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“Les managers vivent une crise de l’autorité”

Actu | Entretien | publié le : 01.02.2010 | Sandrine Foulon

Expérimenté, audacieux et prudent à la fois, un bon chef monte au front. Difficile, dans une société de l’immédiateté et de l’individualisme, explique la psychologue. Surtout pour le middle management.

Existe-t-il une confusion entre autoritarisme et autorité dans les entreprises ?

Pour définir la notion d’autorité, il est nécessaire de revenir à la philosophie politique. L’autorité est ce qui légitime le pouvoir sans la contrainte. Elle s’impose d’elle-même. Ceux qui s’y soumettent n’ont pas à en être convaincus ni forcés. Ils l’admettent. À l’inverse, l’autoritarisme est fondé sur la contrainte, la violence, le harcèlement. Les managers vivent une crise de l’autorité. Beaucoup veulent exercer le pouvoir sans l’autorité car elle est beaucoup plus difficile à mettre en œuvre.

Qu’est-ce qui permet à un manager d’asseoir son autorité ?

Depuis les Grecs, l’autorité s’inscrit dans la continuité, dans la transmission des savoirs. Un chef est celui qui possède l’expérience. Il est censé en savoir plus que ses collaborateurs. Il est aussi le garant de la continuité de l’entreprise parce que lui-même a fait ses preuves. Or nous sommes dans un conflit permanent entre des managers qui ne restent pas longtemps en fonction et des salariés qui considèrent que ceux-là ne connaissent même pas leur métier, qu’ils sont dépêchés de nulle part et qu’ils ne sont plus porteurs de l’identité de l’entreprise.

Est-ce seulement une question de longévité et d’expérience ?

La véritable autorité est aussi légitimée par la capacité à se projeter, à concevoir à moyen et long terme. Or nous sommes précisément dans une société de l’immédiateté. Un bon leader est à la fois audacieux – les manuels sur le management le répètent à l’envi mais il suffit de relire Aristote pour s’en persuader – et prudent. Il ne s’agit pas de frilosité mais d’aptitude à ne pas prendre de décisions impulsives.

Quellessontlesautresqualitésquedoit posséder un bon leader ?

Il a une fonction de protection de ses équipes. Chez les généraux de l’antiquité, il est celui qui monte au front, qui prend des risques avec ses troupes, qui sait remettre en cause les décisions de l’état-major. C’est extrêmement fédérateur, surtout aujourd’hui où chacun joue sa partition. Il est admiré parce qu’il se soumet à la loi qu’il impose aux autres. Ses troupes sont prêtes à le suivre très loin. L’exemplarité est un critère fort de l’autorité. Les questions de rémunération en sont révélatrices : ne pas se plier aux règles d’austérité que l’on impose à autrui en s’octroyant un salaire exorbitant déconnecté du travail réalisé provoque d’énormes fractures dans le salariat.

Mais le middle management peut-il remettre en cause les choix de la hiérarchie ?

J’observe parfois, dans les entreprises où j’interviens, des situations impossibles. Les managers sont entre l’enclume et le marteau, entre les demandes de leur hiérarchie et ce qu’ils savent être bon de faire pour la performance des salariés. Face à cette contradiction interne, soit ils se soumettent par ambition ou cynisme, quitte à retourner la violence contre leurs collaborateurs, voire contre eux-mêmes ; soit ils s’en vont ; soit, enfin, ils restent, pas tant pour l’entreprise que par loyauté envers leurs équipes, créant ainsi des foyers de rébellion.

L’autorité est-elle innée ou acquise ?

Elle est acquise. Elle se construit dès l’enfance par des parents qui, non seulement, transmettent, mais apprennent l’autonomie. C’est la même chose dans l’entreprise. Le bon leader forme des individus qui grandiront et qui eux-mêmes transmettront, contrairement au chefaillon qui n’a cure de l’avenir. Alors que les entreprises valorisent l’interchangeabilité et la mobilité coûte que coûte, le bon manager est dans la progression de carrière. Cette crise de l’autorité, et plus largement du sens, que nous traversons se retrouve aussi évidemment dans les familles. Certains parents ne sont pas respectés parce qu’ils ne sont pas respectables. En ce sens qu’eux aussi construisent leur éducation sur l’immédiat, sur la notion d’être aimé « à tout prix ». En vue de satisfaire leurs enfants, afin de ne pas passer pour de mauvais parents, ils répondent au plaisir de la consommation immédiate, c’est-à-dire traitent leurs enfants en éternels gros bébés. Pour atteindre le supposé bonheur, la société nous propose une régression où nous sommes en réalité très malheureux. Dans l’entreprise, l’autorité ne repose pas non plus sur le fait de plaire. Elle s’exerce de manière asymétrique. Chercher à ne pas déplaire équivaut à se mettre en situation de fragilité.

ARIANE BILHERAN

Psychologue clinicienne.

PARCOURS

Normalienne, docteur en psychopathologie, chargée d’enseignement à l’université de Provence, Ariane Bilheran intervient également en entreprise auprès des CHSCT. Elle a fondé, à Marseille, Sémiode, un cabinet de conseil et d’études en sémiologie et anthropologie culturelle. Elle a notamment publié l’Autorité (éd. Armand Colin) et Harcèlement : famille, institution, entreprise (éd. Armand Colin), qui paraîtra réactualisé cette année.

Auteur

  • Sandrine Foulon