logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Politique sociale

Le retour en grâce des syndicats allemands

Politique sociale | publié le : 01.12.2009 | Thomas Schnee

Thèmes de négociation, positionnement, méthodes… Les syndicats d’outre-Rhin font peau neuve. Avec succès : redevenus acteurs du dialogue social, ils enrayent la baisse des effectifs.

Surnommés les « têtes de béton » ou les « empêcheurs de réformer » il y a quelques années encore, les syndicats allemands sont revenus en grâce. « Les syndicats ont joué un rôle important dans la réussite de la République fédérale allemande. Quand ils veulent imposer leurs revendications, ils ne sont pas forcément des interlocuteurs faciles. En même temps, ils ont montré qu’ils étaient ouverts à une coopération constructive. Pour cela, je leur en suis reconnaissante », a déclaré Angela Merkel après sa récente victoire électorale. Dans la foulée, la chancelière a montré qu’elle pense ce qu’elle dit. Lors des négociations sur le programme gouvernemental, elle a imposé à son allié, le Parti libéral (FDP), le maintien de l’autorisation de licenciement et des règles de la cogestion, comme le lui avaient demandé les syndicats.

Ce rapprochement contre nature est la conséquence du virage stratégique opéré par les syndicats après l’électrochoc de l’Agenda2010, ce catalogue de réformes néolibérales lancé par Gerhard Schröder en 2003. « Les syndicats ont pris peur en voyant la politique de Schröder et ils se sont détachés de “leur” parti, explique Wolfgang Schröder, politologue à l’université de Kassel et ancien directeur du département de politique sociale d’IG Metall. La CDU et les autres formations politiques en ont profité pour se rapprocher d’eux. Les syndicats ont ainsi pris conscience de l’intérêt qu’il y avait à tenir une position équidistante par rapport aux partis. En étant moins idéologique et plus pragmatique, on multiplie les interlocuteurs et les chances de faire passer ses idées », analyse-t-il.

Tournant réformiste. Le renouvellement de la direction d’IG Metall, l’organisation moteur du syndicalisme outre-Rhin, a joué un rôle déterminant dans ce tournant. Fin 2007, Jürgen Peters, chef de file des « traditionnalistes », a en effet été remplacé par un réformiste, Berthold Huber, secondé par Detlef Wetzel, un organisateur hors pair. Quelques mois seulement après sa nomination, Berthold Huber a bousculé le microcosme syndical en remettant en cause l’existence de la Confédération des syndicats allemands (DGB): « Si le DGB ne développe pas de concept pour l’avenir, il est menacé par la faillite », a ainsi écrit Bertold Huber dans une note interne, en menaçant d’investir la cotisation de 50 millions d’euros versée chaque année par IG Metall au DGB dans une représentation « plus efficace ». Un coup de tonnerre vite suivi d’effet : réduction des effectifs de la direction, baisse des budgets fédéraux, renforcement des structures et des pouvoirs de décision locaux mais aussi soutien renforcé aux petits syndicats : le projet de réforme du DGB, présenté fin2008, a sonné le glas de la réforme pour l’ensemble du monde syndical, IG Metall compris. Sur le plan tactique, les syndicalistes ont décidé d’étendre le champ des négociations collectives à des sujets qui concernent directement des salariés, au-delà des augmentations de salaire. Par exemple, le développement de l’offre de formation continue et d’apprentissage, la sécurité de l’emploi, la répartition du temps de travail, la retraite à temps partiel ou encore la participation des salariés au capital de l’entreprise. Chez Opel ou chez l’équipementier automobile Schaeffler, IG Metall veut expérimenter de nouvelles formes d’implication des travailleurs qui visent à renforcer leur droit de regard sur l’avenir de l’entreprise. L’idée est simple : tout est négociable mais plus rien n’est gratuit. Si une entreprise en difficulté demande d’importants sacrifices à ses salariés, les syndicats sont prêts à négocier. Mais, en retour, l’entreprise doit être prête à offrir une part de son capital à ses employés. Contrairement au modèle de l’actionnariat salarié, ces parts seraient gérées en commun par une fondation présente au conseil de surveillance. Un montage envisagé chez Opel et Schaeffler.

Après plusieurs campagnes d’organizing, Lidl a dû renoncer à bloquer l’élection de CE dans ses filiales

Autre révolution, les syndicats placent désormais les salariés au cœur de leur stratégie, conformément à la philosophie de l’« engagement syndical » chère à Detlef Wetzel, le numéro deux d’IG Metall. En cas de conflit au sein d’une entreprise, le syndicat n’intervient plus automatiquement mais propose son aide à l’ensemble des salariés, syndiqués et non syndiqués, en échange de leur implication dans une action commune. C’est donc le salarié, épaulé par le syndicat, qui choisit de s’engager et non l’inverse. Illustration chez Vacuumschmelze, une société bavaroise de Hanau spécialisée dans les produits magnétiques qui a dénoncé sans crier gare tous ses accords collectifs en 2008. Une grève générale a été déclenchée selon les principes décrits ci-dessus. Résultat : l’entreprise a bien vite rejoint le cadre des accords collectifs, et le taux de syndicalisation est passé de 70 à 99 %!

Dans les secteurs moins syndiqués, comme celui des services, les syndicats développent d’autres formes d’action. Verdi s’initie ainsi à la pratique américaine de l’organizing. L’idée est de mobiliser non seulement les salariés de l’entreprise, mais aussi les parties prenantes, des églises locales aux clients en passant par les sous-traitants. Une mobilisation à laquelle a été confronté Lidl. Après plusieurs campagnes de ce genre, le discounter a dû renoncer à bloquer l’élection de comités d’entreprise dans ses filiales. De même, la « clause de différentiation simple », où le syndicat négocie des avantages exclusifs pour ses adhérents dans l’entreprise, est de plus en plus appliquée. En mars 2009, le Tribunal fédéral du travail en a, une fois pour toutes, reconnu la légitimité. Parallèlement, les syndicats allemands ont élargi leurs thèmes de revendication en lançant une croisade contre le dumping social et les emplois précaires. IG Metall et le DGB ont passé de nombreux accords avec les entreprises et les fédérations patronales pour la revalorisation du salaire des intérimaires. Ils ont aussi réussi à convaincre le gouvernement de mettre en place des salaires minimums de branche. Aujourd’hui, plus de 2 millions de salariés en bénéficient.

La cogestion reprend du poil de la bête. Le résultat de cet aggiornamento est probant. Après avoir perdu près de la moitié de leurs adhérents en dix ans, les huit organisations du DGB ont vu la chute de leurs effectifs limitée à – 1,1 % en 2008. Par ailleurs, bien que le nombre de salariés couverts par des accords collectifs continue de diminuer (62 % des salariés en 2008 contre 76 % en 1998 à l’Ouest), la cogestion reprend du poil de la bête : « Le nombre de sociétés ayant un comité d’entreprise a augmenté, même si ces nouveaux CE ne sont pas directement contrôlés par les syndicats », explique Wolfgang Schröder. Reste que dix années de désyndicalisation ne s’effacent pas d’un coup : « La moyenne d’âge des syndicalistes, qui sont à 70 % des hommes, ne cesse d’augmenter. Elle est aujourd’hui de 49 ans », rappelle le politologue. De plus, alors que les classes moyennes fondent en Allemagne comme ailleurs, des syndicats comme IG Metall sont peu représentés dans les catégories supérieures et chez les salariés du bas de l’échelle des salaires. Si les syndicats allemands ont réussi leur retour aux affaires, il leur reste du pain sur la planche.

Salariés espionnés : les syndicats veulent une loi

Le nombre d’entreprises allemandes prises en flagrant délit d’espionnage de salariés et d’entorses à la loi sur la protection des données privées ne cesse d’augmenter. Le discounter Lidl a ainsi espionné ses salariés « non productifs » et stocké des informations privées sur leur santé ou leur situation financière. Deutsche Telekom et Deutsche Bahn ont, pour leur part, voulu traquer les fuites d’informations mais aussi les salariés « corrompus » en faisant contrôler des centaines de milliers de leurs données personnelles. Sans prévenir leurs représentants. La liste des contrevenants est longue et l’on y trouve des noms prestigieux : Airbus, Deutsche Post, Deutsche Bank, Daimler, etc. Pour Martina Perreng, experte juridique du DGB, les lois sur la protection des données informatiques sont générales et ne concernent pas le monde du travail en particulier. Il existe donc une importante marge d’interprétation qui joue plutôt en faveur des dirigeants d’entreprise. C’est le cas de la Deutsche Bahn, qui n’a pas à proprement parler voulu espionner ses salariés mais détecter les cas possibles de corruption en comparant les adresses et numéros de téléphone de ses salariés avec ceux de ses fournisseurs. « Il n’y avait pas volonté de nuire, affirme Martina Perreng, mais ce qui a été fait, sans contrôle, par des prestataires extérieurs est sans aucun doute illégal. » Pour les syndicats, qui réclament depuis longtemps une loi spécifique sur la protection des données privées des salariés, un nouveau front s’est ouvert. Dans certaines entreprises, des discussions se sont engagées entre la direction et le comité d’entreprise, aboutissant à un accord, ce qui reste toutefois l’exception. Le DGB cherche à convaincre le nouveau gouvernement de voter une loi sur la protection des données des salariés. Mais la tâche s’annonce difficile, car les libéraux du FDP y sont farouchement opposés.

Auteur

  • Thomas Schnee