logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Idées

Que peut-on attendre des accords sur les risques psychosociaux ?

Idées | Débat | publié le : 01.12.2009 |

D’ici au 1er février 2010, les entreprises de plus de 2 500 salariés devront avoir conclu un accord ou engagé un plan d’action sur le stress au travail, en s’inspirant de l’accord national interprofessionnel signé en 2008. À défaut, elles s’exposeront à voir leur nom figurer sur une liste noire.

Yves Clot Chaire de psychologie du travail du Cnam, directeur du CRTD

Cette injonction ministérielle emprunte malheureusement à la fameuse culture du résultat la tyrannie du court terme qu’on sait être pourtant l’une des causes majeures des graves problèmes du travail en France. Les entreprises se plaignent légitimement d’avoir à répondre dans l’urgence. Cela se traduit par un gonflement de l’appareil d’expertise psychosociale et juridique. Sur le marché, l’avocat le dispute au psychologue. Il s’agit d’installer entre directions et syndicats des consensus précipités autour de « machines à guérir » qui visent d’abord à ouvrir le parapluie après le drame des suicides au travail. À l’examen des premiers accords signés et des premiers plans d’action connus, c’est le modèle de la « cicatrisation sociale » qui domine.

L’installation de cette nouvelle couche de gestion sur le travail a trouvé deux appuis, le rapport Nasse-Légeron, qui a proposé de sacrifier la controverse collective nécessaire à la religion du chiffre, et l’accord interprofessionnel sur le stress, qui retient une définition très unilatérale : le stress surviendrait lorsque les individus n’ont plus les ressources suffisantes pour faire face aux exigences de l’organisation du travail. Mais le stress, c’est aussi l’inverse, quand l’organisation n’a plus les ressources pour faire face aux exigences de ceux qui veulent encore travailler correctement.

La santé au travail suppose l’initiative des salariés et un minimum de contrôle sur leur propre situation. Quand on ne fait plus autorité dans son travail, on ne peut plus se reconnaître dans ce qu’on fait. On s’y perd.

Le « bien faire » est le lest du « bien-être ». La qualité du travail réalisé est une source de santé. C’est autour de la controverse sur les critères de cette qualité que la création collective peut reprendre. Et c’est sur ce terrain-là de confrontation que la négociation devrait donc se dérouler. Dans cette perspective, le psychosocial n’est plus un risque pour la santé. C’est un atout, une source d’émotions professionnelles, le sentiment de vivre la même histoire, celle d’un métier auquel on peut œuvrer ensemble. À tous les niveaux. Le collectif n’a aucune finalité en lui-même. C’est lorsqu’il devient un instrument du travail bien fait, discutable par nature, qu’il est une ressource pour la santé. Dans ce domaine aussi il y a besoin d’experts. Mais c’est pour retrouver le travail. Pas pour s’en protéger.

Muriel Pénicaud DGRH du groupe Danone

Les risques psychosociaux font partie intégrante de la santé au travail. C’est un problème complexe, car multifactoriel : il renvoie à l’organisation et aux conditions de travail, au mode de management et à la conduite du changement. Il est au cœur de la relation qu’entretient chaque personne avec son activité professionnelle, sa communauté de travail et sa vie personnelle. Par exemple, un grand écart entre les objectifs, les moyens et la reconnaissance est souvent source de stress. Sont concernés les salariés des entreprises privées et publiques autant que les actifs non salariés. Aucun secteur, aucune entreprise n’est à l’abri, et nul ne peut garantir à cent pour cent le résultat des actions mises en œuvre. Comme la prévention des accidents du travail, la prise en compte des risques psychosociaux n’est pas incompatible avec l’économique. Au contraire, elle est un marqueur de bonne gestion sur le plan économique et humain à moyen et à long terme. La prévention des risques psychosociaux devient incontournable, au même titre que celle des maladies professionnelles et la sécurité des personnes. Elle peut et doit devenir un champ d’avancée sociale pour construire le « bien-être au travail ».

Dans ce domaine mal exploré, où les bonnes pratiques ne sont pas encore répertoriées et diffusées, il y a peu de certitudes. Cependant nous avons au moins deux convictions sur la méthode, fondées sur l’expérience : le management de proximité a un rôle clé à jouer et la prévention doit commencer par un diagnostic objectivé et partagé entre l’entreprise et les partenaires sociaux. Ce diagnostic doit être établi avec l’ensemble des parties prenantes concernées : CHSCT, médecine du travail, experts externes, salariés. C’est essentiel pour bien comprendre enjeux concrets et leviers, et pour agir de façon ciblée et efficace. Même si, selon l’enquête interne menée en 2009, 85 % de nos 80000 salariés recommandent Danone comme « entreprise où il fait bon travailler », nous avons mis en place il y a un an un observatoire du stress. À l’aide de ce bilan, nous avons ouvert une négociation en France sur la prévention du stress, et à l’échelle mondiale avec l’Union internationale des travailleurs de l’agroalimentaire. Notre démarche n’en est qu’à son commencement. Le diagnostic objectivé et partagé et la négociation sociale sont indispensables pour permettre de progresser par étapes vers le bien-être au travail.

Henri Forest Secrétaire confédéral CFDT

La CFDT a signé l’accord interprofessionnel de juillet 2008 sur le stress. Son principal mérite est de mettre fin au déni des employeurs sur la responsabilité des organisations du travail. Il devient licite d’aborder la prévention sur le plan collectif et non plus sous l’angle de l’accompagnement individuel. Les drames survenus à France Télécom ont frappé l’opinion publique et poussé le ministre du Travail à annoncer des mesures. L’invite à destination des entreprises de plus de 1 000 salariés à négocier avant février 2010 n’a qu’une portée symbolique. Elle est peu contraignante : la seule sanction sera la publicité négative faite aux entreprises qui ne s’engageront pas. Mais il y a d’autres limites : d’abord le choix des entreprises de plus de 1000 salariés. Il est discutable car elles sont peu nombreuses. La négociation doit être plus large et concerner les branches (ce que les organisations patronales ont refusé d’inscrire dans l’accord de juillet 2008) et les filières de production. Il faut en effet aussi prendre en compte les conséquences néfastes sur les organisations du travail des sous-traitants générées par leurs donneurs d’ordres.

La pression, ensuite, mise par les échéances pour les négociations est un contresens. Les débats sur les modalités de prise en charge des risques psychosociaux sont difficiles et nouveaux. Le temps de construction d’un projet d’accord est forcément long. Il s’agit davantage de bâtir un accord de méthode inscrit dans la durée comportant un suivi et un pilotage par les partenaires sociaux adaptable en fonction des évolutions de l’entreprise.

Les entreprises, faute de prendre le temps et de s’engager réellement, ne produiront que des accords formels et stéréotypés : recours à un cabinet d’expertise qui proposera un questionnaire (standard), mise en place d’une cellule d’écoute, d’une boîte aux lettres, d’un numéro vert… Nous pensons que le contenu de l’accord doit redonner un espace de parole aux salariés pour qu’ils s’expriment sur la réalité de leur travail, permettre aux acteurs, dont les représentants du personnel, de monter en compétence, de revoir les modalités des évaluations individuelles, de questionner les stratégies d’entreprises en revisitant leur gouvernance pour introduire la question de l’impact des organisations du travail sur les femmes et les hommes. C’est donc un parcours sur le long terme qui s’accommode peu des logiques de la communication.