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Une réforme tout en douceur

Dossier | publié le : 01.12.2009 | V. D.

Pas de grand ménage en vue dans les régimes de retraite supplémentaire des dirigeants, mais un encadrement des pratiques qui devrait à tout le moins marquer la fin de l’âge d’or de ces dispositifs.

À voir la poussée de fièvre parlementaire que continue de provoquer la fiscalité des régimes de retraite supplémentaire des dirigeants, l’émotion suscitée au printemps par le million d’euros de retraite annuelle versée à Daniel Bouton, ancien président de la Société générale, est loin d’être retombée. Mais alors que François Fillon se faisait fort de faire le ménage dans ces régimes de retraite à prestations définies – en allant jusqu’à les menacer d’une « fiscalité confiscatoire » –, le gouvernement est revenu à davantage de prudence. Comme en témoigne la version initiale du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2010 qui s’est contenté de doubler les taxes auxquelles ces dispositifs sont soumis. Un « moindre mal » pour les professionnels du secteur qui, comme Jean-Philippe Ferrandis, de Verspieren, reconnaissent que « même avec une taxation comprise entre 12 et 24 % selon les montages choisis, ces régimes demeurent très intéressants ». De fait, rapporté aux 3,4 milliards d’euros de cotisations versées en 2007, ce petit coup de griffe – s’il était définitivement adopté – ne ramènerait que 25 millions d’euros dans les caisses du Fonds de solidarité vieillesse… Soit moins que les 30 millions consacrés par la Société générale à la seule retraite de son ancien patron.

Des « pratiques inacceptables ». Certes, aucun de ces régimes n’est illégal. A fortiori depuis que la loi Fillon de 2003 les a sortis du vide juridique, en incitant les entreprises à les déclarer (par le biais d’une faible taxation) en contrepartie de l’arrêt des redressements Urssaf. Pour autant, « ces dispositifs n’en donnent pas moins lieu à certaines pratiques inacceptables », s’indigne le député Philippe Houillon (UMP, Val-d’Oise) dans un rapport d’information datant de juillet dernier. Principale source de dérive, le montant versé, défini à l’avance, est indépendant de toute durée de cotisation et est à la charge exclusive de l’entreprise. Si les plans récents sont plutôt basés sur vingt années d’ancienneté, les dispositifs anciens sont beaucoup plus généreux. En effet, « plus les dirigeants sont recrutés tard dans leur carrière, plus les entreprises sont tentées de réduire la durée d’acquisition pour aboutir au même résultat en termes de montant », observe Philippe Burger, associé du cabinet Deloitte. Exemple chez EADS ou PSA, où cet avantage garantit, selon l’étude réalisée au début de l’année par Bertrand Nouel, de l’Institut français pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (Ifrap), une rente allant jusqu’à 50 %, voire 60 % du salaire de base, après cinq années seulement de participation au comex. Autre travers, le nombre très réduit de bénéficiaires. Même si beaucoup d’entreprises ont modifié leurs régimes de façon à les rendre compatibles avec la réglementation sur les contrats collectifs, la majorité de ces régimes est en réalité réservée aux cadres dirigeants, voire aux mandataires sociaux, comme c’est le cas chez Danone. Le montant des rentes ainsi garanties n’est enfin pas toujours plafonné. S’il existe un certain consensus pour que les rentes versées n’excèdent pas un tiers de la rémunération, quelques groupes (la Société générale, Essilor, Veolia ou Renault) vont au-delà, en contrepartie d’une durée d’acquisition plus longue toutefois. Quant aux bénéficiaires d’un complément de retraite différentiel, ils sont tout simplement à l’abri des effets des réformes pesant sur les régimes obligatoires.

Les actionnaires peu consultés. Ultime reproche : les actionnaires de ces grandes entreprises sont loin de mesurer l’ampleur des avantages consentis aux dirigeants. En dépit de la loi Breton de 2005 qui a, pour la première fois, obligé les entreprises à faire œuvre de transparence, la consultation des assemblées générales est en réalité très sommaire. « Il est impossible de calculer ce que le système va in fine coûter aux entreprises », relève Bertrand Nouel, en rappelant que pour 1 euro de rente versée une entreprise doit débourser 24 euros en moyenne. Quant aux comités d’entreprise, « ils devraient être consultés et informés de l’existence de ces dispositifs, sauf qu’en pratique cela ne se fait pas », reconnaît Philippe Burger.

Face à ces dérives, le gouvernement hésite pourtant à tout chambouler. D’abord, parce que toute réforme brutale risque de mettre à mal un pan important de l’épargne retraite française : les encours de ces régimes de type article 39 représentaient, en 2007, 22,4 milliards d’euros, selon la dernière enquête de la Drees. Ensuite, « la disparition des régimes de retraite chapeau des dirigeants pourrait inciter ces derniers à ne plus investir dans les régimes à cotisation définie destinés à leur personnel », prévient l’avocat Bruno Serizay, du cabinet Capstan. Avec le danger de priver le gouvernement d’un levier pour lutter contre la baisse des taux de remplacement des régimes obligatoires. « Sous couvert de pénaliser davantage les dirigeants, le gouvernement prend le risque de toucher aux régimes profitant à l’ensemble des cadres, voire des salariés », estime Jean-Claude Guéry, directeur des affaires sociales de l’Association française des banques. Or pas moins de 1 million de salariés ou de retraités sont concernés. Enfin, « ces régimes conservent leur utilité pour certaines catégories de salariés ne disposant pas de la durée nécessaire – vingt ans – pour profiter à plein des régimes de retraite à cotisation définie », note Denis Campana, directeur de l’activité retraite du cabinet Mercer, en évoquant le cas de seniors ou de cadres internationaux n’ayant pas engrangé tous leurs droits retraite.

L’étau se resserre néanmoins sur les retraites chapeaux. D’un côté, les entreprises sont incitées à respecter les recommandations Afep-Medef, publiées en octobre 2008. À défaut d’édicter des normes strictes, celles-ci tendent à encadrer les pratiques, par exemple en limitant l’acquisition de droits potentiels à 2 % en moyenne par année d’ancienneté, soit un taux garanti de remplacement de 40 % au bout de vingt ans d’ancienneté. Parallèlement, la direction de la Sécurité sociale planche sur une réforme de fond de ces dispositifs susceptible d’intervenir en 2010, dans le cadre du rendez-vous sur les retraites. Celle-ci pourrait obliger les entreprises à externaliser ces régimes auprès de sociétés d’assurance. Moyennant un temps d’adaptation assez long pour éviter à des entreprises de se retrouver dans une impasse financière, à l’instar de Rhodia qui, en décembre 2008, détenait plus de 1,2 milliard d’euros d’engagements de retraite à financer.

Autre disposition envisagée : la suppression de l’obligation de présence dans l’entreprise pour en bénéficier, en échange de la portabilité des droits déjà constitués. « Mais avec le risque que pour donner le même niveau de rente les entreprises doivent augmenter substantiellement le taux de cotisation », s’inquiète le responsable des rémunérations des cadres dirigeants d’une grande entreprise métallurgique. Autant dire que si la bataille promet d’être rude, l’âge d’or de ces régimes discrétionnaires paraît bel et bien terminé.

Auteur

  • V. D.