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Enquête

Une perte de repères généralisée

Enquête | publié le : 01.02.2010 | Éric Béal, Stéphane Béchaux

Évolution des métiers, individualisation des salaires, progression au mérite…, les mutations des entreprises publiques percutent les conditions de travail des salariés. Non sans douleur. Plongée dans les fleurons du service et de l’industrie.

La compétitivité bouscule les métiers

Gare au rhume ! Pour les salariés du public, la plongée dans le bain de la concurrence s’avère réfrigérante. Car la perte des marchés protégés signe le début de la course aux gains de productivité. Les 2 500 survivants de Nexter peuvent en témoigner. Fin 2007, leur direction a dénoncé la totalité des accords. « Il fallait revenir sur les avantages et les garanties qui pénalisaient la compétitivité de l’entreprise », justifie Jean-Christophe Benetti, le DRH. Au terme d’un long bras de fer, il a emporté le morceau. Et augmenté le temps de travail de dix jours pour les cadres et de deux cents heures pour les salariés en deux-huit. Dur à avaler. « On a subi la loi de la direction. Mais, pour résister à l’export, il fallait réduire les coûts », admet-on à la CFDT. Des bouleversements suivis de près chez le voisin DCNS, où le nouveau boss a promis d’améliorer de 30 % la productivité en trois ans. « Depuis 2003, l’évolution se fait à marche forcée. Après la réorganisation matricielle et le management par objectifs, voilà les suppressions de postes. Dans les fonctions support, on parle de réduire les effectifs d’un tiers », craint le cédétiste Patrick Le Chêne.

Le passage en force n’est pas toujours la règle. À la SNCF, la direction du fret a renoncé à renégocier la très rigide et onéreuse réglementation sur le temps de travail des conducteurs. « Sous cette forme, le projet est abandonné. Un jour, la question se posera à nouveau. Mais comme un élément second, après mise en place d’un modèle économique pertinent », explique Ghislaine Jacquard, la DRH adjointe. Faute de mieux, la direction s’en tient pour l’instant à la technique du contournement. Via des filiales aux conditions sociales moins favorables. Une façon de préparer les troupes à l’inéluctable : le détricotage progressif de leur package social. D’où le blues des conducteurs, déjà déprimés par la remise en cause de leur régime de retraite et ses impacts sur leur carrière. « On rêve tous de terminer notre vie professionnelle aux commandes d’un TGV. Mais encore faut-il que les quinquagénaires libèrent leur place », témoigne l’un d’eux, lassé des nuits blanches.

Un nouvel équilibre à trouver. L’évolution des métiers peut, aussi, susciter la grogne. Pas facile, ainsi, de troquer le costume EDF pour celui d’ERDF pour cause de libéralisation du marché de l’électricité. « Beaucoup de techniciens se sont vu fermer la porte au nez. On a dû les aider à trouver un nouvel équilibre dans leur relation avec la clientèle », témoigne Bernard Lassus, le DRH. Un chantier toujours en cours, les équipes n’étant pas toutes convaincues des bienfaits du nouveau « code de bonne conduite » inculqué via des formations. « Avant, on pouvait conseiller les clients. A présent, notre boulot se limite à des tâches d’exécution, pas valorisantes », déplore un technicien parisien.

À La Poste, la course à la productivité s’est accélérée, dans l’activité courrier, au début des années 2000. L’entreprise a presque totalement mécanisé les opérations de tri, avec des machines capables de traiter jusqu’à 16 enveloppes… à la seconde. L’établissement en a profité pour réorganiser le travail des facteurs, désormais davantage sur le terrain et plus ou moins interchangeables. « Les tournées des absents sont découpées et réparties entre leurs collègues. La hantise des facteurs est de ne plus être, à terme, propriétaires de leur tournée », souligne le cégétiste Luc Grolé. Une perspective rejetée par le DRH du courrier, Yves Xémard : « Leur capital confiance auprès des clients doit d’ailleurs nous permettre d’offrir de nouveaux services. » Tels le transport de médicaments, le relevé des compteurs ou la participation au recensement. Une révolution culturelle en perspective.

S.B.

Les salaires variables créent du désarroi

Moins de collectif et plus de variable… En termes de rémunération, les entreprises publiques marchent dans les traces de leurs consœurs du privé. Non sans mal. À la SNCF, la direction s’est heurtée par deux fois au mur syndical dans sa volonté de mettre en place un système d’intéressement. Un obstacle contourné avec la création, unilatérale, d’un dividende salarial, qui a rapporté quelque 200 euros aux cheminots en 2008 et 2009. Même volonté à La Poste, qui a signé, en 2007, son premier accord d’intéressement avec les organisations CFDT, CFTC, CFE-CGC et Unsa. Les postiers y ont gagné 102 euros en 2008, et rien en 2009. « Un montant ridicule. De quoi acheter un bloc de foie gras à Noël », commente l’administratrice cégétiste Michelle Boulesteix. Dans les deux cas, les sommes restent symboliques. Mais elles marquent la volonté farouche des directions de faire progresser la culture économique des troupes, et leur acceptation de la très contestée notion de rentabilité.

Au sein du groupe EDF, l’attachement aux missions de service public l’emporte toujours sur les considérations financières. Mais le très généreux programme d’actionnariat salarié mis en place lors de l’ouverture du capital, en 2005, a brouillé les repères. « Comme la plupart de mes collègues, j’étais opposée à la privatisation partielle. Mais j’ai quand même acheté des actions. Aujourd’hui, on se sent tous un peu schizophrènes, écartelés entre nos valeurs et le cours de Bourse », confie Cécile, ingénieur francilienne. Chez GDF Suez, aussi, la direction a séduit les portefeuilles, à défaut des âmes. « L’épargne salariale a constitué, avec la mobilité interne et les accords collectifs, l’un des trois leviers RH qu’on a mobilisés pour renforcer, au cours des dix-huit premiers mois, l’adhésion des collaborateurs au nouveau groupe », souligne Philippe Saimpert, le DRH. Perco, actions gratuites, ouverture de capital… La multinationale a joué sur tous les tableaux pour intégrer les ex-Gaz de France. Une greffe encore en cours.

La loi du mérite individuel. Autre politique inspirée du privé, l’individualisation des salaires. Fini le tout collectif et le tout automatique, les directions prônent désormais la récompense des mérites individuels. Une nouvelle philosophie qui plaît aux salariés autant qu’elle les inquiète. Entre peur de l’arbitraire et désir de reconnaissance des efforts fournis, les cœurs balancent. À la SNCF, tous les cadres bénéficient, depuis deux ans, d’un variable sur objectif pouvant atteindre 10 % pour les opérationnels. Et le reste des troupes y passe cette année, timidement, avec des primes plafonnées à 300 euros annuels. « Nous voulons instaurer un meilleur équilibre entre l’ancienneté et les performances individuelles et collectives. La concurrence nous y pousse, mais aussi la ligne managériale », indique Ghislaine Jacquard, la DRH adjointe.

Chez Nexter, les augmentations générales ont disparu voilà trois ans. Et la direction a généralisé le variable, jusqu’à 15 %, à tout l’encadrement. Une politique combattue par les syndicats, qui ont trouvé la parade en inventant le concept de… l’« augmentation individuelle collective »! Depuis deux ans, ils négocient ainsi la proportion des salariés bénéficiaires d’une augmentation individuelle. En 2009, 80 % des cadres et 90 % des ouvriers ont eu droit à une revalorisation de 1 % minimum. Autre victoire syndicale, à La Poste, les conseillers financiers ont obtenu l’intégration d’une partie de leur commissionnement dans leur fixe. Une façon de faire baisser les tensions au sein de cette population au moral vacillant.

S.B.

Les évaluations passent mal

La progression de carrière à l’ancienneté n’a plus la cote dans les entreprises publiques. Si la grille indiciaire par corps, grades et catégories n’a pas disparu partout, un outil de GRH bien connu des directeurs des ressources humaines du privé s’impose : l’entretien d’évaluation. Baptisé « entretien d’appréciation et de progrès » à la RATP, ce rendez-vous annuel est utilisé depuis des années pour organiser le déroulement de carrière des cadres et des agents de maîtrise. Il influence également la vitesse d’avancement des opérateurs. « L’EAP est la plaque tournante des autres dispositifs RH, tels que le déroulement de carrière, les primes au résultat ou la formation », avance Jean-Marc Ambrosini, directeur délégué aux ressources humaines. Qui précise que la volonté de la direction est de reconnaître les efforts et le mérite de chacun. Mais ce discours passe mal. « Comment fait-on pour mesurer la productivité d’un machiniste. Est-ce que la ponctualité d’un conducteur de RER justifie une prime », s’interroge Jacques Eliez, représentant CGT. En l’absence de critères négociés, tous les syndicats dénoncent la subjectivité des objectifs assignés à l’opérateur par son n + 1.

À la RATP, en l’absence de critères d’évaluation négociés, tous les syndicats dénoncent la subjectivité des objectifs assignés

L’entretien annuel ne date pas d’hier à Aéroports de Paris (ADP). « Mais personne ne le passait, il y a quelques années. Aujourd’hui, c’est différent », indique Alain Izzet, délégué syndical CGT. Les entretiens donnent lieu à une appréciation qui va de A à D et permet de justifier une progression plus ou moins rapide sur la grille indiciaire. « Mais les managers n’ont pas le sentiment que la conduite de l’entretien annuel fait partie de leurs missions. Et il est souvent bâclé ou réalisé sur des bases trop subjectives », déplore Marie-Anne Donsimoni, présidente du syndicat CFE-CGC.

À La Poste, où 57 % des effectifs sont encore constitués de fonctionnaires, l’entretien annuel est également entré dans les mœurs. Et pas seulement pour les salariés de droit privé. Classiquement, il en sort des objectifs personnels, des propositions d’évolution de carrière et de formation. Voire des augmentations salariales. Michèle, chef de projet depuis vingt ans à EDF, estime que les objectifs issus de son entretien annuel sont plus précis qu’avant. « Mais à l’inverse, je ne peux plus négocier sur les moyens qui me sont alloués. C’est tout juste si ma hiérarchie ne me reproche pas d’être trop perfectionniste. Ce qui m’empêcherait d’atteindre mes objectifs. » Une situation génératrice de tensions.

La survivance des anciennes instances de dialogue, caractéristiques d’une gestion RH plus administrative, ne suffit plus à rassurer. Chez EDF, les décisions de la hiérarchie peuvent encore être contestées par les salariés auprès d’une « commission secondaire du personnel », dans laquelle siègent des représentants désignés par les syndicats. « Nous vérifions l’équité des décisions prises et le respect des accords sociaux en vigueur. Mais la commission se voit de plus en plus souvent rétorquer que le problème a été traité au cours de l’entretien et qu’il n’est pas possible de revenir dessus », s’insurge Jean-Luc Sylvain, délégué syndical CGT chez EDF SA. Chez le cousin ERDF-GRDF, cette problématique se double d’une déqualification de certains métiers, comme les chargés d’affaires ou les techniciens de clientèle. Un rapport du cabinet Secafi, remis au CHSCT en novembre, relève « une montée en puissance des risques psychosociaux » dans les populations concernées. Une situation que l’entretien annuel ne peut corriger.

E.B.

Des plans de carrière brouillés

Changer de logique ou partir. C’est en substance le choix des fonctionnaires encore présents à l’effectif de certaines entreprises publiques. Car, aujourd’hui, mutations de ces groupes et individualisation des carrières obligent, les salariés sont censés s’adapter et changer de métier plusieurs fois au cours de leur vie professionnelle. Une mobilité fonctionnelle mais aussi parfois géographique. « Nous avons réalisé une réforme de la formation et de la mobilité interne, en signant également des accords sociaux sur le développement des compétences et de la promotion. La reconnaissance des compétences individuelles est au centre de tous ces textes », explique Joël Moreau, directeur de l’emploi du groupe La Poste. Même discours très volontaire à la RATP, où Jean-Marc Ambrosini, directeur délégué aux RH, revendique des efforts constants pour s’éloigner de l’avancement à l’ancienneté : « Nous cherchons à récompenser le mérite et les choix individuels. » Présentée comme incontournable, cette évolution ne passe pas forcément bien. SUD PTT a multiplié pétitions et requêtes envoyées à la direction de La Poste pour exiger que les fonctionnaires encore présents dans le groupe puissent bénéficier de la revalorisation de carrière décidée par le gouvernement au printemps 2009. Reprise par les parlementaires de l’opposition, leur revendication a reçu un écho favorable au Sénat en novembre. Deux amendements, imposant à la direction de reconstituer les carrières et de présenter un bilan des promotions des fonctionnaires en fin d’année, ont été adoptés à l’unanimité.

Les agents de maîtrise d’EDF passent moins aisément cadres, juge la CGT. En cause, le développement de la sous-traitance

Fonctionnaires ou de droit privé, certains salariés se montrent aussi sceptiques à l’égard de la gestion RH revendiquée par leur direction. La CGT d’EDF note que les agents de maîtrise ont de plus en plus de mal à passer cadres, car les possibilités de promotion se réduisent au fur et à mesure du développement de la sous-traitance. Frustrés de voir leur demande de mobilité géographique ne pas déboucher, les postiers expriment leur amertume sur la Toile. « Je pense que le dispositif Poste mobilité, c’est un peu de la foutaise. Je viens de postuler à 500 kilomètres de chez moi et l’on m’a répondu qu’un candidat local avait été retenu sur consigne du directeur », explique l’un d’eux sur le portail wk-rh.fr. Les nouveaux outils de GRH ne rassurent pas. Au contraire. L’entretien annuel peut nourrir l’idée qu’une promotion est accordée à la tête du client. « Pour bouger, il faudrait connaître quelqu’un qui connaît quelqu’un qui saurait peut-être… C’est désespérant », estime un autre postier internaute. Les « forums mobilité » organisés partout par la direction de la RATP n’impressionnent pas plus Philippe Touzet, de SUD RATP. « Les demandes sont accordées en fonction du réseau personnel », assure-t-il.

Les cheminots sont plutôt confrontés à une mobilité géographique contrainte. « Auparavant, seuls les cadres qui voulaient faire carrière bougeaient beaucoup. C’était un choix personnel. Mais depuis quelque temps, la direction générale centralise les emplois dans les grands centres, l’Ile-de-France et Rhône-Alpes. Les collègues sont obligés de bouger pour conserver leur emploi. », note Jean-Daniel Bigame, représentant Unsa. L’ancienne décentralisation en régions fait place à une organisation par branche. « Le modèle affiché, c’est France Télécom. Avant la vague de suicides », précise le syndicaliste.

Idem chez ADP, où l’avancement est toujours calé sur l’ancienneté, mais dont les modalités ont été modifiées. « Auparavant, une bourse aux emplois internes, gérée par la DRH, affichait les postes à pourvoir et chacun postulait directement auprès du responsable hiérarchique concerné. Aujourd’hui, tout est centralisé », explique Alain Izzet, de la CGT. La DRH a également revu le recrutement des cadres. Les jeunes diplômés sont majoritaires, alors que naguère presque tous les cadres étaient d’anciens agents de maîtrise. « La direction essaie d’augmenter la mobilité externe, traduit Marie-Anne Donsimoni, de la CGC. Elle ne veut plus de gens qui font toute leur carrière dans l’entreprise. » De quoi nourrir une réflexion de la direction sur la meilleure façon de modifier des habitudes collectives bien ancrées sans heurter les sensibilités.

E.B.

Du relevé manuel au compteur intelligent
EDF

Établissement public industriel et commercial puis société anonyme, EDF avait jusqu’en 2007 le monopole de la distribution d’électricité pour les particuliers. Le relevé des compteurs faisait partie intégrante de ses métiers.

L’entretien annuel d’évaluation n’était pas obligatoire. L’évolution des rémunérations dépendait du résultat des négociations portant sur l’évolution de la grille.

ERDF

Le distributeur d’énergie, filiale à 100 % d’EDF, projette d’équiper les particuliers de compteurs connectés à Internet qui seront relevés sans intervention humaine. Nombre de techniciens ont déjà dû évoluer vers le métier de conseiller de clientèle.

Un rapport d’enquête pour le compte du CHSCT révèle que « la grande majorité des salariés d’ERDF-GRDF ne sait pas trop où elle va et quel sera son avenir ».

Des sous-marins aux énergies renouvelables
DCN

Intégrée à la Délégation générale pour l’armement jusqu’au début des années 2000, la Direction des constructions navales regroupait l’ensemble des arsenaux. La construction et l’entretien des bateaux et sous-marins étaient assurés par des ouvriers d’État.

En 2007, la transformation de DCN en DCNS, détenu à 75 % par l’État et 25 % par Thales, acte la fin d’une époque.

DCNS

Dirigé par Patrick Boissier, l’ex-patron des Chantiers de Saint-Nazaire, DCNS cherche à s’internationaliser et à se diversifier.

Il a pour ambition de se développer notamment dans les énergies marines renouvelables. Avec des produits innovants, comme cette centrale thermique des mers qui produit de l’électricité en utilisant les différences de température entre les eaux de surface et les eaux des profondeurs.

Auteur

  • Éric Béal, Stéphane Béchaux