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Politique sociale

Un modèle danois pas si exemplaire

Politique sociale | publié le : 01.02.2010 | Olivier Truc

La flexicurité danoise, qui allie emploi flexible et protection des chômeurs, voit son efficacité ébranlée dans la crise.

Pour la famille Weifenbach, qui vit dans le sud du Jutland, le fameux modèle de flexicurité danois ne tient pas toutes ses promesses. Hanne et son mari, Dennis, techniciens dans l’industrie, se sont tous deux retrouvés au chômage au cours des derniers mois. Leurs revenus ont brutalement chuté et ils ont dû renoncer à leurs vacances. Ils laissent la plupart du temps leur voiture au garage et doivent même réduire leur budget alimentation. Mais le pire est ailleurs. Dans le magazine de fin d’année de Metal, le syndicat des ouvriers de la métallurgie, ils racontent comment, à l’agence de l’emploi, on leur a débité des textes de loi, assortis de menaces, au lieu de leur proposer une formation qualifiante, alors qu’ils avaient plein d’idées en tête pour se reconvertir. Ce décalage entre les promesses d’un système social célébré partout en Europe et la réalité commence vraiment à apparaître aux yeux de nombreux demandeurs d’emploi. Un modèle qui repose sur des recrutements et des licenciements faciles, une indemnisation généreuse et un accès rapide à la formation continue en cas de licenciement, sans oublier l’obligation d’être disponible en cas de chômage sous peine de sanctions.

Depuis que ce système a été mis en place au milieu des années 90, c’est la première fois qu’il est confronté à une grave crise économique. Au Danemark, le taux de chômage global est passé de 1,7 % mi-2008 à 4,1 % à l’automne 2009. Cela reste certes très faible par comparaison avec le reste de l’Europe. Mais le secteur privé est sérieusement touché. Parmi les adhérents du syndicat Metal, le taux de chômage est passé en un an de 1 % à 8 %. Dans le secteur public, en revanche, le chômage se maintient à un niveau très bas grâce aux nombreux départs à la retraite qui sont remplacés. Même si un gouvernement de droite est aux commandes depuis 2001, l’emploi dans le service public a, dans son ensemble, été largement préservé. Cocasse quand on sait que le parti libéral et le parti conservateur, lorsqu’ils étaient dans l’opposition, vilipendaient l’État providence.

Fort d’un large soutien, le modèle danois est pourtant l’objet de critiques. Les allocations réputées généreuses ne le sont pas tellement à cause du plafond qui limite l’indemnité à 100 euros brut par jour ouvrable. Sur le papier, les allocations chômage représentent 90 % du salaire. Dans la réalité, elles ne dépassent pas en moyenne 55 %, soit une baisse d’environ 20 points en vingt ans, car les salaires ont augmenté rapidement sans que les plafonds suivent le rythme de croissance. « C’est ce qu’il ne faut pas oublier de prendre en compte lorsqu’on évoque le modèle danois », soulignent les syndicats.

Mélange de droits et de devoirs. Metal souhaite ainsi que le plafond actuel d’indemnité soit relevé ou, à défaut, que le préavis de licenciement, de trois mois, soit allongé. « Le modèle danois est un bon mélange de droits et de devoirs, a rappelé l’an dernier Hans Jensen, le président de la confédération LO. Nos adhérents ont accepté de pouvoir être licenciés avec un préavis très court, mais seulement avec l’assurance de bénéficier d’allocations généreuses durant une période suffisante. Si l’on supprime l’un des piliers du modèle, il s’écroule. » Certaines organisations syndicales menacent de recourir à d’autres options si le niveau d’allocations n’est pas assez élevé. « Au risque de se tourner vers un système qui ressemblera à s’y méprendre à ceux des autres pays européens ! » remarque Flemming Larsen, du Centre de recherche sur le marché du travail, Carma.

Au printemps 2008, en période de plein-emploi et d’avant-crise, le Conseil économique danois avait suggéré d’abaisser de quatre à deux ans et demi la durée d’indemnisation du chômage afin de pousser davantage de chômeurs à travailler. Mais la levée de boucliers des syndicats avait été immédiate et l’idée abandonnée. Autre constat : depuis l’entrée en vigueur du système actuel, formation et incitations ont finalement été peu utilisées. Jusqu’à l’an dernier, la croissance était telle que les chômeurs n’avaient pas de difficulté à retrouver rapidement un emploi. Ils ont donc été peu nombreux à profiter de formations vraiment qualifiantes. Le problème est particulièrement aigu pour les populations peu qualifiées issues de l’immigration, surreprésentées parmi les bénéficiaires de politiques de l’emploi et dont le niveau de qualification ne leur permet pas de prendre pied durablement dans le marché du travail.

La crise actuelle a aussi mis en lumière la fragilisation des jeunes. « Il y a actuellement beaucoup trop de jeunes qui n’ont pas de formation », constate Erik Nielsen, président de la commission emploi de la Fédération des communes, qui, depuis le 1er août 2009, sont chargées d’appliquer les politiques de l’emploi et de trouver du travail aux chômeurs. « Le système des stages en entreprise ne marche pas trop bien, estime Marina Hoffmann, de Dansk Metal. Donc, il faut trouver des formations qui s’apparentent à des stages en entreprise sans en être vraiment et qui ne soient pas en concurrence avec des emplois existants, ce qui limite énormément le type de propositions. » Jusqu’à présent, les pouvoirs publics n’ont pas tellement eu besoin de brandir la menace des baisses d’allocations. Mais, face à la difficulté croissante de trouver des emplois et des formations, la principale réponse des autorités a été de débloquer début septembre 1 milliard de couronnes (134 millions d’euros) pour créer 5 000 nouvelles places de stages afin d’occuper des jeunes chômeurs.

Un coût très élevé. À la mi-novembre, la confédération LO s’est inquiétée que trop de demandeurs d’emploi bénéficient de formations qui n’ont rien à voir avec leurs besoins. Beaucoup d’entre eux doivent ainsi suivre des stages prévus en fait pour des gens ayant des problèmes d’insertion sociale. « C’est comme si on administrait le mauvais médicament à un malade », critique Henning Jorgensen, de l’université d’Aalborg. « Le constat de Carma, c’est qu’on ne sait pas très bien comment fonctionne ce système de flexicurité quand il n’y a aucun emploi à offrir », note Flemming Larsen. Étonnant paradoxe pour un modèle social tant loué à l’étranger, où l’on oublie aussi, bien souvent, d’évoquer son coût. Les dépenses consacrées à la politique de l’emploi sont deux fois plus élevées que la moyenne européenne.? Et le Danemark demeure, avec la Suède, le pays qui a le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé au monde. La flexicurité a un prix que les Danois risquent de rechigner à payer si elle s’avère inefficace.

4,1 %

C’est le taux de chômage au Danemark cet automne, contre 1,7 % mi-2008. Cette hausse touche particulièrement le secteur privé.

Auteur

  • Olivier Truc