logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Dossier

Les chers renforts de Pôle emploi

Dossier | publié le : 01.02.2010 | Domitille Arrivet, Stéphanie Cachinero, Sabine Germain

Avec plus de 300 000 personnes visées, la sous-traitance du suivi de chômeurs à des opérateurs privés a pris de l’ampleur fin 2009. Un appui précieux, mais une opération coûteuse. Pas sûr qu’elle soit plus efficace que l’action de Pôle emploi.

Voilà dix mois, Christian Charpy, le directeur général de Pôle emploi, lançait le plus gros appel d’offres de la jeune histoire de l’établissement public, auprès des opérateurs privés de l’insertion professionnelle et du placement. Leur rôle ? Prendre en charge, sur une durée de deux ans, 320 000 demandeurs d’emploi et leur assurer un retour au travail le plus rapide possible. Une campagne hors du commun, qui fait suite aux expérimentations menées en 2005 (pour 2 000 personnes) et 2007 (pour 40 000) par les Assedic et l’ANPE. Afin de faire face à la marée de nouveaux chômeurs dont le nombre a augmenté de 16,1 % en un an, ces prestataires extérieurs se sont vu confier deux types de missions. Venir en aide aux personnes présentant des risques de chômage de longue durée, qui bénéficieront d’un accompagnement de six mois, et épauler les licenciés économiques, pour lesquels une période de douze mois d’action est prévue.

Moins de 14 000 bénéficiaires. Scindés en 54 « lots », les demandeurs d’emploi ont été affectés à 34 opérateurs, dont certains (comme Manpower, l’Afpa ou Sodie) mandatés dans plusieurs régions. Un trimestre après le lancement de cette opération de sauvetage, où en est-on ? Difficile de faire une évaluation précise de l’avancement de cette campagne, car Pôle emploi reste avare de chiffres. Les dernières « remontées du terrain » datent de la mi-octobre, où seuls 13 800 demandeurs d’emploi avaient été orientés vers ce processus d’accompagnement intensif. À l’automne, dans le département du Pas-de-Calais, par exemple, les opérateurs privés de placement (OPP) manquaient toujours de structures d’accueil pour recevoir leurs « clients ».

Au sein de l’établissement public, toutefois, on se dit satisfait. Il le fallait : les 3 000 conseillers qui ont été recrutés en 2009, bientôt renforcés par 1 000 CDD supplémentaires, n’allaient pas suffire à absorber le surcroît de travail, alors que Pôle emploi a pris l’engagement de réduire le nombre de chômeurs suivis par chaque agent. « Il ne s’agissait pas seulement d’accroître notre capacité d’action, souligne Karine Meininger, la responsable du service « offre de services aux demandeurs d’emploi » de Pôle emploi. Il est aussi dans notre mission de faciliter les services aux demandeurs d’emploi et de renforcer notre palette de prestations », explique-t-elle. Les prestataires sélectionnés y vont chacun de leur méthode pour arriver au meilleur résultat. D’autant que, cette fois-ci, les OPP sont exclusivement rémunérés au résultat. Un chômeur sans solution au terme échu, et le chiffre d’affaires s’en trouve amputé !

Chez Parcours & Emploi, la filiale d’Adecco qui abrite tous les services que l’entreprise d’intérim dispense depuis 2005 à l’ANPE ou à l’Unedic, on est clair : « On fera tout pour que le plus de personnes possible retrouve un emploi pérenne », annonce David Gand, le directeur de cette structure. Pour lui, les chances de réussite qu’offre son enseigne tiennent à l’expérience des 185 consultants qui travaillent sur ce genre de missions depuis plusieurs années. Parcours & Emploi, qui s’est vu attribuer quatre « lots » de demandeurs d’emploi, sait que la conjoncture n’est pas propice à un reclassement rapide. « Le travail n’est pas plus difficile cette fois-ci mais, dans un contexte de chômage important, il nous faut être au plus près de la problématique de la personne accompagnée. Être sur le terrain au maximum et dénicher en amont les offres d’emploi sur le marché caché. »

La société s’est équipée : 80 sites dédiés ont été aménagés pour accueillir le flux de bénéficiaires auxquels Pôle emploi aura proposé ce parcours intensif. Rien qu’en Rhône-Alpes, sa région d’origine, Adecco devra prendre en charge près de 22 000 personnes. « Notre point fort est la connaissance du tissu économique local », assure le directeur.

Quatre parcours types. Chez Altedia, on a voulu s’épargner les critiques émises lors de la précédente campagne. « En matière de reclassement, nous avions eu les résultats escomptés. Mais on peut encore améliorer nos procédures et nos méthodes afin de les rendre plus satisfaisantes pour les bénéficiaires, estime Philippe Hancart, directeur régional Sud-Est. Puisque l’accompagnement des licenciés économiques peut se faire en douze mois, nous avons réinvesti du temps dans l’orientation professionnelle », dit-il. Quatre parcours types ont été définis, allant du plus rapide, pour les personnes dont les qualifications sont adaptées à leur recherche, au plus complexe, dans le cadre d’une reconversion nécessitant une formation mais aussi un travail de remotivation. Pour ces cas difficiles, les consultants peuvent activer tous les modes de financement de formations, en partenariat avec l’Afpa.

Les 35 conseillers – issus pour moitié d’Altedia et pour moitié de l’Afpa – ont reçu une formation à cette méthode de ciblage des profils. Pour chacun d’eux, ils disposent d’une évaluation précise des perspectives d’embauche dans le bassin d’emploi concerné, de l’appui d’un chargé des relations avec les entreprises et d’un journal des compétences qui regroupe les mini-CV des inscrits afin d’en faire une présentation expresse aux entreprises. « Les profils varient selon les régions, témoigne Christian Valenza, directeur de l’accompagnement des licenciés économiques pour l’Afpa. Nous avons souvent affaire à des personnes issues du secteur industriel, avec une qualification de niveau CAP. Nous évaluons leurs compétences, c’est notre savoir-faire, et travaillons avec Altedia pour opérer des glissements vers le commerce, la distribution, le bâtiment ou les services à la personne, plus porteurs. » Depuis l’automne, le tandem Altedia-Afpa a déjà reçu 1 500 dossiers. Dans leur contrat, il en est prévu 14 000. Voire 30 000, si la conjoncture est franchement mauvaise…

Quand Pôle emploi tarde à « prescrire » le parcours intensif, le prestataire voit son délai d’intervention réduit d’autant. Or sa rémunération en dépend. En effet, Pôle emploi verse 50 % du montant de la prestation lorsqu’un projet professionnel est établi en moins de quatre semaines. Le reste est payé pour moitié lors du reclassement et pour moitié après six mois de maintien dans l’emploi. « Pour nous, cela représente 1 040 euros hors taxes, plus 520 euros pour le reclassement et 520 autres pour le maintien dans l’emploi », précise Philippe Hancart, d’Altedia. Un coût que Pôle emploi prévoit d’amortir en cas de reprise d’emploi grâce aux économies réalisées sur l’indemnisation du chômage. Une reconduction pour un an du dispositif est à l’étude. Pour FO et la CGT, cette main tendue vers « le privé et ses logiques mercantiles [est] le signe du démantèlement du service public de l’emploi ». Karine Meininger, de Pôle emploi, juge prématuré de parler de la suite. « À la lumière des résultats obtenus auprès des demandeurs d’emploi, nous verrons les conditions de reconduction. Mais on a toujours besoin de s’enrichir mutuellement. » Même si cela coûte plusieurs centaines de millions d’euros.

D. A.

[En faisant appel à des prestataires] il ne s’agissait pas seulement d’accroître notre capacité d’action. Il est aussi dans la mission de Pôle emploi de faciliter les services aux demandeurs d’emploi et de renforcer notre palette de prestations.

Karine Meininger, Pôle emploi

En matière de reclassement, nous avions eu les résultats escomptés [lors de la précédente campagne]. Mais on peut encore améliorer nos procédures et nos méthodes afin de les rendre plus satisfaisantes pour les bénéficiaires.

Philippe Hancart, Altedia

Le rapport qui fait du bruit

Le rapport diffusé en octobre par le Comité d’évaluation des expérimentations d’accompagnement renforcé des demandeurs d’emploi fait parler. Dirigé par Claude Seibel, inspecteur général honoraire de l’Insee, il compile des études menées à la suite de la campagne de 2007. À l’époque, 40 000 demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE s’étaient vu proposer un accompagnement, Cap vers l’entreprise (CVE), réalisé par des agents de l’établissement public. Un autre groupe de 41 000 chômeurs indemnisés par l’Unedic avait bénéficié d’un accompagnement de la part des opérateurs privés de placement (OPP). Si ces derniers ont amélioré le taux d’embauche de 5,6 %, la cellule de l’ANPE affiche une augmentation de 7,3 %… Les consultants extérieurs auraient-ils été moins efficaces ? C’est la conclusion des syndicats, qui réclament des embauches supplémentaires. Mais le rapport ouvre d’autres pistes de réflexion. Les bénéficiaires ont déclaré avoir obtenu « des offres d’emploi plus nombreuses et en meilleure adéquation avec leurs attentes » avec CVE et davantage « d’actions d’appui méthodologique à la recherche d’emploi » auprès des OPP. Le rapport indique que « le contexte de concurrence, voire de défiance » entre le secteur privé et le secteur public aurait eu un effet d’émulation plutôt bénéfique. Mais les chercheurs n’ont pas pu « mener un bilan économique complet des expérimentations, mettant en regard l’efficacité des programmes avec leur coût »… Un point crucial alors que Pôle emploi vient d’engager une nouvelle et coûteuse campagne de placement.

D. A.

Auteur

  • Domitille Arrivet, Stéphanie Cachinero, Sabine Germain