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Vie des entreprises

Le CNRS découvre le gène des RH

Vie des entreprises | Zoom | publié le : 01.02.2010 | Laure Dumont

La réforme en cours du mastodonte de la recherche française contient un ambitieux volet RH. Une vraie révolution, qui suscite de sérieuses réticences chez les salariés.

Après une succession mouvementée, le CNRS a enfin son nouveau pilote. Mi-janvier, le chimiste Alain Fuchs était nommé premier P-DG du CNRS. Après plusieurs tentatives de réformes, l’institution septuagénaire de la rue Michel-Ange, dans le 16e arrondissement de Paris, connaît en effet une refonte complète de sa gouvernance (voir encadré page 34). C’est l’un des points clés de la réforme en cours qui agite ce mastodonte de 32000 personnes. Désormais divisé en 10 instituts thématiques, assisté dans son travail de financement par l’Agence nationale de la recherche (ANR) et d’évaluation par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres), le CNRS fait peau neuve. Les RH n’échappent pas à ce mouvement. Depuis quatre ans, Christine d’Argouges, DRH chevronnée, fine connaisseuse du monde de la recherche, passée par l’Inra, l’IRD et l’Inria, a la charge de mettre en musique ce volet de la réforme. Des cadres aux chercheurs en passant par les nouvelles recrues, elle a mené plusieurs chantiers.

Professionnaliser le top management

C’est le choc culturel qui agite le CNRS. Certains syndicats n’hésitent pas à parler d’un sacrifice aux lois et au jargon de l’entreprise capitaliste, une « managérisation » avec laquelle le monde de la recherche française est bien peu familier, pour ne pas dire rétif. « On est en train de basculer dans un système où l’administration et la gestion priment sur le reste, comme à l’hôpital », résume ce militant du Sgen. Du point de vue de la direction, il s’agit de former des chercheurs managers capables tant de comprendre les enjeux concrets de la recherche que de gérer des équipes et des budgets, sans oublier de développer des partenariats avec les universités et les industriels.

Ainsi, depuis trois ans, l’Institut du management du CNRS, qui a remplacé l’Institut de perfectionnement à la gestion de la recherche, forme au management et à la stratégie les hauts potentiels, les responsables des 19 délégations régionales, les membres du comité de direction ainsi que les 1 200 directeurs d’unité.

Au sein de la DRH, un service consacré à la carrière des cadres supérieurs a lancé l’année dernière des « entretiens performance et développement des cadres supérieurs ». Bien connues des cadres du privé, ces évaluations font littéralement s’étrangler Patrick Monfort, secrétaire général du Syndicat national des chercheurs scientifiques (SNCS FSU): « En voulant faire entrer les scientifiques dans des cases formatées, ces entretiens apportent une vision hypertechnocratique de la recherche. Chez nous, l’essentiel est la créativité et l’inventivité de chaque personne, pas ses performances fondées sur des critères managériaux. » À partir de 2010, tous les cadres supérieurs du CNRS devront passer cet entretien.

Parallèlement, les « revues de cadres », couramment pratiquées dans les grandes entreprises, notamment anglo-saxonnes, se sont développées au sein de l’institution publique : « J’ai voulu les rendre plus systématiques, avec des primes par objectifs à la clé », indique Christine d’Argouges. « Nous essayons de réfléchir à un référentiel de management qui nous soit propre », poursuit la DRH qui s’est aussi attelée à la question du recrutement extérieur de chercheurs de gros calibre. Une autre révolution. Lors d’une réunion avec les syndicats, le 8 décembre dernier, la DRH a ainsi présenté son tout nouveau search committee, dont la vocation est de recruter, en France mais aussi hors de nos frontières, des directeurs scientifiques. Composé de scientifiques français et étrangers, ce comité a pour mission officielle de chasser et de sélectionner d’éventuels candidats « dans un cadre ouvert et transparent d’appels d’offres, fiches de fonction à l’appui », souligne la DRH.

Affiner le suivi des équipes

Le CNRS compte 26 000 statutaires – 80 % de l’ensemble des salariés – qui sont fonctionnaires depuis 1985. Ils se répartissent en deux grandes catégories : 11 600 chercheurs et 14 400 ingénieurs, techniciens et administratifs (dits ITA) qui sont disséminés dans 1200 unités de recherche sur l’ensemble du territoire, divisé en 19 délégations régionales. 85 % des laboratoires sont des UMR (unités mixtes de recherche, différentes des UPR – unités propres de recherche), c’est-à-dire qu’ils travaillent en partenariat avec une université ou un autre organisme de recherche. Le CNRS regroupe plusieurs centaines de métiers différents et des spécialités aussi variées que la biologie moléculaire, la paléobotanique appliquée à l’archéologie ou la physique quantique. Grâce à cette interdisciplinarité qui la rend unique au monde, cette grande maison de la recherche rayonne notamment par ses publications (25000 par an en moyenne) et par les lauriers que ses chercheurs remportent (19 prix Nobel).

Mais ces chiffres qui donnent le vertige font surtout mesurer l’ampleur de la tâche sur le plan de la gestion des ressources humaines. Accusé à deux reprises, en 2002 et en 2008, par la Cour des comptes de mauvaise gestion, et notamment d’une insuffisante évaluation de ses personnels et résultats, le CNRS a dû affiner la gestion de ses RH. Il a fallu mettre en œuvre un suivi plus précis des individus afin de contrer les critiques de monstre ingérable et de chercheurs ne cherchant plus : « Le chantier qui a le plus avancé ces dernières années est celui du suivi postévaluation des chercheurs », affirme-t-on à la direction. Traditionnellement au CNRS, un comité national examine les rapports d’activité de tous les chercheurs et émet un avis. « Le changement, précise Christine d’Argouges, la DRH, est que, depuis trois ans, ces avis sont normalisés en trois catégories : avis favorable, avis réservé, avis d’alerte. Tous les avis d’alerte déclenchent automatiquement une réaction sur le plan RH. Grâce à cela, un quart des chercheurs en difficulté ont retrouvé un rythme de travail normal. » Sur les trois années écoulées, 5 % de chercheurs « en panne » ont ainsi dû être aidés à rebondir par les DRH des délégations régionales. Plus globalement, ces derniers sont les interlocuteurs privilégiés des directeurs d’unité : « Depuis quatre, cinq ans, on sent une volonté plus forte et plus cohérente d’accompagner les personnels et les directeurs d’unité », commente Dominique Le Fur, DRH d’une des délégations régionales d’Ile-de-France, qui chapeaute 2600 chercheurs et ITA. « Notre mission est de former et de coacher les directeurs d’unité, de les aider dans leur organisation, dans leur GPEC et dans le suivi de leurs équipes », poursuit-il. Pour mener cette tâche, Dominique Le Fur dispose d’une équipe RH de 25 personnes.

Remotiver les personnels

Voilà sans doute le plus grand défi de la nouvelle direction. Les personnels du CNRS sont déstabilisés par la réforme en cours. L’an dernier, les syndicats se sont massivement mobilisés pour s’opposer à ce qu’ils estiment être un démantèlement du CNRS, la fin de l’interdisciplinarité et l’abandon de la recherche fondamentale au profit d’une recherche « intéressée », orientée uniquement vers ses applications économiques et industrielles. « La réforme actuelle est la suite logique du processus entamé à Bologne en 1999 instituant une division partagée de la recherche au niveau européen, avec pour idéologie de fond la compétition de tous contre tous. En privilégiant les individus plus que les équipes, en imposant une évaluation permanente des chercheurs et des travaux, en soutenant certains projets plus que d’autres, la réforme va stériliser la recherche à long terme. C’est un renoncement aux avancées fondamentales », dénonce Olivier Gandrillon, directeur de recherche au Centre de génétique moléculaire et cellulaire de Lyon et membre actif de Sauvons la recherche.

Le 15 juin 2009, pour la première fois de son histoire, le conseil scientifique du CNRS a vu sa ministre de tutelle venir en personne défendre les changements à l’œuvre. Valérie Pécresse a semble-t-il réussi ce grand oral. Depuis, on n’entend plus les chercheurs. Dans de nombreux labos, ceux de sciences humaines et sociales en particulier, le découragement et la lassitude sont réels. « Je suis submergée de boulot, je passe mon temps à faire de l’administratif, à répondre à des appels d’offres pour obtenir des financements, à réserver des hôtels et des avions pour un intervenant étranger dans un colloque prochain, au détriment de mon travail de recherche, raconte une chercheuse en sociologie. Nos équipes d’ITA sont surchargées aussi car les partants ne sont pas remplacés, et l’on n’arrive pas à garder les jeunes docteurs car nous ne leur offrons que des contrats courts. Nous assistons impuissants à une gigantesque déperdition des savoirs et des compétences. »

Bien consciente des conditions de travail parfois difficiles des chercheurs et de la faible reconnaissance que la société leur accorde, la direction a voulu impulser un vaste mouvement de revalorisation des carrières de scientifiques. « Ce sont des bac + 10 qui démarrent à 2 000 euros brut et ne peuvent espérer plus qu’un doublement de leur salaire avant la fin de leur parcours », indique la DRH, qui a décidé de mettre de gros moyens, en choisissant de réduire ponctuellement le nombre de recrutements. « Depuis deux, trois ans, commente un militant du Sgen, le CNRS affiche le taux de promotions le plus élevé de la fourchette autorisée pour la fonction publique. Et 4 400 personnes bénéficient de la garantie individuelle de pouvoir d’achat » (la Gipa – une prime qui compense les décalages de rémunération avec les salariés du privé et qui correspond à un mois de salaire environ).

Parallèlement, l’ancien système de prime, récompensant surtout les enseignants-chercheurs, a été remplacé en 2009 par des primes d’excellence scientifique (PES) qui doivent en théorie arroser tout le monde : 5,4 millions d’euros ont été débloqués par le ministère de la Recherche et 20 % des chercheurs ont touché des sommes pouvant atteindre 10000 euros par an sur quatre années consécutives. Un comité réfléchit actuellement aux critères d’attribution de la PES pour qu’elle ne récompense pas seulement les médailles d’or, d’argent ou de bronze du CNRS et autres lauréats trop « évidents ».

Doper l’attractivité de l’institution

Avec 27 % de chercheurs étrangers recrutés en 2008, le CNRS se défend bien en termes d’attractivité internationale. « J’ai rencontré sur le campus de Gif-sur-Yvette un directeur de laboratoire américain qui estimait avoir de meilleures conditions de travail en France au CNRS qu’aux États-Unis », raconte Olivier Jardé, député centriste de la Somme et auteur d’un rapport sur la recherche publié fin 2009. L’anecdote est suffisamment rare pour être relatée.

Mais, sans minimiser le rayonnement international du CNRS, qui est un véritable enjeu, d’autres aspects nuisent actuellement à l’attractivité de l’institution à l’heure où les voies scientifiques sont en perte de vitesse dans les choix des bacheliers. Non seulement les métiers de la recherche paient mal, mais la précarité y est la règle pour des débuts de carrière qui peuvent traîner dix ans. Les docteurs ont du mal à trouver des postes : « Après avoir répondu à un appel d’offres, un an peut se passer avant que l’argent arrive, raconte un chercheur, et entre-temps on a perdu nos docteurs qui sont allés trouver du travail ailleurs. »

Une chercheuse en philosophie poursuit : « En général, ce sont les chercheurs les plus anciens qui bénéficient de frais de mission, les jeunes en ont rarement. Donc, ceux-ci partent en colloques et conférences sur leurs propres deniers ou ils ne partent pas… » Ces griefs sont réfutés par la direction. Christine d’Argouges insiste sur l’accueil des nouveaux arrivants et met en avant les journées d’intégration des jeunes recrues organisées chaque année par le CNRS. Dans les couloirs de l’Institut des sciences du végétal, à Gif-sur-Yvette, il est vrai qu’une affiche annonce : « Le CNRS recrute 400 chercheurs en 2010 »…

Dernier paradoxe, l’institution n’aura jamais connu un taux aussi élevé de contrats à durée déterminée. En effet, « 8600 équivalents temps plein en contrat précaire, soit 20 % de la masse salariale du CNRS, sont prévus pour 2010, indique Daniel Steinmetz, représentant SNTRS CGT. Avant, on ne dépassait pas 2 000 à 3 000 équivalents temps plein ».

Cette explosion préoccupante est la conséquence mécanique des nouveaux modes de financement de la recherche générés par la création de l’Agence nationale de la recherche. Les chercheurs peuvent désormais, et à titre individuel, solliciter des financements à cette agence. Dès lors qu’ils les obtiennent, ils sont libres de recruter des CDD pour les assister. Ce mouvement est difficile à contrôler par la direction nationale. Il est aussi le signe que, malgré tout, certains chercheurs gardent un peu de cette souplesse et de cette liberté auxquelles ils sont si attachés.

32 000

C’est le nombre de personnes employées par le Centre national de la recherche scientifique, tous statuts confondus (bilan social 2008).

Une seule tête à la direction du CNRS

Jusqu’à janvier 2010, le CNRS était dirigé par un tandem, assisté d’un secrétaire général. Depuis 2006, la physicienne Catherine Bréchignac occupait ainsi le poste de présidente et son collègue Arnold Migus, également physicien, celui de directeur général. Dans le cadre de la réforme de l’organisme de recherche, un décret daté du 1er novembre 2009 a mis fin à ce bicéphalisme. Désormais le CNRS est dirigé par un P-DG assisté de directeurs généraux. Catherine Bréchignac comme Arnold Migus étaient l’un et l’autre candidats au nouveau poste de P-DG.

Il se raconte que la présidente aurait notamment mené un lobbying intense en interne pour assurer sa nomination. Fin décembre, des proches de la direction la disaient « sereine ». Pourtant, les rumeurs allaient bon train et le nom de Denis Ranque, ancien P-DG de Thales et membre du conseil d’administration du CNRS, est même sorti du chapeau, confortant les chercheurs les plus opposés à la réforme dans leur crainte d’une privatisation de l’organisme…

Finalement, le cabinet de Valérie Pécresse a tranché en choisissant Alain Fuchs, 56 ans, directeur de l’École nationale supérieure de chimie de Paris, ingénieur chimiste reconnu formé à l’école polytechnique de Lausanne, ancien directeur de recherche au CNRS.

Auteur

  • Laure Dumont