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Repères

L'État-patron dans les cordes

Repères | publié le : 01.04.2000 | Denis Boissard

La réforme de l'administration fiscale enterrée, les rénovateurs Claude Allègre et Christian Sautter désavoués dans leur bras de fer l'un avec la FSU, l'autre avec FO-Finances, douze milliards « lâchés » aux hôpitaux… le mois de mars a été désastreux pour l'État employeur. La conjonction d'un gouvernement fragilisé dans les sondages, d'échéances électorales proches et d'un syndicalisme (celui du public) aussi puissant que foncièrement conservateur bloque, une fois de plus, toute tentative, si modeste soit-elle, d'adapter le secteur public aux réalités économiques. Seule maigre consolation : les fonctionnaires pourraient, à terme, comme les salariés du secteur privé, cotiser 40 années (au lieu de 37,5 aujourd'hui) pour bénéficier d'une retraite à taux plein.

Mais cet alignement virtuel entre public et privé résulte d'une proposition du Premier ministre que les organisations syndicales majoritaires dans la fonction publique se sont empressées de rejeter.

Rien de surprenant. Que les régimes de retraite du secteur public aillent dans le mur pour cause de déséquilibre démographique, que les déclarations de revenus soient informatisées et en passe d'être remplies via Internet, que le nombre des élèves ne cesse de diminuer (400 000 de moins en dix ans)… qu'à cela ne tienne, pour la quasi-totalité des syndicats du public, il est urgent que rien ne bouge. Avec un leitmotiv ressassé à longueur de manifestations : il faut plus de moyens, de postes, de crédits pour le service public. Toujours plus. Et, devant cette revendication aussi primaire que « surréaliste », l'État temporise, tergiverse, et finit toujours, bon gré mal gré, par lâcher du lest. Écornant sa promesse de stabiliser le nombre de fonctionnaires, le gouvernement Jospin vient ainsi, coup sur coup, de concéder 12 000 embauches de personnel hospitalier (sans compter les recrutements supplémentaires liés aux 35 heures), un plan pluriannuel de créations d'emplois à l'Éducation nationale et le gel des suppressions de postes prévues au ministère des Finances.

La gestion du conflit des hôpitaux est symptomatique de l'inquiétante faiblesse des pouvoirs publics. C'est à coups de milliards – 10 milliards en trois ans pour les agents hospitaliers, pratiquement 2 pour les praticiens – que Martine Aubry a, provisoirement au moins, éteint le feu qui embrasait le secteur.

Des services d'urgence débordés, des locaux vétustes, des infirmières malades non remplacées, des conditions de travail harassantes, des rémunérations peu attractives… le mécontentement du personnel hospitalier est parfaitement légitime. À ceci près que l'hôpital ne souffre pas d'un manque de moyens (il est largement mieux doté que la plupart de ses homologues européens), mais d'une mauvaise répartition de ceux-ci.

De l'avis de tous les économistes de la santé et de tous les rapports sur notre système de soins, l'offre hospitalière est largement excédentaire par rapport aux besoins sanitaires des Français. Les progrès de la médecine aidant, la durée moyenne de séjour à l'hôpital ne cesse de diminuer. Tant et si bien que la France compte aujourd'hui entre 30 000 et 50 000 lits de trop, et – avec eux – le personnel en excédent nécessaire à leur maintien en activité. Le problème est que, devant la résistance des élus locaux, l'hostilité des agents hospitaliers concernés et les atermoiements des pouvoirs publics, la refonte du paysage hospitalier – objectif assigné aux directeurs des agences régionales de l'hospitalisation (ARH) mises en place par la réforme Juppé – avance à pas de tortue, au rythme de quelque 2 000 lits supprimés chaque année. Faute d'une restructuration conduite avec détermination, l'enveloppe budgétaire accordée aux hôpitaux est éparpillée dans un trop grand nombre de services et d'établissements, et ce sont paradoxalement les plus performants, les plus sollicités, qui se retrouvent asphyxiés.

Tant que rien n'est fait pour améliorer l'efficacité du système, tant que les pouvoirs publics ne procéderont pas à une sérieuse opération de reengineering du secteur hospitalier, y injecter des milliards supplémentaires revient à placer un cautère sur une jambe de bois, à adoucir le mal sans le traiter. Et la remarque vaut pour l'ensemble du secteur public.

Auteur

  • Denis Boissard