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Idées

Faut-il simplifier les institutions représentatives du personnel ?

Idées | Débat | publié le : 01.11.2009 |

Dans le cadre de la « délibération sociale », patronat et syndicats ont ouvert le dossier des institutions représentatives du personnel. Au menu : le champ d’intervention des IRP, le nombre de structures, mais aussi l’éternelle question de l’absence de représentation collective dans les TPE.

Pierre Martin Président de l’UPA

Le droit du travail a été conçu à une époque où le modèle était la grande entreprise. Or, aujourd’hui, la majorité des salariés travaille dans des entreprises de moins de 50 salariés, et notamment de moins de 20 salariés. C’est pourquoi, très tôt, l’UPA a engagé des concertations avec les syndicats pour trouver des solutions adaptées à l’artisanat. Nous avons souhaité développer la négociation au niveau des branches professionnelles. Car, dans une entreprise qui compte quelques salariés, la négociation d’entreprise, pas plus que la représentation interne du personnel d’ailleurs, n’a de sens. Sur ces bases, l’UPA a conclu l’accord du 12 décembre 2001 pour le développement du dialogue social dans l’artisanat. Celui-ci prévoit, d’une part, le développement du dialogue social dans les branches professionnelles et, notamment, le développement de la négociation d’accords de branche ; d’autre part, le développement d’un dialogue social interprofessionnel aux niveaux national et territorial.

Par ailleurs, la « position commune » des partenaires sociaux du 9 avril 2008 a reposé la question des entreprises dépourvues de représentation du personnel. C’est pourquoi la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale fait obligation aux partenaires sociaux de négocier, d’une part, l’effectivité de la représentation du personnel et, d’autre part, la mesure de l’audience des organisations syndicales de salariés dans ces catégories d’entreprises. Cette loi ayant prévu d’aboutir à un accord le 30 juin 2009, l’UPA a fait des propositions concrètes. Elles prévoient d’abord une représentation du personnel dans le cadre de commissions paritaires territoriales de branche et préconisent de mesurer l’audience syndicale au travers d’une élection des représentants des salariés dans ces commissions. Nous mettons ces propositions sur la table des négociations. Malheureusement, les représentants patronaux d’autres catégories d’entreprises ne voient pas les choses de la même manière.

Ce qui est sûr, c’est qu’il n’est pas envisageable d’imposer la désignation d’un délégué du personnel dans les entreprises de moins de 10 salariés. Bien au contraire, nous considérons, dès lors que nous aurons trouvé des solutions pour une représentation des salariés extérieure à l’entreprise, qu’il faudra l’appliquer à l’ensemble des entreprises employant jusqu’à 20 salariés.

Manuela Grévy Maître de conférences à l’université Paris 1

La singularité du système français de représentation collective qui juxtapose plusieurs institutions, fruit d’une histoire à laquelle l’hostilité patronale à l’affirmation d’un contre-pouvoir dans l’entreprise n’est pas étrangère, interroge depuis longtemps. Dans ce contexte, le discours sur la « simplification » des IRP n’est pas nouveau. En 1990, le rapport Bélier suggérait la création d’un conseil d’entreprise se substituant aux DP et au CE. En 2004, le rapport de Virville soutenait que « la création, dans les entreprises de moins de 250 salariés, d’un conseil d’entreprise exerçant les attributions des DP, du CE et des DS permettrait de développer la représentation des salariés […] ». C’est au nom de cette quête de simplification que le législateur a institué en 1993 la faculté pour l’employeur de décider, dans les entreprises de moins de 200 salariés, que les DP constituent la délégation du personnel au CE. Au-delà de l’invocation d’une complexité, frein à l’implantation des IRP, la coexistence de plusieurs institutions est surtout dénoncée comme porteuse d’un coût pour l’entreprise. La simplification ne saurait masquer le fait que les entreprises de moins de 11 salariés ne disposent d’aucune représentation collective et que, dans celles de 11 à 50, seuls des DP peuvent être élus. Ce n’est donc qu’au seuil de 50 salariés que la question d’une juxtaposition peut se poser. La simplification ne peut non plus éluder une réflexion sur les attributions des représentants et les conditions d’exercice des mandats assise sur la dualité de la représentation collective, fondée sur une double légitimité, élue et syndicale, dualité qui revêt une signification essentielle alors que l’entreprise a été promue comme un niveau majeur de la négociation collective.

Alors que la loi du 20 août 2008 a appelé à une négociation interprofessionnelle sur « les moyens de renforcer l’effectivité de la représentation du personnel dans les petites entreprises », cette manière d’appréhender l’agencement du droit de la représentation collective à l’aune de la simplification est fondée sur une perception réductrice de l’exercice de libertés publiques dans l’entreprise : la liberté syndicale, qui implique le droit des salariés de s’organiser collectivement et d’exercer leurs droits syndicaux dans l’entreprise ; le droit de chaque salarié à être représenté dans l’entreprise, canal d’exercice du droit constitutionnel à la participation des salariés.

Christian Dufour Sociologue, directeur adjoint de l’Ires

Les IRP françaises ne souffrent pas que de leur complexité. La légitimation par l’élection y a fait son chemin. Mais le renforcement de leur cohérence reste à accomplir, au-delà des questions de seuil. C’est une affaire de fond et de forme.

Les instances se partagent les tâches, et les délégué(e)s cumulent les mandats. Cet héritage disperse les efforts et favorise les programmations tacticiennes plus que les échanges de long terme. Il engendre des stratégies opaques, peu productives dans l’échange entre directions et délégués. À moyens maintenus pour ces derniers, une efficacité améliorée pourrait être attendue d’une répartition des tâches moins formelle, plus centrée sur la réalité des échanges à établir. Le coût de ces instances est élevé si elles sont peu pertinentes ; il est faible lorsqu’elles aboutissent à des mises en relation productrices de régulations assumées de part et d’autre. Les réformes sont potentiellement nombreuses. Concentrons-nous sur deux propositions.

La définition actuelle des établissements est obsolète. Elle exclut intérimaires et CDD. Cela conduit à des processus de segmentation artificiels fortement ressentis et handicapants, y compris pour les insiders. Cette définition accepte des recompositions (régionalisation, organigrammes mouvants) qui éloignent certaines instances du terrain et les réduit à l’état d’abstractions. Inutile, ensuite, de leur demander d’être « représentatives », a fortiori opérationnelles. Une réelle négociation des pourtours des instances devrait être possible.

Les priorités matérielles et stratégiques accordées aux CE depuis le début des années 80 (emploi, restructurations) ont détourné l’attention de questions jugées mineures. La vie au travail des salariés, cantonnée au formalisme des DP, a été perçue et interprétée comme relevant d’expressions individuelles, donc secondaires. La désaffection – voire le mépris – dont souffrent les tâches des DP va de pair avec la non-perception de « signaux faibles » révélateurs de la situation réelle sur le terrain. La prise en compte des demandes « individuelles » n’est pas insérée dans une vision stratégique à l’égard du personnel. Les suicides rappellent que les « revendications individuelles » méritent plus que cet oubli. La crédibilité de l’intermédiation dépend de la représentation au quotidien. Sur le fond et la forme, il faut recentrer les IRP sur leur proximité des salariés et leur lisibilité.