logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

Brink's-Ardial : du social light pour un métier à risque

Vie des entreprises | MATCH | publié le : 01.04.2000 | Frédéric Rey

Sur le marché du convoyage de fonds, l'américain Brink's et le suisse Ardial se retrouvent pratiquement en situation de monopole. Avec le même casse-tête : trouver des candidats pour exercer un métier dangereux et mal rémunéré. Reste que, avec les 35 heures et l'intéressement, les salariés de la Brink's sont un peu mieux lotis.

Fourgon bleu et rouge de la Brink's ou camion beige d'Ardial ? Quand un véhicule de convoyage de fonds est stationné devant une agence bancaire, il y a fort à parier qu'il appartient à l'une de ces deux sociétés. De la quarantaine d'entreprises encore présentes dans ce secteur à haut risque lors des années 80, il ne reste plus aujourd'hui que 10 intervenants. Mais les deux majors, Brink's et Ardial, détiennent à elles deux 85 % du marché du transport d'argent. La concentration s'est nettement accrue en 1999, lorsque le groupe bancaire suisse UBS, principal actionnaire d'Ardial, a pris le contrôle de la société Sersé, qui faisait figure de numéro trois. Mais l'américain Brink's, en recul depuis quelques années, détient encore l'avantage avec 45 % des parts de marché, contre 35 % pour son concurrent helvétique.

Entre les deux rivaux, la bataille est engagée. La Brink's a récemment remanié complètement son organisation, désormais simplifiée autour de 3 unités juridiques au lieu de 15 auparavant. Le groupe s'est encore davantage américanisé en adoptant un découpage en business units, correspondant à trois de ses métiers en fort développement : le comptage des fonds ; l'approvisionnement et la maintenance des distributeurs automatiques de billets (DAB) ; et le transport international. Pas de business unit, en revanche, pour le convoyage de fonds, qui reste le main core (noyau principal) de l'entreprise. C'est lui qui occupe le plus grand nombre de salariés : 4 300 personnes sur les 5 400 du groupe.

Baptisée Brink's Évolution, l'activité de convoyage de fonds s'est elle-même restructurée autour de 8 établissements régionaux au lieu de 12 précédemment. « La direction des ressources humaines définit le cadre général, explique Noël Poger, le DRH, mais elle n'a pas vocation à se substituer aux établissements, qui continueront de négocier localement. » Des délégués syndicaux nationaux ont été désignés et la création d'un comité central d'entreprise est en cours de négociation, mais il reste encore des disparités entre les statuts. « Ces différences portent sur certaines primes, sur le montant des Ticket Restaurant et sur les rémunérations, qui varient selon les politiques tarifaires locales », précise Noël Poger. Ainsi, en région parisienne, les salaires d'embauche sont compris entre 8 400 et 9 500 francs brut, alors qu'en province les rémunérations proposées (entre 7 200 et 8 300 francs sur 13 mois) sont calées sur la convention collective.

Une fusion mal digérée

Chez Ardial, les grandes manœuvres ont déjà eu lieu. Le groupe s'est attaqué dès 1993 à la fusion des deux sociétés historiques du groupe. D'un côté, Secso, une émanation du Crédit agricole surtout implantée en zone rurale dans le Sud-Ouest ; de l'autre, Sécuriposte, une filiale de La Poste, où se sont retrouvés aussi bien des facteurs que des agents contractuels. Seul point commun aux deux : « Elles étaient de véritables bureaucraties coûteuses », affirme Alain Corberand, le directeur des ressources humaines d'Ardial. Mais si la fusion a conduit à une harmonisation des rémunérations, elle a aussi connu quelques ratés. Mal conduite, elle a provoqué un empilage de structures, d'activités et de personnels. « Nous revenons de très loin, reconnaît Alain Corberand. Cette fusion a été catastrophique en termes de coût de fonctionnement et d'investissement, qui ont augmenté plus vite que le chiffre d'affaires. » Résultat : en 1996, Ardial s'enfonce dans le rouge avec plusieurs dizaines de millions de francs de pertes. Face à l'urgence, l'entreprise fait appel à un dirigeant extérieur qui se voit confier deux missions : redresser l'entreprise et introduire un nouvel actionnaire, qui sera le groupe bancaire UBS.

L'actionnaire suisse a fait subir une sévère cure d'amaigrissement à sa filiale, en ramenant de 105 à 62 le nombre des centres d'exploitation. Cette rationalisation du réseau s'est accompagnée d'un plan de réduction de 500 emplois, réalisé essentiellement sur la base du volontariat. Aujourd'hui, le transport de fonds emploie 2 366 salariés sur un effectif total de 3 077 personnes. Mais Ardial n'est qu'à moitié guéri, puisqu'il affiche encore 30 millions de francs de pertes. « Accompagnée d'une importante valse des dirigeants, la fusion n'a pas été complètement digérée, estime Marcel Planu, délégué CGT d'Ardial. Nous ne percevons pas de cohérence d'ensemble dans la stratégie de l'entreprise, contrairement à ce qu'on peut observer à la Brink's. »

En matière de dialogue social, Ardial fait figure de parent pauvre par rapport à son concurrent. Il faut dire que dans cette entreprise le paysage syndical ne brille pas par sa cohérence. Après la fusion Secso-Sécuriposte, les organisations sont restées affiliées à leur fédération d'origine. De sorte que la CGT, la CFDT et la CFTC, bien implantées à Sécuriposte, sont toujours des syndicats PTT tandis que FO et CGC sont des adhérentes de la branche transport. « Nos organisations pâtissent d'une faiblesse de moyens et de l'absence de soutien de la part de leur fédération », constate Alain Corberand. Pour couronner le tout, aucun syndicat n'est sorti réellement vainqueur des dernières élections de l'hiver 1999. CFDT, CGT et FO sont au coude à coude. « Vu qu'elles s'entendent comme chien et chat, prêtes à sauter au cou du premier qui se hasarderait à signer le moindre document, il est impossible de dégager une majorité, et les relations sociales sont enferrées », se désespère le DRH.

La Brink's en tête sur les 35 h

La désunion syndicale s'est fait sentir avec les négociations sur la réduction du temps de travail. Engagées en septembre 1999, les discussions piétinent allégrement. Et les salariés d'Ardial envient leurs collègues de la Brink's qui sont déjà passés aux 35 heures. Tous les établissements du groupe ont en effet signé, à la fin de l'année 1999, un accord prenant comme modèle celui conclu dans la branche. Avec, même, quelques améliorations. « Contrairement au monde du transport, nous avons décidé d'une répartition de la durée du travail sur cinq jours au maximum, au lieu de six », indique le DRH, Noël Poger. Il ne peut y avoir de sixième jour de travail que 12 fois dans l'année. Au-delà, le taux horaire est majoré de 25 %. Autre nouveauté, les salariés de la Brink's ne pourront pas être appelés en renfort pour un temps de travail inférieur à trois heures cinquante sur une journée.

Enfin, cet accord a également été l'occasion de requalifier un nombre important de temps partiels en temps pleins. Mais les deux premiers mois de mise en œuvre ont provoqué beaucoup de couacs dans la modulation.

À Nice, la CFTC a saisi l'inspection du travail : « Nous avons découvert que la direction rectifiait après coup les plannings pour masquer une mauvaise gestion prévisionnelle », explique le délégué de la confédération chrétienne, Claude Negri. En Rhône-Alpes, les dérapages de la modulation ont été à l'origine d'une grève. « Des gens ont pointé jusqu'à 52 heures », signale Patrick Noscowitz, de la CFDT. Pour le DRH de la Brink's, le démarrage laborieux des 35 heures est surtout lié à la difficulté de trouver de la main-d'œuvre.

Même s'il n'a pas encore signé d'accord de réduction du temps de travail, le concurrent de la Brink's a connu les mêmes difficultés dans l'application d'un accord de modulation, conclu en mai 1998 avec la CGC et la CFDT, à un moment où l'entreprise devait impérativement remonter la pente. Ce dispositif permet une fluctuation de la durée du travail, dans une fourchette comprise entre 32 et 44 heures hebdomadaires, avec un système de taquets. Première limite : toutes les heures au-delà de la 44e sont majorées. Deuxième limite : toutes les heures effectuées entre 39 et 44 heures sont comptabilisées sur un compte individuel. L'entreprise est alors débitrice à l'égard du salarié. À l'inverse, lorsque le salarié travaille entre 32 et 39 heures, c'est lui qui est débiteur à l'égard de l'employeur. Le solde ne doit pas dépasser 35 heures, sauf à ouvrir droit à une majoration. Le système vise ainsi à l'autorégulation. Toutefois, si en fin d'année l'entreprise est encore redevable d'heures à ses salariés, celles-ci sont payées comme des heures supplémentaires.

En contrepartie de cette modulation, le temps de travail a été ramené à 37 heures, par l'octroi de six jours de congé supplémentaires. Pour faire passer la pilule de la modulation et de la perte des heures supplémentaires, l'entreprise, en plein redressement, a maintenu les avantages maison : prime d'ancienneté, prime de vacances et prise en charge des trois jours de carence maladie.

Dressant un bilan négatif de cet accord, la CFDT, vivement critiquée par les autres organisations syndicales, a finalement dénoncé sa signature. Faut-il préciser qu'elle a reculé de sept points aux dernières élections professionnelle ? « C'est pourtant un bon accord qui était novateur à l'époque, continue de penser Alain Corberand. J'en veux pour preuve que son application n'est difficile qu'en région parisienne, où le manque de personnel a fait exploser le nombre d'heures supplémentaires. » Même constat à la Brink's, à propos des 35 heures : « Dans certaines régions, le bilan de la RTT est problématique, car nous ne sommes même pas parvenus à réaliser la moitié des embauches prévues », se plaint Noël Poger.

La Brink's n'a pas trouvé de meilleure recette qu'Ardial pour recruter. Les deux transporteurs de fonds souffrent l'un et l'autre du manque de main-d'œuvre, particulièrement aigu dans l'agglomération parisienne. La première difficulté tient à la durée de la procédure d'embauche, qui peut s'étaler sur six, voire huit mois. Le port d'arme nécessite en effet une autorisation délivrée par la préfecture de police. Pour valider le recrutement des candidats proposés par les entreprises, les services de police non seulement exigent un casier judiciaire vierge, mais procèdent à une enquête de moralité. Cette contrainte interdit notamment aux sociétés de convoyage de recourir au travail intérimaire ou précaire. « En région parisienne, les délais de recrutement sont plus longs qu'ailleurs, faute d'effectifs suffisants dans la police », regrette Alain Corberand, DRH d'Ardial.

Pas de prime de risque

Or, rien qu'en région parisienne, Ardial devra embaucher une cinquantaine de personnes en raison du passage aux 35 heures. Pour la Brink's, avec un objectif de 6 % de créations d'emplois, le groupe doit dénicher 260 personnes sur l'ensemble du territoire ! Pendant longtemps, les transporteurs de fonds ont trouvé la parade en constituant un vivier de jeunes fournis par l'ANPE. Mais, depuis le retour de la croissance, les délais d'agrément par les services de police découragent les candidats, qui ont par ailleurs moins de mal à trouver du travail. D'autant que la profession a, à juste titre, une image de métier dangereux dans l'opinion publique (voir encadré).

Et pourtant, aucune prime de risque n'est versée dans ce secteur d'activité qui a connu cinq agressions mortelles en 1999. « Ce métier n'est pas rémunéré à son juste prix », reconnaît Alain Corberand, DRH d'Ardial. Clientes et souvent actionnaires des sociétés de convoyage, les banques fixent les règles du jeu, en exerçant une forte pression sur les prix et donc sur les salaires. Dans les deux entreprises, le salaire d'embauche est revalorisé de 4 % après cinq ans d'ancienneté, mais Ardial se montre plus généreux par la suite, la prime atteignant 15 % au bout de quinze ans de présence, tandis que la Brink's s'en tient strictement à la convention collective, qui prévoit 8 %. En revanche, la filiale française du groupe américain envisage la négociation d'un accord d'intéressement, mais surtout pour compenser la perte des heures supplémentaires provoquée par le passage aux 35 heures.

Des convoyeurs sans arme ?

« Les banques se sont déchargées de la question de l'insécurité sur les convoyeurs, regrette Jacques Charles, délégué CFDT de la Brink's. Le plus dangereux aujourd'hui, ce sont les quelques mètres à faire à pied entre le camion et le sas de la banque. » Réglementée par le ministère de l'Intérieur, l'activité à bord des véhicules blindés impose la présence de trois convoyeurs revêtus d'un gilet pare-balles se partageant les rôles. Le garde descend le premier s'assurer que la voie est libre pour le chef de voiture, chargé de transférer les fonds entre la ban que et le fourgon. Le chauffeur ne quitte pas le camion et couvre ses deux collègues. Un scénario parfaitement rodé qui pourrait subir, avec le développement du hold down system (HDS), un changement radical. Avec le HDS, les fonds sont transportés dans un caisson bourré d'électronique. Cette grosse valise comporte notamment un système de protection par encre indélébile. Une partie des billets est ainsi maculée à la moindre tentative d'effraction. Mais l'intérêt du HDS est surtout économique. Le transport peut se faire dans un véhicule banalisé, beaucoup moins cher qu'un fourgon blindé. Il ne requiert plus qu'un salarié au lieu de trois. Enfin, ces convoyeurs à la valise ne portent pas d'arme, ce qui présente l'avantage d'éliminer la procédure d'autorisation, maillon faible dans la chaîne du recrutement.

Les syndicats de la Brink's et d'Ardial combattent avec énergie la généralisation du HDS, système qu'ils considèrent plus dangereux pour le convoyeur, qui circule alors seul et sans arme – cette dernière étant pourtant une source de danger accrue pour le convoyeur. Autre élément d'inquiétude syndicale, l'extension du travail de nuit, qui augmenterait encore les risques d'agression. Sur ces deux sujets, les directions de la Brink's et d'Ardial ont des points de vue radicalement divergents. La première soutient un projet d'accord national interdisant le travail de nuit entre 22 heures et 6 heures. « Nous sommes réservés sur l'activité de nuit, car nous avons eu deux agressions nocturnes », explique Noël Poger, le DRH. Ardial considère au contraire qu'il revient à chaque entreprise de se prononcer en fonction de sa situation.

Quant à la valise à billets, la Brink's ne l'envisage pas comme un mode de transport alternatif, mais songe à l'utiliser en complément, entre la banque et le fourgon blindé. Ardial l'expérimente dans cinq de ses centres, avec des résultats nuancés. « Le niveau de l'emploi n'a pas diminué, certifie Alain Corberand. Et pour la sécurité, s'il est vrai que proportionnellement les agressions sont plus nombreuses, aucune n'a entraîné la mort d'un convoyeur. Mais il est difficile d'ouvrir un débat dans cette profession, où les convoyeurs, aristocratie des salariés et seuls syndiqués, ont des positions très fermes. 

Pourtant, si le cœur de métier de la Brink's et d'Ardial reste le convoyage de fonds, leurs réservoirs de croissance et de rentabilité sont ailleurs. Sous l'effet de l'externalisation d'autres services bancaires, les deux entreprises se sont spécialisées dans des activités de comptage et de postmarquage des chèques. Un petit monde d'abeilles qui, contrairement aux roulants, est sédentaire et majoritairement féminin. Ce personnel est aussi moins bien rémunéré et travaille à un rythme plus soutenu que les convoyeurs. Des problèmes sociaux commencent d'ailleurs à faire leur apparition… 

Un métier dangereux

Marseille, le matin du jeudi 9 mars, un fourgon blindé bourré d'argent s'engage sur la bretelle d'accès à l'autoroute. Trois voitures l'ont pris en chasse pour l'encercler. De la fenêtre d'un des véhicules, un homme pose un pain de plastique sur le fourgon. En moins d'une minute, les gangsters dérobent tout le contenu en passant par le trou provoqué par l'explosion. En prenant la fuite, ils ont laissé sur place un lance-roquettes.

En 1999, le centre de la Brink's à Bordeaux a été attaqué par trois hommes armés de kalachnikovs. Un convoyeur a été tué.

Les trois salariés d'Ardial ont eu plus de chance. Ils ne sont que sonnés. Ardial a tout de suite proposé l'intervention de victimologues. Ces professionnels spécialisés dans les attentats apportent un soutien au personnel et à sa famille. La Brink's travaille de manière identique avec un cabinet de psychologues. Les deux entreprises forment aussi leurs convoyeurs aux comportements de survie en situation de danger, à la psychologie de l'agresseur ou encore à la conduite à tenir pour se dégager d'un traquenard. Mais tous les ans des convoyeurs sont tués, ce qui a amené ces sociétés à mettre l'accent sur la prévoyance sociale.

Chez Ardial, le capital décès s'élève à 450 000 francs avec une majoration de 20 % par enfant à charge. La Brink's a choisi de le porter à 1 million de francs.

Auteur

  • Frédéric Rey