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Vie des entreprises

Sodiaal plus social que Lactalis

Vie des entreprises | Match | publié le : 01.11.2009 | Sabine Germain

Dialogue, formation, temps de travail… À part sur les salaires, le groupe coopératif Sodiaal devance, d’une courte tête, l’ex-PME familiale Lactalis, devenue poids lourd du secteur. Et devrait l’emporter dans la reprise d’Entremont…

Tout sauf Lactalis ! » Le comité de groupe d’Entremont Alliance a clairement fait son choix. La reprise de ce groupe laitier en difficulté par Sodiaal n’est pas encore finalisée : elle n’est qu’en phase de « négociation exclusive ». Mais tout plaide pour qu’elle devienne effective. Les conditions de marché, d’abord : en absorbant Entremont (1,7 milliard d’euros de chiffre d’affaires), Lactalis se retrouverait en situation de quasi-monopole dans l’Hexagone. La culture sociale, ensuite : devenu, à coups de croissance externe et d’expansion internationale un groupe de 38 000 salariés, Lactalis cultive ses racines et son identité de PME familiale. Culture et histoire radicalement différentes chez Sodiaal : ce groupe coopératif détenu par 9 100 éleveurs se remet tout juste de la vague de turbulences qui l’a amené, en 2002, à céder 50 % de son fleuron, Yoplait, à un fonds d’investissement (PAI).

« Les dernières fusions et absorptions dans le secteur laitier se sont accompagnées de fermetures de sites et de licenciements, explique-t-on à la CGT. L’alliance d’Unicopa et d’Entremont s’est soldée par la fermeture du site de Saint-Méen-le-Grand, en Ille-et-Vilaine. La vente de 50 % de Yoplait à PAI a eu pour conséquence la fermeture des usines d’Amiens (Somme) et de Ressons-sur-Matz (Oise). Le regroupement de Richemonts et de la Compagnie laitière européenne au sein d’un joint-venture détenu par Sodiaal et Bongrain s’est conclu par la fermeture des sièges sociaux de Metz (Moselle) et de Vire (Calvados)… »

Harmonisation des statuts par le bas. De fait, l’histoire récente de la filière laitière française est jalonnée de fusions et de plans sociaux. À ce petit jeu, Sodiaal a une meilleure image sociale que Lactalis, qui a la réputation de gérer les fusions en harmonisant les statuts par le bas. « On peut critiquer Lactalis. Mais cette ancienne PME réalise aujourd’hui plus de 9 milliards de chiffre d’affaires, dont plus de la moitié à l’international. C’est une formidable réussite », commente, fair-play, Catherine Djunbushian, DRH de Sodiaal.

Elle est d’autant mieux placée pour apprécier la performance que Sodiaal s’est retrouvé, il y a peu, au bord du gouffre : après avoir cumulé les pertes au début des années 2000, le groupe coopératif présidé par Gérard Budin n’est sorti du rouge qu’en 2007. La complexité de sa gouvernance n’est sans doute pas étrangère à ses difficultés : en amont, 9 100 producteurs laitiers sont actionnaires du groupe à raison d’un homme, une voix ; en aval, la plupart des marques sont exploitées en joint-venture à 50-50 avec des partenaires concurrents tels qu’Entremont (Nutribio, Beuralia, Régilait), Bongrain (CFR) et le fonds d’investissement PAI (Yoplait). À son arrivée en 2005, le nouveau directeur général, venu de Monoprix, Claude Sendowski, s’est d’abord attaché à simplifier l’organisation en créant une coopérative unique, en lieu et place des sept unions coopératives qui pilotaient le groupe.

Constitué d’une myriade de sociétés, Lactalis n’a jamais eu de comité de groupe

La famille actionnaire à 100 %. Par comparaison, la gouvernance de Lactalis est limpide : la famille fondatrice, Besnier, reste actionnaire de l’entreprise à 100 %. La troisième génération aux commandes (Emmanuel, le P-DG, Jean-Michel et Marie) cultive la discrétion, gardant notamment le silence complet sur ses résultats annuels. Quant à Michel Léonard, président du directoire et artisan de la formidable croissance de Lactalis (son chiffre d’affaires a doublé entre 2004 et 2008), il s’apprête à passer les commandes opérationnelles à son directeur international, Daniel Jaouen, qui deviendra directeur général en janvier 2010.

De son passé de PME familiale, Lactalis a longtemps gardé une certaine méfiance envers les syndicats. « C’est un passé tellement révolu – il remonte à plus de trente ans ! – que je ne l’ai pas connu », tempère Bernard Dallery. Le directeur du développement RH préfère évoquer ses équipes de terrain (avec un responsable des ressources humaines sur chaque site), convaincu que « la gestion des ressources humaines et le dialogue social reposent avant tout sur la proximité ».

N’empêche : constitué d’une myriade de sociétés, Lactalis n’a jamais eu de comité de groupe. Face à une CFTC dominante (plus de 50 % sur de nombreux sites) et réputée proche de la direction, les autres organisations peinent à se faire entendre et parlent – sous couvert d’anonymat – d’un dialogue social difficile.

« Lactalis et Sodiaal, c’est le jour et la nuit en termes de dialogue social », confirme Régis Degouy, secrétaire national de la Fédération générale agroalimentaire (FGA) CFDT. Il est vrai que sa confédération est mieux représentée chez Sodiaal : elle pèse jusqu’à 80 % chez Candia (filiale à 90 % de Sodiaal), mais plutôt 15 à 20 % dans les autres filiales, où Force ouvrière et la CFE-CGC sont majoritaires.

Le dialogue social est, en tout état de cause, plus actif chez Sodiaal, où de nombreux accords sont en cours de négociation : GPEC, emploi des seniors, plan d’épargne retraite d’entreprise… Preuve de leur sens des responsabilités après une période difficile, les organisations syndicales ont accepté de revenir sur l’accord de réduction du temps de travail (particulièrement généreux) signé en 1997 : de vingt-deux jours de RTT, plus cinq jours pour les salariés ayant plus de cinq ans d’ancienneté et un jour par enfant de moins de 15 ans, ils ont consenti à descendre à treize jours. « Ce qui était possible lors de la signature de cet accord de Robien « défensif » n’est plus viable aujourd’hui », commente Catherine Djunbushian, qui explique avoir « racheté neuf jours de RTT ».

Le rythme de négociation est nettement moins soutenu chez Lactalis : en juillet, le groupe a conclu avec l’ensemble des syndicats un accord relatif à l’intégration et au maintien dans l’emploi des personnes handicapées. Sur tous les autres sujets (emploi des seniors et GPEC, notamment), Lactalis s’en remet aux négociations engagées au niveau de la branche, la Fédération nationale des industries laitières (Fnil). Laquelle travaille de plus en plus souvent en partenariat avec sa branche sœur, la Fédération nationale des coopératives laitières (FNCL), à laquelle appartient Sodiaal. Mais les conventions collectives des deux branches restent très différentes.

Pas de collaborateur au smic. Il est donc très difficile, par exemple, de comparer les grilles de rémunérations. La DRH de Sodiaal, Catherine Djunbushian concède un léger avantage à son concurrent sur ce terrain. « Nous sommes implantés dans des zones rurales où les référentiels de salaires sont relativement bas, explique-t-elle. Mais, pour une industrie à faible marge, je suis fière qu’aucun de nos collaborateurs ne soit au smic. »

Plus généreux sur le plan des rémunérations, Lactalis a, en revanche, un temps de retard dans le domaine de la formation : Sodiaal lui a consacré cette année 5,66 % de sa masse salariale, contre « seulement » 3,5 % chez Lactalis. Sous l’effet de la crise, Sodiaal devrait toutefois réduire un peu la voilure : en 2010, son budget formation ne devrait pas excéder 4,5 % de la masse salariale. Lactalis, en revanche, restera sur la même tendance : « Entre le papy-boom et le manque de jeunes diplômés dans les filières laitières (les six écoles nationales d’industrie laitière ne délivrent qu’une centaine de BTS par an alors que le marché pourrait en intégrer quatre à cinq fois plus), la transmission des savoir-faire est un enjeu crucial chez Lactalis », note Bernard Dallery, le directeur du développement RH.

Moins de salaire mais davantage de formation et de RTT, Sodiaal a une gestion plus solidaire

Le groupe d’origine normande possède un atout majeur pour gérer les carrières : tiré par sa croissance internationale, il recrute 250 cadres par an et compte en permanence une centaine d’expatriés. Ces perspectives sont un solide avantage pour attirer chaque année environ 120 jeunes diplômés. « Pour faire carrière chez Lactalis, il faut clairement avoir l’esprit d’entreprise », souligne Bernard Dallery.

Culture entrepreneuriale de Lactalis contre esprit coopératif de Sodiaal : sur le plan social, chacune de ces deux entreprises joue sa partition. Dopé par une croissance exceptionnelle, Lactalis offre des perspectives de carrière stimulantes aux jeunes diplômés et une grille salariale plus motivante. Chez Sodiaal, la culture du dialogue social et l’esprit coopératif rendent la gestion sociale plus solidaire : moins de salaire, certes, mais davantage de formation et de RTT.

Mais les deux groupes, de cultures radicalement différentes, ont un point commun : leur actionnariat (familial ou coopératif) les a mis à l’abri des errements de la Bourse. « Les producteurs de lait, qui sont aussi nos actionnaires, sont comme tous les agriculteurs : ils sont obsédés par l’idée de transmettre leur patrimoine, indique Catherine Djunbushian. Ils ont un rapport au temps très différent des actionnaires classiques. Cette ligne d’horizon nous donne le temps biologique de mieux digérer les grands projets de transformation. »

Groupe Lactalis

Effectifs :

38 000 salariés dans 148 pays, dont 15 000 en France

Collecte globale :

9,35 milliards de litres de lait

Chiffre d’affaires :

9,3 milliards d’euros (60 % à l’international)

Sodiaal

Effectifs :

3 500 salariés dans 30 pays, dont 3 200 en France

Collecte globale :

2,3 milliards de litres de lait

Chiffre d’affaire :

2,7 milliards d’euros (15 % à l’international)

Négociation contre un monopole

L’image de millions de litres de lait déversés dans la nature est présente dans tous les esprits. Le marché vit une crise de production : en dix ans, le rendement des vaches laitières a augmenté de 10 %. Résultat : le cheptel français s’est réduit de 16 % et le nombre de producteurs a diminué de 46 %. La crise que traversent les 88 000 producteurs affecte nécessairement les transformateurs que sont Sodiaal et Lactalis. « Les producteurs sont à la fois nos fournisseurs et nos partenaires, commente Bernard Dallery, directeur du développement RH de Lactalis. Il est forcément difficile d’être en conflit avec eux. Surtout quand on a le sentiment de ne pas avoir toutes les cartes en main pour les aider à sortir de la détresse dans laquelle certains se trouvent. » L’avenir des éleveurs se joue à Bruxelles, mais aussi dans le secret des négociations entourant la reprise du groupe Entremont Alliance. Sodiaal a bien compris que les producteurs et le ministère de l’Agriculture redoutent de voir ce groupe coopératif rejoindre Lactalis et de le placer ainsi en situation de monopole. Pas question, donc, de reprendre une entreprise qui a perdu 14 millions d’euros au premier semestre 2009 à n’importe quel prix…

Auteur

  • Sabine Germain