logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

Le parler-vrai, c’est tendance

Enquête | publié le : 01.12.2009 | Anne Fairise

Salariés envoyés sur les campus, blogs d’employés mis en ligne, audits publics des engagements de l’employeur… Dans la surenchère de messages RH, certaines entreprises choisissent de jouer le concret et la transparence.

Aucun client entrant dans un des 350 supermarchés Casino n’y échappe ! Actions de recrutement en faveur des personnes handicapées ou de l’apprentissage…, toute la politique RH s’affiche sur le totem judicieusement placé à l’entrée de chaque magasin. En décembre, les directeurs y auront épinglé l’accord de groupe sur l’emploi des seniors. Comme ils l’ont fait en mai, après l’obtention du label Diversité. Une nécessité pour le DRH. « Les clients privilégient les enseignes ayant une vraie éthique sociale », commente Jean-Claude Delmas, qui promeut avec la même vigueur sur le Net, depuis 2006, l’identité employeur de l’enseigne. En privilégiant, toujours, les actions concrètes plutôt que les symboles. L’initiative locale plutôt que l’énoncé d’une charte. Pour montrer que ce n’est pas de l’affichage mais « le projet d’entreprise ».

Car il y a une sacrée concurrence en matière de communication sur les pratiques RH, qu’elles soient vertueuses ou émergentes. BNP Paribas installe une filiale aux Grands Moulins de Pantin, en Seine-Saint-Denis… hop ! il rappelle son rang de premier employeur privé du « 9-3 », avec 8 000 salariés (dont bien peu habitent sur place), et récapitule toutes les actions menées en faveur des banlieues françaises. Le groupe Bouygues dévoile ses actions en matière de développement durable… hop ! il n’oublie pas de mettre en avant l’important actionnariat salarié, 50 000 collaborateurs détenant près de 16 % du capital. La Semaine pour l’emploi des personnes handicapées repointe son nez en novembre… hop ! Générale de santé, La Banque postale, le Crédit agricole, Eurocopter, et jamais personne ne saura combien d’autres très nombreuses entreprises réaffirment leur « engagement », leur « attachement », leur « priorité » pour ce sujet. Sur fond de chômage à presque deux chiffres, les entreprises remâchent leur message sur l’humain, avec un grand H.

Logique, pour Julien Carette, directeur du développement chez Euro RSCG C & O : « Nous vivons une crise profonde du capitalisme, avec l’idée qu’il écrase les hommes. Les employeurs qui sortent du lot captent toute l’attention des citoyens consommateurs. » D’où la surenchère. L’apparition depuis 2003 de pénuries d’ingénieurs a fait évoluer les pratiques. « Certains employeurs les ont repensées en lien avec la stratégie de l’entreprise », note Gilles Verrier, d’Identité RH. Il y a aussi la volonté des DRH de reprendre la main sur un sujet dont ils sont de plus en plus dépossédés. Par les salariés ou ex-salariés qui défont les réputations sur le Net. Par le gouvernement qui condamne telle fermeture de site, exige des résultats sur l’égalité professionnelle, attend une prise en compte des risques psychosociaux… « Depuis cinq ans, les ressources humaines sont tombées dans le domaine public », résume Julien Carette. Pas un DRH de grand groupe qui n’échappe aux séances de média training. Au cas où.

Dans la panoplie du marketing RH, un nouvel outil a trouvé sa place : le salarié satisfait. Bien plus probant que les chartes, labels et autres palmarès. Qui mieux que lui peut conter la réalité quotidienne au travail, de surcroît pour un coût dérisoire ? Une poignée d’entreprises osent même les mettre en première ligne sur le Net. Comme Sephora, la filiale de LVMH, qui a ouvert depuis 2007 une fenêtre sur le quotidien des « Sephorettes » (http://blog rh.sephora.fr).

Elles y racontent leur métier, leurs déplacements, l’excitation à l’ouverture d’une enseigne. Toute chose matière à dialogue avec les internautes ou autres salariés, dont les réactions sont livrées telles quelles. Même les plus acides. « Vos récits sont féeriques », explique en substance une anonyme qui rappelle les « entretiens démotivants après le passage du client mystère, les missions qui n’aboutissent à rien, les promesses en l’air ». Rien de gênant pour la responsable du développement RH Europe, qui se place sur le terrain de la transparence. « S’il y avait vraiment des problèmes en interne, le blog n’aurait jamais vu le jour. Notre logique, c’est de donner l’image la plus juste du quotidien chez Sephora pour que les candidats postulent en connaissance de cause. » Réussi. En deux ans, les candidatures annuelles ont bondi de 35 000 à 50 000.

Gare aux employeurs qui négligent les nouvelles exigences du candidat-citoyen-consommateur ! Les agences de communication RH l’ont compris qui n’ont plus à la bouche que le « parler-vrai » (sic) et la proximité. Ultime argument de marketing RH. « Internet révolutionne cinquante ans de marketing et fait émerger un besoin de cohérence entre toutes les expressions de l’entreprise », commente Didier Pitelet, président fondateur de Dreamgroup. En résumé, les promesses aux candidats sont priées de refléter la vraie vie des salariés. Et les DRH, de mouiller le maillot. Chez Casino Supermarchés, Jean-Claude Delmas se plie à l’exercice du « chat » une fois par mois. Il ne s’y prêtait qu’une fois par trimestre en 2006.

Sur les campus et dans les amphis des grandes écoles, la carte du « salarié satisfait » est aussi plus que jamais brandie. Place aux « ambassadeurs » des entreprises, choisis parmi les jeunes collaborateurs, et de préférence parmi ceux qui portent une real story plutôt qu’une success story. Histoire de faire jouer à plein l’effet miroir. Chez Total (1 500 recrutements en France en 2009), le réseau d’ambassadeurs est, pour la première fois cette année, structuré et déployé au niveau du groupe. « Pour faire découvrir nos métiers aux étudiants, rien ne vaut le contact direct avec un salarié et la discussion à bâtons rompus », plaide Adrien Béchonnet, directeur des relations avec les écoles. Pas question d’en faire des porte-drapeau ayant réponse à tout. Profil bas : « Si les questions dépassent le cadre de leur métier, ils doivent trouver le bon interlocuteur en interne. » À charge pour celui-ci d’y répondre. Début 2009, Jean-François Lassalle, directeur des relations extérieures à l’exploration, a affronté les élèves de l’École des ponts et chaussées sur la présence de Total en Birmanie.

Les salariés satisfaits n’évangélisent pas que les campus : ils s’affichent en 4 × 3, sur petits ou grands écrans. Pas une campagne qui n’ait son salarié témoin. La preuve vivante incarnant ici la porte ouverte aux personnes issues de l’immigration, là la chance laissée aux apprentis, là encore les possibilités d’évolution ou d’avoir un boulot en phase avec ses valeurs. Dans sa campagne lancée en avril, EDF (3 000 recrutements annuels jusqu’en 2012) pousse la précision jusqu’à décliner les prénoms, noms et jobs de 10 salariés qui, nouveauté, sont cités largement. Fini, aussi, le discours « à la place de ».

Depuis 2008, Vinci rend publics les audits mesurant le déploiement de sa politique de promotion de la diversité. Pas facile, surtout quand les notes stagnent

Une contre-attaque de bon sens pour Julien Barbier. « Il n’y a pas mieux qu’un salarié pour communiquer son enthousiasme, ou son acrimonie », constate le cofondateur du premier site français de notation sur les entreprises, menacé de fermeture depuis l’après-midi même de son lancement en avril 2008. Restaurateur qualifié d’esclavagiste, agence de conseil traitée de « marchand de viande »…, www.notetonentreprise.com ne fait pas dans la dentelle mais inspire. Dix-huit mois après sa création, on comptabilise une quinzaine de clones sur le Net. De quoi renforcer, côté entreprises, la tentation de jouer la carte du salarié satisfait. Parole contre parole. Mais, pour Fabrice Fournier, président de l’Association des agences conseil en communication pour l’emploi (ACCE), « les employeurs doivent se garder de systématiser le recours à l’interne pour parler à l’externe ». Car le message risque d’être dénaturé. Le faux pas menace toujours. Mieux vaut travailler ses pratiques RH.

Reflet de l’époque ? La crise semble tarir le flot de déclarations d’intention. Les chartes font moins le plein de signatures. Consultant et initiateur de la Charte de la parentalité signée par 120 entreprises depuis fin 2008, Jérôme Ballarin reconnaît des difficultés à mobiliser. « Beaucoup d’employeurs diffèrent leur adhésion au motif qu’ils ne sont pas prêts. » Car signer, c’est s’exposer aujourd’hui à la critique. Mauvaise surprise : dans une étude publiée cet été, 26 % des entreprises les plus engagées, en tant qu’adhérentes à l’Observatoire de la parentalité en entreprise, reconnaissaient ne pas « faire beaucoup de choses » pour aider leurs salariés parents… « Signer une charte ne suffit pas à assurer qu’on déploie en interne les principes promus. C’est d’abord un outil de sensibilisation », tempère Samuel Dufay, auditeur en responsabilité sociale chez Vigeo. Mais, au rayon des actes vraiment engageants, l’agence de notation sociale retient peu de choses : la mobilisation des managers de proximité ou la mise en place d’indicateurs.

Nouveauté, pour se distinguer face à la surenchère de messages RH, où l’on ne discerne plus les entreprises vertueuses des opportunistes, certaines sociétés prennent le contre-pied et jouent la transparence totale. Quitte à reconnaître publiquement certaines faiblesses. Depuis 2008, la Lyonnaise des eaux et Vinci rendent publics les audits mesurant le déploiement de leur politique, de développement durable pour la première, de promotion de la diversité pour le second. Pas facile, surtout lorsque les notes stagnent. Comme chez Vinci, où les pratiques de 40 nouvelles filiales sont passées au crible chaque année. « L’audit Vigeo propose un diagnostic complet de notre politique et de nos pratiques. L’évolution pondérée des résultats prouve que la diversité est un sujet sur lequel il faut maintenir sans cesse la pression », note Catherine Giner, directrice du développement sociétal chez Vinci.

D’autres se concentrent sur leurs pratiques, ne communiquant plus qu’a posteriori, résultats en main. Lorsque McDonald’s France s’engage sur la prévention des risques professionnels et convie, fin octobre, les caméras à immortaliser la signature de la première charte sur le sujet avec la Cnamts, tout a été balisé. Depuis dix-huit mois, trois restaurants niçois expérimentent les nouveaux process, qui seront déployés sur les 100 restaurants en propre. « Nous pouvons communiquer. Les résultats sont probants, avec une diminution de 40 % des journées d’arrêt de travail et des coûts inhérents aux accidents du travail », martelait le directeur général Vincent Quandalle. De quoi assurer un marketing RH béton, loin de tout affichage.

La petite histoire des salariés d’EDF

◊ Le message : Il était une fois un étudiant qui rêvait de pouvoir être audacieux, une malvoyante souffrant du regard des autres, une pasionaria de la défense du milieu aquatique, une débutante avide de s’investir, une fillette qui se demandait bien à quoi servent ces centrales nucléaires… Pour tirer son épingle du jeu dans la guerre pour les talents qui agite le secteur de l’énergie, EDF (3 000 recrutements annuels jusqu’en 2012) tombe le masque dans sa dernière campagne RH 2009. Derrière les uniformes, il y a des cœurs qui battent, indiquent les visuels mettant en scène des salariés épanouis, en habit de tous les jours.

◊ L’intention : EDF sacrifie à la mode du storytelling (communication narrative), qui fait fureur outre-Atlantique. Constat ? Les consommateurs ou, ici, les candidats, sont de plus en plus blasés et insensibles aux messages marketing courts, percutants, simplificateurs. Pour emporter leur conviction, il faut toucher au cœur, susciter l’émotion. Après, on a le temps de dérouler le fil des arguments… A.F.

La preuve par le salarié chez McDo

◊ Le message : Vous ne le saviez pas ? Et le salarié vous regarde droit au fond des yeux et sourit à pleines dents… Dans cette campagne RH, McDonald’s France joue la connivence, avec sérieux. Égalité professionnelle, promotion interne, formation : chaque engagement est argumenté. Cette jeune femme est manager ? Mais enfin, 51 % d’entre eux portent une jupe. Cet homme est passé de la cuisson des frites à la gestion d’une équipe ? Mais 80 % des managers étaient des équipiers.

◊ L’intention : La preuve par le salarié épanoui et le chiffre. Depuis qu’Hubert Mongon, vice-président RH, s’est attelé en 2003 à la restauration de l’image sociale du groupe, en cherchant à harmoniser et à améliorer les pratiques des franchisés (80 % des restaurants), McDo est prudent comme un Sioux. A.F.

Auteur

  • Anne Fairise