était en fait, pour la chaîne, un moyen de montrer aux juges qu'elle ne saurait être taxée de « jeunisme ». Les entreprises américaines sont très soucieuses de respecter les règles du recrutement. Tout procès pour discrimination à l'embauche de la part d'une femme, d'une personne un peu âgée, d'un Hispanique ou d'un Afro-Américain leur coûte en effet très cher. Les compagnies sont nombreuses à proposer à leurs cadres des séminaires de conduite d'entretien pour les embauches. Les questions interdites sont longuement détaillées. Cela conduit parfois à d'étranges compromis. Il est par exemple délicat de demander à un candidat s'il peut travailler le week-end, de peur d'obtenir un réponse négative liée à la pratique d'une religion.

Si le candidat n'obtient pas le poste, il pourra poursuivre l'entreprise pour non-respect de la liberté de culte.

Auteur

  • Michèle Aulagnon