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“Le malentendu entre les jeunes et l’entreprise est total”

Actu | Entretien | publié le : 01.01.2010 | Sandrine Foulon, Laure Dumont

Pour le sociologue, les jeunes attendent beaucoup de l’entreprise, mais ont aussi peur de se faire avoir. Leur déception nourrit les comportements opportunistes.

Qu’est-ce qui caractérise aujourd’hui la génération qui arrive sur le marché du travail ?

Les jeunes n’ont absolument pas confiance dans les organisations collectives. Pour rétablir leur contact avec le monde, ils font tout passer par les relations interpersonnelles. Ils se sont forgé une éthique relationnelle très forte organisée autour de cinq grandes valeurs qu’il est indispensable, pour eux, de suivre : la bienveillance, la réciprocité, le respect, la sincérité et le soutien. Ils sont facilement déstabilisables et ont besoin de se sentir soutenus quand ils flanchent. Dans les échanges sur les blogs ou sur Facebook que nous avons étudiés, les mots « respect » et « je t’aime » sont omniprésents. Le jeune a grandi dans un contexte compliqué : il est pris dans une double contrainte permanente. On lui dit « sois autonome ! » mais « obéis-moi ! ». Parallèlement, il a appris à vivre dans un environnement économique, familial et amoureux instable. Sa seule certitude est que le monde est incertain.

Dans quel état d’esprit aborde-t-il l’entreprise ?

Le décalage est réel entre les deux. Quand elle embauche un jeune, l’entreprise considère qu’elle lui offre une réelle opportunité. Le jeune, en revanche, arrive avec des attentes relationnelles très fortes concernant le respect qu’on lui doit, la reconnaissance dont il va bénéficier et ses droits. Les jeunes, contrairement à ce que leur attitude décontractée peut laisser croire, sont en effet très formalistes et très à cheval sur le droit du travail, par exemple. Les start-up de la nouvelle économie ont cru pouvoir compenser leurs fortes exigences – en temps de travail notamment – envers cette population par des conditions de travail informelles, voire par des environnements ludiques. Or, pour les jeunes, le flipper ne se substitue pas au droit du travail. Ils savent très bien ne pas tout mélanger.

Mais ont-ils vraiment un autre choix que d’accepter les règles de l’entreprise ?

Non, pas toujours, et s’ils sont contraints d’accepter un poste qui ne satisfait pas l’ensemble de leurs critères, quand l’attente relationnelle et l’offre relationnelle ne coïncident pas, ils peuvent penser qu’ils se font avoir. Soit les jeunes entrent dans un processus d’assouplissement et acceptent de faire l’impasse sur certains critères ; soit ils le refusent et se désengagent jusqu’à devenir parfois des tire-au-flanc. Les entreprises estiment qu’offrir du travail dans un monde difficile implique de la gratitude, or elles rencontrent de la défiance. Le malentendu entre elles et les jeunes est total. Au début, les déceptions sont nombreuses.

Pourquoi partent-ils du principe qu’ils se font avoir ?

C’est en partie lié à leur rapport à l’argent. Ils sont certains qu’ils en ont absolument besoin pour se réaliser, pour exister socialement, s’acheter des vêtements, des objets technologiques… Mais, pour eux, contrairement à leurs aînés, le prix des choses n’a plus rien à voir avec leur valeur réelle et les conditions de leur production. Un iPhone n’est pas un produit industriel mais un univers. La vraie valeur monétaire d’un bien est le meilleur prix auquel ils peuvent le trouver. Ils ont développé dans ce domaine des compétences microéconomiques très pointues. Du coup, ils pressentent qu’ils deviennent eux-mêmes, sur le marché du travail, le « produit » que l’employeur-acheteur veut obtenir au meilleur prix possible. Leur méfiance est décuplée. Et plus le marché est tendu, plus ils pensent que l’entreprise va essayer d’en tirer parti. Ils adoptent alors une attitude très opportuniste et à court terme qui consiste à dire « je prends ce qu’il y a à prendre et je verrai ».

Comment les jeunes voient-ils le travail ?

Ils ont vraiment envie de travailler, avec l’idée de trouver un emploi qui va les rendre utiles mais aussi leur apporter reconnaissance et estime de soi. Ils veulent participer à quelque chose et trouver un métier, plutôt de conception intellectuelle, dans lequel ils vont s’épanouir. Les marques ont tué la production matérielle ; aujourd’hui, seule la conception intellectuelle de l’objet est valorisée. Cela résulte de l’idéologie anti-industrielle qui s’est développée au cours des trente dernières années. On en vit aujourd’hui les conséquences, car les jeunes n’ont pas envie de fabriquer des choses. Pourtant, quand ils sont amenés à réaliser certaines tâches manuelles de production, comme dans le BTP, ils découvrent souvent qu’ils aiment ça et qu’ils peuvent s’y réaliser.

ALAIN MERGIER

Sociologue et consultant.

PARCOURS

Il a créé le cabinet Wei. Au cours de ses missions auprès de grandes entreprises publiques comme la RATP, La Poste ou encore pour l’Apec, il aborde un vaste spectre de problématiques RH, sociales, mais aussi sociétales pour aider ses clients à s’adapter aux mutations de la société.

Auteur

  • Sandrine Foulon, Laure Dumont