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Enquête

Les entreprises se parent de toutes les vertus

Enquête | publié le : 01.12.2009 | Stéphane Béchaux

Il ne leur suffit plus de vanter leurs produits, les entreprises veulent compter parmi les meilleurs employeurs. Le marketing RH se porte bien. Et son business attire les prestataires de tous ordres.

Enfin tranquilles ! Depuis quinze jours, les officines de relations presse ont relâché la pression. Ni mail ni coup de fil pour vendre les actions « formidables » de telle ou telle société en faveur des travailleurs handicapés. Un long répit en perspective jusqu’en… novembre 2010, date de la prochaine Semaine pour l’emploi des personnes handicapées. Mais, déjà, d’autres vagues s’annoncent. Ce mois-ci, l’emploi des seniors. En janvier et février, le stress au travail. Début mars, l’égalité hommes-femmes. Pour soigner leur image de marque, les entreprises ne se contentent plus de vanter la qualité de leurs produits. Elles promeuvent aussi leurs politiques RH. Une tendance née voilà dix ans, qui s’est généralisée avec l’arrivée du papy-boom : plus question de négliger sa « marque employeur » quand on manque de personnel ou que l’on cherche à attirer les élites.

Les thématiques mises en avant sont multiples, mais pas d’égale importance : la promotion de la diversité, la création de crèches d’entreprise, l’insertion des jeunes, la mise en place de conciergeries… Des sujets que certaines sociétés portent avec conviction quand d’autres se contentent de suivre le mouvement ou de faire semblant. Pas facile de faire le tri, même parmi celles qui sont de tous les dispositifs, comme Carrefour, McDo, Areva, Axa, L’Oréal, La Poste, BNP Paribas, Adecco, la Société générale ou PSA. Revue de détail des outils, des messages et des prestataires qui foisonnent dans ce grand bazar de la com RH.

Chartes : engagements sur parole

Cinq ans d’existence, 2600 signataires. Lancée fin 2004, la Charte de la diversité de Claude Bébéar s’est taillé un joli succès. Pas un grand patron qui n’ait ratifié le document, dans lequel il s’engage à favoriser la diversité « culturelle, ethnique et sociale ». Question volume, le compte y est. Mais côté résultats… « La Charte formalise un contrat moral. Le patron qui signe mais ne fait rien se discrédite. Tout le monde peut lui demander des comptes », plaide Henri de Reboul, superviseur en chef à IMS-Entreprendre pour la cité. Sur le terrain, pourtant, pas beaucoup de changement. « En cinq ans, très peu de boîtes ont travaillé de façon sérieuse sur le sujet. On en est resté aux déclarations d’intention », se désespère l’ex-président du CJD, Sylvain Breuzard, par ailleurs patron de Norsys.

Outil de sensibilisation, la Charte ne sépare en rien le bon grain de l’ivraie. Les patrons les plus convaincus y côtoient les opportunistes, les entreprises vertueuses, les plus indifférentes. Car le succès du document tient pour beaucoup aux opérations de promotion organisées localement. « On fait venir un ministre ou un élu, on racole les entreprises du coin. Tout le monde signe et on s’en va. Derrière, il n’y a aucun suivi », regrette le directeur diversité d’une entreprise de bâtiment. Un coup d’œil à la carte de France des signataires suffit pour s’en convaincre. Le taux de « couverture » varie considérablement d’une région à l’autre, selon que l’IMS dispose ou non d’un partenaire local actif. Résultat : vingt fois plus de signataires dans le Limousin (204) qu’en Poitou-Charentes (10), cinq fois plus en Lorraine (214) qu’en Alsace (44).

Le succès de l’opération a néanmoins fait des émules. Charte de l’apprentissage (en 2005), de l’égalité des chances dans l’éducation (en 2006) ou toute récente Charte réseaux sociaux et recrutement ont depuis pointé leur nez. Ambition pour cette dernière, faire mieux que la Charte de la parentalité, corédigée par deux cabinets de conseil (HR Valley et Équilibres) et lancée voilà dix-huit mois. Un texte court, très peu contraignant, qui vise à favoriser la conciliation des vies professionnelle et familiale. « Cette charte, c’est du marketing. Elle sert surtout aux consultants pour faire du business », assène un DRH signataire, qui boude l’Observatoire de la parentalité mis en place pour la promouvoir. Dans la liste des signataires, des grands noms du CAC 40, mais aussi beaucoup de prestataires et de cabinets de conseil.

Labels : la preuve par l’audit

Bâti par l’ANDRH et lancé à l’automne 2008, le label Diversité fait un tabac. Il compte une trentaine de titulaires. Et une centaine de prétendants, dans l’attente du verdict de la commission quadripartite chargée de le délivrer après audit in situ de l’Afnor. « On vérifie la conformité des outils, leur efficacité et l’amélioration de la performance au fil du temps », précise Thierry Geoffroy, le labellisateur en chef. Le diagnostic se veut exigeant. Avant d’obtenir son sésame, en avril, L’Oréal s’est ainsi fait retoquer. « On a subi des pressions, ils voulaient faire partie de la première vague », confie un membre du jury. Raté ! Parmi les premiers lauréats, seules deux multinationales : PSA et BNP Paribas. La Poste, aussi, a dû revoir sa copie avant d’être labellisée. Parmi les griefs, le manque de visibilité de son instance de recours en cas de suspicion de discrimination. « On a monté un plan d’action pour la faire connaître. Résultat, en quatre mois, l’instance a été autant sollicitée qu’au cours des deux années et demie précédentes », note Christine Bargain, directrice diversité et handicap.

Décrocher le label ne vaut pas absence de discriminations. Mais assurance que l’entreprise a mis en place les outils pour déceler et réparer les bugs. La prudence, néanmoins, reste de mise. « Mettre en place de belles procédures et se faire certifier ne signifie pas qu’il y a adhésion et appropriation de la démarche en interne », prévient Éric Babin, directeur de mission chez Vigeo. Des critiques qui valent aussi pour le label Égalité, délivré par une commission tripartite après audit de l’Afnor sur dossier. Un outil boudé. En cinq ans, seule une petite cinquantaine de sociétés ont décroché le sésame. Dont l’entreprise de BTP Lainé Delau, labellisée en 2005. À l’époque, la filiale de Vinci ne comptait qu’une femme parmi son personnel ouvrier. Et deux l’an dernier, lors du renouvellement.

Autre outil, sectoriel celui-ci, le label Responsabilité sociale des centres d’appels, mis sur pied en 2004 par les organisations patronales. À ce jour, 27 entreprises – sur 30 candidates – l’ont décroché. Après audit d’Ernst & Young et feu vert d’une commission tripartite, ouverte aux syndicats mais boycottée par la CGT et FO. Un label de complaisance ? Pas sûr. L’an dernier, sous la pression notamment cédétiste, Teleperformance a perdu son sésame. Une décision contestée devant les tribunaux, avant que Laurent Wauquiez ne joue les pacificateurs. Finalement réglé à l’amiable, le différend a contraint la branche à professionnaliser son label. « On finalise la réécriture des règles de gouvernance. Avec Teleperformance, on est passé en force. Mais on ne disposait pas de tout l’arsenal formel pour être inattaquable », admet un membre de la commission d’attribution. Gênant pour un label exigé dans certains appels d’offres…

Au Top Employeurs 2009, France Télécom a obtenu cinq étoiles pour ses conditions de travail, avec, en “points forts”, la signature de la Charte de la parentalité et le télétravail
Palmarès : de la com avant tout

Mitonné par l’institut Great Place to Work, le palmarès 2009 des entreprises françaises « où il fait bon travailler » mélange choux et carottes. En tête, W. L. Gore, fournisseur du fameux Gore-Tex, et Accuracy, un tout jeune cabinet de conseil en risque financier. Deux PME d’une soixantaine de collaborateurs qui devancent Microsoft (troisième) et Leroy Merlin (quatrième), mais aussi McDonald’s (dix-neuvième) et… l’école privée Sainte-Thérèse d’Ozoir-la-Ferrière (vingt-cinquième). Une incongruité qui va disparaître, le palmarès 2010 devant séparer petites et grosses structures. Pas de quoi désarçonner l’organisateur français de ce concours de beauté payant (3 500 euros hors taxes, tarif de base). « On est la référence mondiale. Notre outil de mesure a fait l’objet de nombreuses recherches, il est utilisé avec succès dans 41 pays », rappelle Patrick Dumoulin, son directeur.

L’an dernier,109 entreprises se sont lancées dans la compétition, composée de deux épreuves : un questionnaire de satisfaction rempli par un échantillon de salariés et un audit sur dossier des pratiques de gestion des ressources humaines. Au-delà des 30 premiers, impossible de connaître le nom des participants. « Les entreprises primées en font des tartines. Mais vu qu’elles paient pour participer, ça montre le niveau de crédibilité ! » dénonce Jean-Marc Cicuto, leader de la CFTC chez Leroy Merlin. Friande du concours, l’enseigne de bricolage a été primée l’an dernier pour sa politique de formation. Au moment même où ses syndicats dénonçaient l’accord sur le DIF.

Concurrent direct du classement d’origine californienne, le palmarès Top Employeurs, du néerlandais CRF. Facturée 9500 euros hors taxes, cette prétendue certification récompense les entreprises « qui se distinguent par l’excellence de leurs pratiques RH ». Réputé « fiable à 100 % », le processus de sélection repose sur un simple questionnaire déclaratif, rempli par les services RH. Pas la moindre enquête contradictoire, sinon une visite de courtoisie réalisée par un journaliste chargé d’interviewer le DRH et deux gentils collaborateurs dûment désignés par l’entreprise.

Parmi les 20 lauréats 2009, Siemens, Cofidis, Saipem, Carrefour et… France Télécom. Comble de malchance, l’opérateur a même obtenu cinq étoiles pour ses conditions de travail, avec, en « points forts », la signature de la Charte de la parentalité et la mise à disposition d’outils de télétravail. « La qualité de son offre RH s’avère de très haut niveau. Mais ça ne préjuge pas de la façon dont les managers l’appliquent », répond Nicolas André, directeur de CRF France. La révélation, au printemps, des Top Employeurs 2010 s’annonce déjà palpitante, l’opérateur ayant renouvelé sa candidature.

Du côté des lauréats, on n’a cure des biais méthodologiques. Sites Web et stands de recrutement affichent fièrement les récompenses obtenues auprès de l’un ou l’autre des deux jurys. « Notre société souffre d’un déficit de notoriété sur le territoire français. On est à l’affût d’opportunités pour communiquer sur notre image employeur », explique Patrick Faut, responsable du recrutement de Saipem. Sur ce marché, l’offre devrait encore s’enrichir. Classé au Top Employeurs 2009, Hewitt planche sur une déclinaison ouest-européenne, pays par pays, de ses études best employers, gratuites, déjà réalisées en Asie et dans l’ex-bloc soviétique. Autre intervenant, le suédois Universum. Chaque année, cet institut sonde les cœurs des étudiants français des grandes écoles. En tête du top 100 des employeurs préférés des jeunes des écoles de commerce, LVMH, L’Oréal et Air France. Sur le podium des élèves ingénieurs, EADS, Veolia Environnement et EDF. Un baromètre fiable pour mesurer l’attractivité des entreprises. Mais pas le niveau d’excellence de leurs pratiques managériales.

Politiques publiques : des promesses floues

Rémunérations indécentes, plans sociaux « boursiers », vagues de suicides… Lors des scandales médiatisés, les dirigeants politiques sont rarement les derniers à vilipender les « méchants » employeurs. Pour limiter les risques de curée, autant rester dans les petits papiers des ministres, en répondant à leurs sollicitations. Parfait exemple, le plan espoir banlieues. Lancé en 2008, le dispositif met à contribution les employeurs, encouragés à recruter des jeunes des quartiers sensibles. En dix-huit mois, 73 entreprises ont sauté le pas. Bilan de leur engagement triennal : 35 804 emplois stables, 9 773 contrats en alternance et 13160 stages. Des promesses largement tenues en 2008 et bien orientées pour 2009, selon le secrétariat d’État à l’Emploi, destinataire des pointages réalisés par Pôle emploi.

Impossible, pour autant, de juger de l’efficacité du dispositif. Beaucoup de signataires se sont en effet contentés d’indiquer noir sur blanc des volumes d’embauches réalisées de facto. « On a pris des engagements sans risques. On n’a pas attendu Laurent Wauquiez pour recruter dans les quartiers », admet Éric Dadian, patron d’Intra Call Center. De surcroît, les chiffres détaillés, entreprise par entreprise, restent confidentiels. Libre aux dirigeants de les révéler. « On s’est engagé à ne pas les communiquer. Mais si un employeur ne joue pas le jeu, on retirera son logo de la liste », promet-on au cabinet de Laurent Wauquiez.

Le manque de transparence vaut aussi pour la mission Proglio. Au printemps, à la demande de l’Élysée, l’ex-patron de Veolia a joué les VRP de l’apprentissage pour inciter ses pairs à ouvrir en grand les vannes des contrats en alternance. Un remake de l’opération orchestrée en 2005 par Henri Lachmann, alors patron de Schneider Electric. Bilan du nouvel exercice : 120 000 promesses de contrats sur deux ans – soit 24 000 de plus qu’initialement prévu – émanant pour l’essentiel des entreprises du CAC 40. Là encore, pas moyen de connaître les engagements société par société. « On ne donnera de détails à quiconque. On n’est pas chargé de contrôler. Mais, entre nous, on se parle », précise Christian Dapilly, cheville ouvrière du dispositif et DRH adjoint de Veolia Environnement.

Autre serpent de mer gouvernemental, l’emploi des seniors. Au printemps, Bercy a commandé à Vigeo un audit des bonnes pratiques. Histoire d’encourager les entreprises à construire des plans d’action sans attendre la mise en place de pénalités financières à partir du 1er janvier 2010. Parmi les rares volontaires, les éternels Axa, L’Oréal, Thales et Areva, mais aussi Siemens, Cofidis ou Vinci. Bien leur en a pris. Tous se sont offert un coup de projecteur, leur logo trônant en première page du recueil remis en juin à Laurent Wauquiez. Sans que leur audit complet soit rendu public. « Sur l’emploi des seniors, personne n’est exemplaire. Mais on peut créditer ces entreprises d’une volonté réelle d’avancer et de courage dans l’action », assure Éric Babin, directeur de la mission chez Vigeo.

Délocalisation citoyenne pour BNP Paribas

◊ L’intention : Fin octobre, 3 200 salariés de l’activité titres de BNP Paribas emménagent sur le site des Grands Moulins de Pantin. « Premier employeur privé de Seine-Saint-Denis », « partenaire économique, associatif et culturel majeur »…, la banque en profite pour rappeler ses dix ans d’implantation, sa « politique d’emploi » et sa dimension citoyenne, entre microcrédit et financement d’associations locales. C’est l’unique campagne institutionnelle du groupe en 2009.

◊ Dans les faits : Coût de l’immobilier parisien oblige, BNP Paribas a transféré, depuis 2000, plus de 7 000 salariés dans le « 9-3 ». Mais sa contribution à l’emploi local reste à développer : seuls 307 salariés travaillent et habitent dans le département. Aucune création directe d’emplois n’est attendue, pour l’instant, de l’emménagement du groupe labellisé Diversité. A.F.

L’ADN du respect pour Danone

◊ L’intention : Pas de Zinédine Zidane ni de Muhammad Yunus sur les photos. Dans sa dernière campagne, lancée fin 2008, Danone met en avant la spécificité de sa marque et des conditions d’emploi, ce something special inside. Au menu, 12 annonces mettant en scène des anonymes pour évoquer l’évolution vers l’alimentation santé et les valeurs maison : ouverture au monde, adaptation locale, audace des employés…

◊ Dans les faits : L’alternance de messages « marque » et « employeur » illustre le double projet économique et social de Danone. Avant de réaliser la campagne, le service communication reprend le sondage biennal auprès des 76000 salariés, mesurant ce qui les engage. De quoi assurer la cohérence du message, de l’interne vers l’externe. A.F.

Diversité revendiquée chez Vinci

◊ L’intention : Devenu en 2007 premier groupe mondial de construction et de concession (142000 salariés), Vinci veut montrer qu’il « défend aussi des valeurs humanistes », « apporte des preuves de son utilité sociale ». Pour sa première campagne corporate depuis 2000, il abat la carte des engagements : créer des emplois durables, promouvoir la diversité… Le numéro un, Xavier Huillard, les présente dans un manifeste publié dans la presse. Outre cette ingénieure franco-algérienne, quatre salariés les illustrent, sans sourire, à côté d’un texte sur les actions menées ou à mener.

◊ Dans les faits : Xavier Huillard l’avait promis, Vinci rend publics depuis 2008 les résultats de l’audit annuel « diversité » réalisé par Vigeo auprès de 40 filiales, bref les bons et mauvais points décernés. Telle la sous-représentation de personnes issues de l’immigration parmi les cadres et… les ingénieurs. Une démarche de transparence inédite. A.F.

Capitalisme social pour Bouygues

◊ L’intention : « Maintenant que nous sommes crédibles en interne, nous pouvons le faire savoir. » En 2008, un an après le début du Grenelle de l’environnement, Martin Bouygues dévoile la première campagne corporate du groupe, jusqu’alors porté au « vivons caché, vivons heureux ». Une rupture motivée par le souci d’aider les salariés à « se sentir plus à l’aise à l’extérieur ». L’image est râpeuse ? La campagne prend le contre-pied, avec son titre « Donner » et ses mains tendues présentant les actions en faveur de l’environnement ou des salariés.

◊ Dans les faits : Le don d’actions, suggéré par le message, n’a pas eu lieu. Mais Bouygues a mis la main à la poche pour booster l’actionnariat salarié jusqu’à 15,9 % du capital. Cinq augmentations de capital, avec effet levier, ont facilité l’acte d’achat. A.F.

Auteur

  • Stéphane Béchaux