logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Outre-Rhin, une réforme de santé en cache toujours une autre

Politique sociale | REPORTAGE | publié le : 01.04.2000 | Sabine Syfuss-Arnaud

Autonomie des caisses, mise en concurrence avec le privé, création de filières de soins… Depuis vingt ans, l'Allemagne fait feu de tout bois pour maîtriser ses dépenses de santé. Dernière réforme en date : celle d'Andrea Fischer. Mais ni les patients, ni les médecins, ni les finances de l'assurance maladie n'y trouvent vraiment leur compte.

Roswitha a grandi à l'Est, à Magdebourg. Depuis la chute du Mur, elle vit à Berlin. De l'ancien régime communiste, cette trentenaire au discours rebelle ne regrette que le système de santé. « Avant, tout était gratuit. Aujourd'hui, le moindre rhume, c'est la ruine. Ma dernière laryngite m'a coûté 60 marks (200 francs environ), non remboursés. Depuis deux ans, je n'ai plus consulté de médecin. Je vais directement à la pharmacie. » Pourtant, elle verse chaque mois près de 700 francs à une caisse d'assurance maladie – l'équivalent de la moitié de son loyer en logement social. Siegrid Linnenbrügger a toujours vécu à l'Ouest, près de Hambourg. Elle se plaint également du coût exorbitant de la santé. « Il y a vingt ans, il aurait été inimaginable de payer une prise en charge forfaitaire à l'hôpital ou de débourser près de 25 francs pour une boîte de médicaments. »

À l'Est comme à l'Ouest, les médecins ne sont pas contents non plus. « Auparavant, je prenais tout le temps qu'il fallait avec mes patients. Aujourd'hui, je suis devenu chef d'entreprise. Je dois rendre des comptes aux caisses sur mes actes et mes prescriptions », indique Ludwig, un généraliste qui a commencé sa carrière dans l'ex-RDA. Quant à Albrecht, gynécologue libéral depuis 1978 à Berlin-Ouest, il évoque lui aussi « une pratique qui a totalement changé, une bureaucratie envahissante et des revenus en baisse de 30 % depuis dix ans ».

La dernière réforme en date dans la santé, celle d'Andrea Fischer, ministre Verts du gouvernement Schröder, n'a pas été du goût des médecins allemands. 22 000 d'entre eux sont descendus dans les rues de Berlin, le 22 septembre 1999. Et pourtant, ils en ont vu passer des ministres et des réformes. L'Allemagne a été un des premiers pays européens, comme la France, à se lancer dans une politique de réduction des dépenses de santé, il y a une vingtaine d'années. Un peu avant l'Hexagone, les Allemands ont été confrontés à une forte augmentation du nombre de retraités et à une offre de soins exponentielle. Ensuite, dans les années 90, les comptes sociaux ont été plombés par la création d'une assurance dépendance, par la réunification et par la récession : les 4 millions de chômeurs qu'enregistre l'Allemagne depuis près de dix ans ne contribuent pas au financement de la santé, puisque, comme en France, les cotisations sont prélevées sur les salaires.

Une radio sur deux inutile

Autant de facteurs qui expliquent que l'Allemagne est la championne d'Europe des réformes du système de soins. Si la France a lancé près de vingt plans de redressement des comptes de l'assurance maladie en vingt ans et une réforme globale (le plan Juppé de 1995), on recense outre-Rhin une cinquantaine de plans et quatre grandes réformes de la santé, qui portent toutes le nom du ministre de l'époque : réforme Blüm de 1988, réformes Seehofer en 1992 et 1997 et réforme Fischer, en vigueur depuis le 1er janvier 2000. Même si elles ont été conçues par trois ministres différents, deux de droite et la dernière de gauche, toutes vont dans le même sens : économies en tout sens et lutte contre le gaspillage, en contrepartie d'une meilleure prise en charge des malades. Certains experts ne sont pas loin de penser que l'écologiste Andrea Fischer tente aujourd'hui de mettre en œuvre la réforme dont rêvait Horst Seehofer, ministre du chancelier conservateur Kohl. « Il y a beaucoup de points communs entre la réforme de Seehofer de 1992 et celle de 2000. En revanche, entre la réforme Seehofer de 1992 et celle de 1997, il y a eu un virage à 180 degrés. La première, plus sévère avec les médecins, a été adoptée avec le soutien des sociaux-démocrates. Pour la seconde, les libéraux ont poussé pour que la pression sur les praticiens et les laboratoires pharmaceutiques se relâche », indique Jürgen Feick, chercheur au Max-Planck Institut de Cologne.

À l'instar des dirigeants de la Cnam pour l'assurance maladie française, Andrea Fischer est persuadée que le système de santé allemand – 1 870 milliards de francs de dépenses, et près de 1 000 milliards de francs de remboursements – peut facilement être délesté d'examens redondants, d'actes inutiles et autres prescriptions superflues. Les caisses d'assurance maladie estiment à 85 milliards de francs les économies possibles. Une radiographie sur deux serait inutile et une césarienne sur deux médicalement injustifiée. Mais, à l'automne dernier, la Pasionaria de la santé a dû revoir ses ambitions à la baisse, sous la pression de la droite majoritaire au Bundesrat, le Sénat allemand, et des médecins. Au point qu'à la mi-décembre un journal titrait : « Une petite réforme de la santé en passe d'être adoptée. »

7 millions de clients pour le privé

Reste qu'une partie du chemin a déjà été parcourue. Alors qu'en France la menace est régulièrement brandie, les caisses allemandes d'assurance maladie sont en concurrence. Auparavant, les assurés adhéraient soit à la caisse de leur région, soit à celle de leur entreprise. Depuis quatre ans, ils ont une grande liberté de choix. Les caisses sont libres de déterminer leurs taux de cotisations, mais la loi fédérale fixe des limites. C'est l'État aussi qui détermine la nature et le montant des soins remboursés. Aujourd'hui, campagnes publicitaires à l'appui, les caisses essaient d'attirer le client en mettant en avant la qualité de leur gestion, leurs faibles frais de fonctionnement, voire en lui proposant, en plus, l'accès à un centre de remise en forme ! C'est leur intérêt, puisque les assurés peuvent changer de caisse chaque année.

Mais ils ont également la possibilité, qui n'existe pas en France, de choisir un assureur privé. Sans retour en arrière. Ils sont environ 7 millions d'Allemands, soit moins de 10 % de la population, en général des jeunes, célibataires, aisés et bien portants, à avoir opté pour cette solution. « Je suis couvert pour le strict nécessaire, mais les cotisations sont moitié moins chères que celles des caisses publiques. Je sais qu'elles vont augmenter. Dans vingt ans, elles seront certainement exorbitantes. Mais, d'ici là, il n'y aura peut-être plus de caisses publiques », explique Thomas Jändl, 34 ans, ingénieur du son à Berlin. La réforme Fischer ne cherche pas à revenir en arrière, mais à accroître l'autonomie des caisses d'assurance maladie. Dès cet été, elles pourront négocier avec des regroupements de médecins. Inutile de dire que cette mesure a fait grand bruit dans le milieu médical, les praticiens craignant de se retrouver en position de faiblesse.

Pour Markus Schneider, qui dirige Basys, un centre de recherche spécialisé en économie de la santé, la réforme en cours se rapproche du modèle américain des Health Maintenance Organisations (HMO), où les médecins sont engagés dans une véritable relation commerciale avec les assurances privées. Elle prône la création de filières de soins par les professionnels de la santé, afin d'éviter la multiplication d'actes et d'examens inutiles. Une centaine d'expériences ont déjà été lancées, notamment à Berlin, où plusieurs caisses ont convaincu 600 médecins et 20 000 patients. Cette organisation aurait fait baisser les dépenses de 4,3 %, malgré une meilleure rémunération des praticiens. En retour, les caisses ont consenti aux assurés une ristourne de près de 400 francs par an sur leurs cotisations. L'autre volet de la réforme Fischer est plus controversé. Il repose sur le principe du médecin référent, qui a bien du mal à voir le jour en France, c'est-à-dire sur l'idée qu'il revient à un praticien unique d'orienter le malade vers l'hôpital ou le spécialiste.

Des médecins sous surveillance

Sans surprise, le plan de maîtrise des dépenses de santé s'attaque également à l'activité médicale. Rien de révolutionnaire : les blouses blanches sont soumises à une enveloppe annuelle de dépenses depuis les années 80. Mais, selon les époques, ce budget a été global pour l'ensemble de la profession, ou plus individualisé en fonction des spécialités et des pratiques. La réforme Seehofer de 1992 prévoyait même que les médecins les plus dépensiers pourraient payer des amendes. Comme en France, ces sanctions n'ont jamais été appliquées. Après moult tergiversations, Andrea Fischer a maintenu un mécanisme de budget par spécialité, accompagné d'un suivi individuel et d'une enveloppe par cabinet, fonction également des spécificités régionales et de la clientèle. Cette mesure, très impopulaire dans le corps médical, est plus facile à mettre en œuvre outre-Rhin, où tous les cabinets sont informatisés. Ingrid Schultz, qui dirige un cabinet de kinésithérapie près de Hambourg, en a vite senti les effets. « Depuis janvier, au lieu de prescrire six à dix séances de kiné, les généralistes n'en demandent plus que trois ou quatre. Mon activité a terriblement chuté. »

Les médecins allemands sont davantage sous surveillance que leurs collègues français. Depuis 1992, ils n'ont plus une liberté totale d'installation. Ce verrou, renforcé par le durcissement du numerus clausus pendant les études, est destiné à équilibrer la densité médicale. La capitale fédérale, en particulier, compte beaucoup trop de médecins : 24 000, dont 6 200 installés en cabinet. « Berlin a un fort pouvoir d'attraction. Longtemps nous avons formé 1 600 à 2 000 étudiants par an. À l'avenir, il n'y en aura plus que 600. Mais la situation demeure préoccupante car il y a à présent des médecins au chômage, ce qui était inenvisageable dans le passé », indique Rudolf Fitzner, hospitalier et représentant du principal syndicat berlinois de médecins, Hartmannbund. Sacha, 32 ans, tout juste diplômé, s'estime heureux d'avoir trouvé une place – en CDD – dans une clinique de gériatrie à Berlin : « J'ai de la chance de faire mon métier. Certains de mes camarades de promotion sont agent immobilier ou chauffeur de taxi. »

Le seul acteur qui ne devait pas pâtir de la réforme Fischer était le patient. Mais, réforme après réforme, son porte-monnaie a été de plus en plus sollicité. Les frais d'hospitalisation, d'ambulance, les cures ne sont plus remboursés intégralement. Pour les médicaments, il existe une franchise de 20 à 40 francs par boîte et un tarif unique de remboursement par classe thérapeutique. Si le médecin prescrit un médicament plus cher, le patient paie la différence. Le ministère de la Santé a voulu pousser plus loin la logique en publiant la liste de l'ensemble des médicaments remboursables, initiative déjà envisagée en 1992. Les oppositions conjuguées des praticiens et de la droite l'ont fait reculer. À défaut, Andrea Fischer a décidé au début du mois de mars d'allonger la liste des médicaments non remboursés mise en place dès le début des années 90.

Gaspillage dans les examens

Mais l'échec patent de la ministre écolo reste, comme en France, la réforme des hôpitaux, qui détiennent un record de durée des séjours. Les économies sont difficiles parce qu'ils appartiennent souvent aux Länder, qui les gèrent en gardant les gens le plus longtemps possible. Autre facteur de gaspillage : l'absence de passerelle entre médecine de ville et hôpital. Il n'est pas rare que les malades subissent des examens en double. Andrea Fischer avait souhaité donner plus de pouvoir aux caisses sur l'hôpital. Là aussi, son combat est mal engagé.

Malgré tout, les comptes de la santé devraient s'améliorer. On parle de 3,5 milliards de francs d'excédent. En grande partie grâce à l'embellie économique, qui diminue le nombre de chômeurs et augmente celui des cotisants. Mais aussi grâce à un artifice. En avril 1999, le gouvernement a mis fin à l'exonération de cotisations dont bénéficiaient les « petits boulots », qui se comptent par millions outre-Rhin. Un cautère sur une jambe de bois. L'allongement de la durée de vie et l'élévation du niveau de vie devraient, comme dans les autres pays développés, accroître le poids des dépenses de santé. De 8 % du PIB en 1970, elles pourraient passer à 17,5 % en 2030 !

Les comptes de la Santé pèsent directement sur le coût du travail

En arrivant au gouvernement à l'automne 1998, la ministre Verts de la Santé, Andrea Fischer, a prévenu qu'il était hors de question que les cotisations aux caisses maladie augmentent. Car, financées moitié par l'employeur, moitié par le salarié, elles pèsent directement sur le coût du travail, qui, en Allemagne, est déjà l'un des plus élevés au monde. Et, pour la ministre écologiste, plus les charges sociales sont élevées, plus il est difficile de faire reculer le chômage.

Depuis la mise en concurrence des caisses d'assurance maladie en 1996, chacune fixe ses cotisations librement, dans des limites établies par la loi. Et dans le respect d'un principe : elles ne peuvent pas finir l'année dans le rouge. Du coup, si les dépenses de santé dérapent, les caisses sont obligées de diminuer leurs prestations ou d'augmenter leurs cotisations. Ces dernières représentaient environ 8 % du salaire il y a une quinzaine d'années, elles flirtent aujourd'hui avec les 13 %. D'après les statistiques du ministère de la Santé, elles s'échelonnaient, début 2000, selon les caisses, entre 11 et 14,9 %.

L'assuré choisit librement sa caisse, peut en changer une fois par an s'il le souhaite, et son employeur est obligé de le suivre. Pour éviter que ces changements et les augmentations de cotisations ne pèsent trop sur les comptes des entreprises, depuis la réforme de 1997, toute hausse des primes est automatiquement accompagnée d'une augmentation du ticket modérateur pour l'assuré. Histoire de le responsabiliser davantage !

Auteur

  • Sabine Syfuss-Arnaud