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Politique sociale

Insertion des jeunes : les bonnes idées de nos voisins

Politique sociale | ZOOM | publié le : 01.04.2000 | Agnès Baumier

En France, le chômage des jeunes reste massif alors qu'il a considérablement régressé chez plusieurs de nos voisins. De l'école de production danoise pour remettre en selle les inadaptés du système scolaire au temps partiel à la hollandaise, voici leurs recettes. De quoi inspirer nos politiques et nos partenaires sociaux.

La croissance booming ne profite pas à tout le monde. Les dernières statistiques du ministère du Travail confirment en effet la situation pré occupante des jeunes. Alors que les créations d'emplois ont battu tous les records en 1999, le pourcentage des moins de 30 ans qui ont décroché un job est inférieur à ce qu'il était au début des années 90. Seuls 38 % des jeunes travaillent. L'allongement de la durée des études ne suffit pas à expliquer ce chiffre. Rien n'y fait : en dépit des emplois jeunes ou des programmes d'insertion comme Trace (trajet d'accès à l'emploi), le chômage des jeunes générations reste massif. En janvier 2000, 20 % des moins de 30 ans et un quart des moins de 25 ans qui ont quitté l'école sont à la recherche d'un emploi.

Depuis vingt ans, les politiques publiques se succèdent pour améliorer l'insertion professionnelle des jeunes. On ne compte plus les dispositifs aux sigles barbares – TUC, SIVP, contrats de qualification et d'adaptation, CES et autres Exo jeunes – qui sont restés sans grand effet. S'inspirant du modèle allemand, les employeurs ont certes développé des formules d'alternance qui concernent désormais un quart des jeunes. Mais il faut aujourd'hui explorer d'autres pistes. En Allemagne, en Autriche ou au Luxembourg, les jeunes ne sont pas davantage touchés par le chômage que leurs aînés. « Plusieurs pays européens ont fait récemment des progrès considérables dans la lutte contre le chômage des jeunes grâce à des politiques volontaristes bien menées », observe Florence Lefresne, experte à l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires). Au Danemark, en Irlande, aux Pays-Bas, l'insertion professionnelle des jeunes ne pose plus de difficulté particulière. La croissance économique a, certes, joué un rôle important dans cette décrue du chômage, mais elle n'explique pas entièrement les résultats obtenus.

Nos voisins européens jouent sur une multitude de leviers. Il existe des méthodes efficaces en faveur de la diminution du nombre de jeunes sans qualification. Des formules pour favoriser la mobilité géographique des jeunes demandeurs d'emploi, pour les motiver dans leurs recherches, et d'incitation des entreprises à accueillir les débutants… Revue de détail des bonnes idées européennes.

Danemark

Des écoles de production

Les Danois sont les champions de l'insertion des jeunes sur le marché du travail. Leur technique : attaquer le mal à la racine. Pour limiter au maximum le nombre de jeunes sans qualification, les plus durs à intégrer, le Danemark a créé des « écoles de production » destinées aux élèves qui ne s'adaptent pas au système scolaire traditionnel. Nicolas est de ceux-là. Ce grand gaillard de 19 ans a été renvoyé de son lycée technique à force de retards et d'absences injustifiées. En France, faute d'être accepté dans un autre établissement, il serait déjà inscrit à l'ANPE. « Je touche un peu plus de 3 000 francs par mois. Je répare actuellement un vieux bateau qui va servir à l'école pour organiser des sorties en mer. J'ai aussi passé quelques semaines dans un atelier de travail du métal, où l'on construisait en petite série des fumoirs à saumon, et je suis resté un mois en informatique pour m'initier à Internet. Ici, on a le temps de réfléchir et d'expérimenter des activités diverses pour trouver sa voie », explique-t-il. Au bout de six mois, l'adolescent est mûr pour un retour au lycée. « J'ai vu ce que font les ouvriers et j'aimerais un emploi plus intellectuel. Ce qui veut dire étudier encore pendant plusieurs années. » Faten, 19 ans, a eu besoin de beaucoup plus de temps pour se remettre de ses études ratées. Arrivée au Danemark à l'âge de 10 ans, cette jeune Libanaise a quitté le collège à 16 ans sans avoir obtenu son brevet. Inscrite dans une école de production, elle a renoué avec l'univers scolaire. « Je crée sur ordinateur des motifs qui sont ensuite imprimés sur des foulards, des T-shirts, des sacs en papier. Mais je prends aussi des cours pour combler mes lacunes en anglais, en maths et en danois. Dès que j'aurai franchi le cap du brevet, je m'inscrirai dans une formation classique afin de devenir jardinière d'enfants », explique Faten.

Le coût par élève des 100 écoles de production danoises est moins élevé que celui des lycées et elles offrent aux jeunes en difficulté une véritable seconde chance. « En travaillant dans ces ateliers, ils rompent avec la logique scolaire et reprennent confiance en eux. La plupart reprennent une formation ou trouvent directement un emploi en sortant, après une année en moyenne », explique John Nielsen, directeur adjoint de l'école de Floeng, dans la banlieue de Copenhague.

Un grand nombre des 10 000 élèves qui fréquentent ces écoles, pour une durée moyenne de six mois à un an, viennent dans le cadre de programmes individuels de formation, institués par une loi de 1994. Gry est dans ce cas. Passionnée par l'histoire des Vikings, cette jeune fille a quitté le lycée pour suivre l'un de ces programmes libres. Elle apprend à coudre dans l'école de production pour pouvoir fabriquer des vêtements de Vikings et envisage ensuite de suivre une formation dans le secteur du tourisme. Lorsque, malgré ce filet de sécurité, les jeunes abandonnent prématurément l'école, ils ne restent pas sur le bas-côté. Au Danemark, un jeune de moins de 25 ans qui est allé au terme d'une formation professionnelle peut toucher des indemnités de chômage.

Irlande

Interdit de chômer plus de six mois

Branle-bas de combat. Le plan d'action national contre le chômage des jeunes, lancé en 1998 en Irlande, a obligé toutes les ANPE locales à recevoir individuellement l'ensemble des moins de 25 ans au chômage depuis six mois ou plus. Chacun devait se voir proposer une offre d'emploi ou une formation adaptées. Deux ans plus tard, les résultats laissent pantois.« 85 % des jeunes contactés ont quitté immédiatement les registres du chômage, et seulement 11 % d'entre eux y sont inscrits à nouveau, signe d'une insertion ratée », indique Patricia Curtin, directrice du développement des programmes à la FAS, organisme qui rassemble désormais les services irlandais de l'emploi, de la formation et de l'action en faveur des jeunes. Au total, en deux ans, le nombre de jeunes au chômage a été pratiquement divisé par deux.

Le boom économique du « petit dragon vert » est passé par là. Le taux de chômage irlandais est inférieur à 6 %, ce qui correspond à une situation proche du plein-emploi. Restaurants, boutiques et hôtels recherchent en permanence du personnel. Et les grandes entreprises high-tech installées autour de Dublin désespèrent de trouver une main-d'œuvre bien formée. Mais l'abondance des offres d'emploi n'explique pas entièrement la spectaculaire décrue du chômage des jeunes. Le plan d'action mis en place par le gouvernement irlandais y entre également pour une large part. « Tous les jeunes chômeurs ont été convoqués avec obligation de venir à l'entretien et d'accepter la proposition qui leur était faite, sous peine d'être rayés des listes et de ne plus toucher d'indemnités », souligne Patricia Curtin.

Ce qui, en France, aurait probablement été dénoncé comme un flagrant abus d'autorité a été accepté par les jeunes Irlandais sans opposition notable, dans la mesure où le plan gouvernemental a été mis en place avec beaucoup de professionnalisme. 114 conseillers ont été embauchés pour l'occasion, ce qui, ramené à la population française, correspondrait à quelque 2 000 nouveaux postes dans les ANPE pour accueillir et orienter les jeunes. Le personnel des agences pour l'emploi a suivi des formations à distance de longue durée (six mois à deux ans) conçues conjointement par les universités et la Direction de l'emploi pour traiter des particularités et des besoins spécifiques de ce public. L'accent est mis désormais sur les jeunes les plus en difficulté, notamment les toxicomanes. L'objectif des ANPE, qui travaillent en liaison étroite avec les services éducatifs, médicaux et les associations, est de les amener progressivement à se former ou à pouvoir occuper un emploi.

Pays-Bas

Le tremplin du temps partiel

À chaque âge son job à temps partiel. À 15 ans, beaucoup de lycéens néerlandais gagnent leur argent de poche en distribuant les journaux avant d'aller en classe. À 17 ans, ceux qui n'aiment pas l'école peuvent être scolarisés à mi-temps et entamer leur vie professionnelle au rythme de deux ou trois jours par semaine. À 20 ans, la plupart des étudiants multiplient les petits boulots pendant les vacances, tandis que certains jeunes actifs optent pour des temps partiels afin de continuer à se former en travaillant. Au total, selon Marie Wierink, spécialiste des Pays-Bas et membre de la Direction de la recherche du ministère du Travail, plus de la moitié des jeunes Néerlandais occupent des emplois à temps partiel, allant de quelques heures par mois à de véritables trois quarts temps.

Des jobs alimentaires ? C'est parfois le cas. Mais la situation des Pays-Bas est bien différente de ce qui se passe en France, où les jeunes n'ont de choix qu'entre des stages intéressants, mais pas ou peu rémunérés, et des boulots dans des secteurs comme la restauration rapide, sans beaucoup de perspective. Aux Pays-Bas, les temps partiels ne sont pas des postes subalternes, mal protégés et réservés aux moins qualifiés. C'est une forme d'activité extrêmement répandue, puisqu'elle concerne 38 % du total des salariés.

Pour les jeunes, cette formule présente l'énorme avantage de permettre une entrée progressive dans le monde du travail. « Plus la connaissance de l'entreprise intervient tôt, plus les difficultés d'insertion des jeunes s'estompent », observent Gérard Duthil et Estelle Paquet-Vaultier dans leur ouvrage, le Chômage des jeunes en Europe (L'Harmattan, 1999). « Pendant cinq à dix ans, peu à peu, de job en job, en parallèle avec leurs études, les jeunes Néerlandais tissent un réseau de relations dans les entreprises, s'habituent à la vie professionnelle, acquièrent des compétences. Ils ne sont plus des débutants lorsqu'ils finissent leur cursus scolaire et cherchent ce que l'on appellerait en France leur premier emploi », analyse Marie Wierink.

Les emplois à temps partiel concernent des secteurs très divers : la vente, la restauration, le nettoyage, la distribution (comme en France), mais l'industrie et les administrations y ont également recours… « Le développement des temps partiels aux Pays-Bas est très certainement lié à l'existence d'un smic jeunes qui varie en fonction de l'âge. Les chefs d'entreprise créent des postes qui sont précisément destinés aux jeunes encore en formation », observe Marie Wierink, qui sou ligne néanmoins le rôle joué par les organisations syndicales.

« En France, les syndicats se sont surtout battus pour préserver les postes à temps plein. Aux Pays-Bas, en revanche, les emplois à temps partiel font partie du paysage et sont très bien régulés par les partenaires sociaux », explique-t-elle. La loi de « flexibilité et sécurité » votée en 1996 a étendu les horaires d'ouverture des commerces en échange de l'obligation faite aux employeurs de tenir compte des responsabilités des salariés hors de leur travail, dans la détermination des plannings. Et la situation des travailleurs à temps partiel est particulièrement surveillée. Les conditions de travail des jeunes qui distribuent les journaux le matin ont récemment été au centre d'un gros conflit social. On imagine mal, en France, les organisations syndicales prendre un tel sujet de revendication pour cheval de bataille.

Allemagne

Une alternance très concertée

Le système germanique d'apprentissage en entreprise continue de séduire la France. Depuis près de quinze ans, ses excellents résultats en matière d'insertion professionnelle en ont fait un véritable modèle pour les différentes réformes adoptées dans l'Hexagone. Non sans succès. Alors qu'au début des années 80 l'apprentissage était réservé à une petite minorité d'élèves en échec scolaire important, la formation en alternance concerne désormais près d'un quart des jeunes Français. Un changement majeur, même si les statistiques sont encore plus probantes en Allemagne, où plus des trois quarts des jeunes passent, à un moment ou à un autre de leur cursus, par le système « dual ».

« Il ne s'agit pas simplement d'encenser l'alternance. Il faut étudier précisément les raisons pour lesquelles ce système marche en Allemagne. Car on développe actuellement en France un ersatz de formation en alternance qui risque de ne pas donner d'aussi bons résultats », avertit Florence Lefresne, experte à l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires). Pour Klaus Schömann, directeur d'études au centre de recherche en sciences sociales de Berlin (WZB), qui vient de participer à une étude comparative européenne, l'implication des partenaires sociaux est la clé du succès allemand. « Ils définissent à la fois les conditions de travail des apprentis, les expériences formatrices qu'ils doivent vivre dans l'entreprise, le contenu de leur formation extérieure et les certifications auxquelles ils sont censés aboutir. »

A contrario, dans les nouveaux Länder où les entreprises ne sont pas toutes affiliées à des organisations patronales, les jeunes éprouvent davantage de difficultés à trouver des places d'apprentissage. « Certaines sociétés hésitent à accorder des heures à leurs salariés pour qu'ils servent de tuteurs. Elles renâclent aussi à envoyer les jeunes une journée par semaine en formation. Résultat, les partenariats fonctionnent beaucoup moins bien », poursuit le directeur du WZB. Reste que le fonctionnement actuel des contrats de qualification français, censés être une transposition de l'apprentissage allemand, suscite des réserves. « Dans ce cadre, les jeunes préparent des diplômes de l'Éducation nationale et occupent parallèlement des postes définis par les chefs d'entreprise, de façon unilatérale. Beaucoup ont un niveau tel qu'ils n'ont aucune raison d'être considérés comme en formation. Des dérives semblables seraient in imaginables en Allemagne. Les postes, les salaires et le conte nu de la formation seraient globalement négociés par les partenaires », explique Florence Lefresne.

Le meilleur exemple de régulation est celui des centres d'appels. « Au commencement, il n'y avait pas d'apprentissage pour ces métiers. Un Land a donné l'exemple. Des formations ont été mises en place afin de professionnaliser l'activité et d'offrir des perspectives de carrière. Maintenant, les accords ont été étendus aux autres régions », indique Klaus Schömann

Italie : favoriser la mobilité

Alors que dans le sud de l'Italie le chômage concerne plus du quart de la population active, le nord de la Péninsule, en forte croissance, se trouve actuellement dans une situation proche du plein-emploi. Dans certaines professions, la pénurie de main-d'œuvre menace. Certains industriels renoncent à des commandes faute de personnel qualifié.

C'est pour résorber ce déséquilibre, profondément ancré dans l'histoire italienne, mais à un niveau alarmant et politiquement à haut risque, que le gouvernement a fait passer en janvier 1998 une loi-cadre favorisant la mobilité régionale des jeunes.

Depuis, les jeunes Italiens au chômage dans le sud du pays peuvent recevoir un financement afin de se loger s'ils partent se former ou chercher un emploi au nord, dans le cadre du plan national d'insertion professionnelle.

Les jeunes de 19 à 32 ans peuvent ainsi recevoir une aide au logement de l'ordre de 800 000 lires par mois pendant une durée d'un an. L'objectif est de favoriser soit une insertion locale, soit l'acquisition de compétences qui leur permettront, une fois retournés dans leur région d'origine, de créer leur propre structure ou de travailler pour les entreprises du Nord qui souhaitent s'implanter dans le Mezzogiorno.

Le projet n'a pas été évalué pour l'instant mais, selon le ministère du Travail, il pourrait concerner quelque 40 000 candidats à la mobilité. En 1997, une expérience pilote avait déjà permis l'embauche de 5 000 jeunes originaires du Sud dans des entreprises d'Émilie-Romagne.

La formule n'est pas transposable telle quelle, mais elle présente un intérêt évident pour la France où le taux de chômage des jeunes varie du simple au double selon les régions : alors que l'Alsace et l'Ile-de-France sont moins touchées, près d'un tiers des jeunes pointent à l'ANPE dans le Nord-Pas-de-Calais ou la Basse-Normandie.

Auteur

  • Agnès Baumier