Fin 2009, Force ouvrière a déposé une plainte auprès de l’Organisation internationale du travail concernant la loi d’août 2008. La confédération dirigée par Jean-Claude Mailly estime, notamment, qu’elle remet en cause la liberté de négocier et de désigner des représentants syndicaux.
En préambule, il semble nécessaire de rappeler qu’il est essentiel que les organisations de travailleurs comme d’employeurs puissent saisir l’Organisation internationale du travail afin d’obtenir la pleine application des normes. Cela étant dit, l’OIT n’est pas un tribunal. Son objectif n’est pas de condamner mais, par un dialogue tripartite, de renforcer l’État de droit, de conforter l’action des partenaires sociaux et de contribuer au développement de la négociation collective. À ce titre, la liberté syndicale est un principe fondamental sans lequel il ne peut exister aucun dialogue social authentique. Une organisation syndicale française a déposé une plainte à Genève concernant la loi du 20 août 2008 au motif qu’elle fait obstacle au renforcement de la négociation collective. Il entre justement dans les prérogatives de l’OIT de veiller au renforcement de cette dernière et, plus généralement, du dialogue social. Il faut observer que cette loi est ambivalente. En effet, si ce syndicat peut argumenter au regard d’obstacles qui résulteraient, selon lui, d’une telle réforme, cette dernière n’en donne pas moins des droits nouveaux à des organisations qui n’en bénéficiaient pas. Le système français de relations professionnelles est, depuis quelques années, en profonde mutation, tout comme son droit du travail. Le droit de la représentativité a été, pendant longtemps, normativement figé. En présence de telles mutations d’importance, le droit international du travail doit être le garant de la pleine effectivité de la liberté syndicale. Les conventions nos 87 et 98 de l’OIT ne sauraient constituer des obstacles. Cependant, sur tel ou tel dispositif technique, il est toujours possible que des critiques soient formulées et un dialogue encouragé pour des solutions plus équilibrées.
Il se peut que telle ou telle juridiction ait écarté la législation nouvelle, parce que la considérant contraire aux conventions ratifiées. Néanmoins, les décisions rendues par des tribunaux et des cours nationales ou régionales ne sauraient être considérées comme déterminantes au regard de l’interprétation de la norme internationale. C’est aux employeurs, travailleurs et gouvernements qu’il revient de déterminer si une loi nationale comporte des dispositions qui ne seraient point conformes aux conventions pertinentes. En outre, on se gardera de toute assimilation avec des décisions rendues à propos du CNE et des autres conventions internationales en cette affaire.
La loi de 2008 sur la représentativité serait attentatoire à la liberté syndicale ? Ce n’est pas sérieux. Fixer à 10 % le seuil de représentativité dans l’entreprise et organiser un principe majoritaire pour la négociation collective, même avec des modalités imparfaites, n’ont rien de scandaleux. La vraie question n’est pas celle de la liberté, mais celle de la capacité des syndicats, de leur aptitude à représenter les intérêts de ceux qui travaillent et à agir en leur nom. Ce débat, loin de se limiter aux frontières hexagonales, percute des pays où, comme en Belgique, au Danemark ou en Suède, la majorité des salariés se syndique : là-bas aussi les services syndicaux ne font plus l’unanimité et les jeunes s’éloignent. En Europe, l’addition des formules dites atypiques du travail – du temps partiel au travail indépendant subordonné via les contrats à durée limitée – atteint près de la moitié des salariés. Or ce sont eux qui se syndiquent le moins, voire pas du tout, et ceux qui sont le moins présents dans les institutions dites représentatives. Mais celles-ci sont trop souvent rivées à des entités juridiques de plus en plus décalées des formes productives en matrices, en réseaux, en chaînes de valeurs.
Que dire, enfin, des objets de dialogue social qui se sont étendus, à l’instar du stress ou des parcours professionnels, bien au-delà de ce qui se passe sur le lieu de travail ? C’est donc la capacité à répondre à ces défis qui est en cause. La bonne nouvelle, c’est que les syndicats ont décidé d’avancer. Assez vite ? Ce n’est pas sûr. Les organisations, comme nous le rappelle la présente crise, ne sont pas immortelles. Et il n’y a pas que le management qui soit fondamentalement interrogé sur ces certitudes et le sens de ce qu’il devrait faire. Il est habituel de parler de mouvement syndical : mais y a-t-il aujourd’hui un mouvement autre que circulaire ? La loi sur la représentativité fait des vagues ? Tant mieux ! Elle pourrait rationaliser le paysage ? Enfin ! L’énergie mise à vouloir parfois à tout prix montrer sa différence se fait rarement dans l’intérêt des personnes que l’on prétend représenter ou défendre. Le cadre légal précédent favorisait immobilisme, petits arrangements et autres maux. La liberté syndicale, c’est d’abord la liberté d’adhérer à un projet à la fois concret et ambitieux de démocratie sociale plus que celle d’un vote boutiquier. Cette dimension du sens va au-delà de la survie de telle ou telle organisation ; elle a trait au syndicalisme tout entier.
La CGT-FO s’est inscrite dans la négociation relative à la représentativité syndicale avec l’objectif d’améliorer les dispositions existantes (droit syndical et négociation collective au niveau des PME et des TPE, liens entre sous-traitants et donneurs d’ordres). Mais tel n’a pas été l’objet de la « position commune » et de sa transcription législative (loi du 20 août 2008) qui aboutissent au contraire à l’affaiblissement de la liberté syndicale et du droit de négociation collective, alors que la France fait partie des pays dont la couverture conventionnelle est la plus importante (97,7 % en 2004) et où la négociation collective demeure dynamique (119 conventions collectives nouvelles entre 1998 et 2008 et 27100 accords d’entreprise signés en 2008). La loi ne se limite pas à introduire un critère électoral en matière de représentativité. En soumettant la désignation du délégué syndical au processus des élections professionnelles, elle entre en contradiction flagrante avec « le droit [pour les organisations de travailleurs] d’élire librement leurs représentants, d’organiser leur gestion et leur activité » sans intervention des autorités publiques limitant ce droit (art. 3 de la Convention n° 87 de l’OIT). Les fonctions de délégué élu au comité d’entreprise ou de délégué du personnel sont nettement distinctes de celles de délégué syndical chargé de représenter le syndicat dans l’entreprise, en particulier dans le cadre de la négociation collective. Il en va de même de l’obligation de démission du représentant de la section syndicale. Ainsi, la commission d’experts pour l’application des conventions et des recommandations considère que « toute disposition, quelle qu’en soit la forme, qui restreint ou interdit la réélection aux fonctions syndicales est incompatible avec la convention n° 87 ».
En donnant explicitement, dans certains cas, la primauté à la négociation avec les représentants du personnel élus, y compris en présence de syndicats représentatifs quand des difficultés peuvent exister pour la désignation d’un délégué syndical, la loi contrevient aux conventions 135 et 154 contenant des dispositions expresses pour garantir que la présence de représentants élus ne puisse affaiblir la situation des syndicats intéressés. Ces évolutions sont liées au renversement de la hiérarchie des normes avec l’introduction au niveau des entreprises d’accords dérogatoires aux droits et garanties des conventions collectives, situation aggravée par la loi du 20 août en matière de temps de travail.