logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Vie des entreprises

H1N1 : une peur bleue

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.10.2009 | Jean-Emmanuel Ray

Depuis l’affaire du sang contaminé dont un ancien Premier ministre socialiste n’a jamais pu se relever, puis la canicule de l’été 2003 qui a carbonisé le ministre de la Santé de l’époque, les hauts responsables politiques et administratifs français sont tétanisés de devoir un jour répondre de leurs supposés manquements en correctionnelle.

D’où l’application littéralement démesurée du principe de précaution, initialement destiné à la sauvegarde de l’environnement mais dérivant vers une idéologie précautionneuse, révélatrice d’une société de retraités hypocondriaques ayant peur de l’avenir. Seul avantage, les réjouissantes trouvailles façon Géo Trouvetou : sens giratoire à la cafétéria, ligne blanche de séparation dans les couloirs, poignées de portes retirées, gants en plastique pour presser le bouton « café court »…

Mais, à moins que le virus ne mute, le risque est moins de santé publique que d’absentéisme massif : entre 20 % et 50 %. Bref, moins dû aux salariés malades de la grippe elle-même que des dégâts collatéraux qu’une pandémie entraînerait : crèches, écoles, centres aérés fermés pendant les vacances, transports en commun réduits. De ce point de vue, les activités les plus féminisées seront donc nettement plus affectées que les autres, avec des effets en chaîne difficilement maîtrisables : y compris chez les infirmières, aides-soignantes des hôpitaux, cliniques ou autres maisons de retraite.

Problème tel qu’on peut l’imaginer en ce début septembre : durant les huit à douze semaines que pourrait durer la pandémie, et en particulier durant sa phase aiguë (une quinzaine de jours), l’activité va-t-elle pouvoir être poursuivie dans le respect scrupuleux du droit du travail ? Pas sûr.

GESTION ÉCONOMIQUE DES RISQUES JURIDIQUES

Même si la circulaire du 3 juillet 2009 indique qu’aucune mesure dérogatoire n’est prévue (mais la Direction générale du travail pouvait-elle dire autre chose ?), si réelle et grave pandémie il y a, le respect pointilleux des règles habituelles peut devenir contre-productif, sinon dangereux pour la collectivité : il faudra réagir, et vite.

Le DRH (ou le délégataire de pouvoirs, ici particulièrement exposé) devra d’abord faire face avec les moyens du bord, et donc pratiquer la gestion des risques juridiques en priant le ciel que salariés et syndicats ne se révèlent pas ensuite trop procéduriers. Puis, le cas échéant, que les juges civils, pénaux, la Cnil… adoptent une conception compréhensive de la force majeure, du fait du prince (ex. : arrêté préfectoral de fermeture) ou de l’état de nécessité. Mais, comme l’a rappelé l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 14 avril 2006, justement à propos de la maladie d’un contractant, celle-ci ne peut constituer un cas de force majeure que « lorsque cet événement était imprévisible lors de la signature du contrat, et irrésistible dans son exécution ».

Il faudra donc, en droit commun des contrats et pas seulement en matière de contrat de travail, que le chef d’entreprise débiteur démontre qu’il a tout fait pour pallier cet absentéisme pourtant très inhabituel. Et, en matière de santé-sécurité, qu’il a « pris les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs » (L. 4121-1).

Mais une obligation de sécurité pèse aussi sur le salarié : « Conformément aux instructions qui lui sont données par l’employeur, il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. » (L. 4122-1.) Ce qui veut dire que si le port du masque est déclaré obligatoire par l’employeur, il faudra le porter toute la journée, même si, à l’instar du casque dans le BTP, l’esthétique et le confort de chacun ne sont pas optimaux. Touchant le corps de l’individu, une éventuelle vaccination poserait de délicats problèmes : un salarié peut la refuser, à moins qu’elle ne soit rendue obligatoire pour tous par la puissance publique. De toute façon, le chef d’entreprise prudent la proposera à ses collaborateurs en leur donnant le temps d’aller se faire vacciner mais se gardera de l’imposer en raison des risques liés à ce vaccin très hâtivement mis au point et très rapidement mis sur le marché.

L’ENFER, C’EST LES AUTRES : EXERCICE DU DROIT DE RETRAIT

La grande crainte des décideurs publics comme des chefs d’entreprise est d’abord un absentéisme pour cause officielle de grippe A largement supérieur aux malades réels (il n’est pas certain que les contrôles – contagieux – soient nombreux), mais aussi l’exercice massif du droit de retrait (payé), en particulier dans les services publics essentiels en contact avec une population nombreuse : transports en commun avant tout, déjà touchés par l’absentéisme des salariés malades. Les circulaires visant le secteur privé comme les services publics veulent à l’évidence encadrer au maximum cette hypothèse de droit de retrait afin de limiter les risques de grippage généralisé de l’économie française.

L. 4131-1 : « Le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé. Il peut se retirer d’une telle situation. »

– « Situation de travail » : le droit de retrait exige a priori que le salarié se soit d’abord rendu dans l’entreprise pour y travailler. Ce n’est pas un enfant au lit, un usager du métro qui tousse ou une légère fièvre du covoitureur qui peuvent le justifier. C’est donc nécessairement aux temps et lieu de travail que le collaborateur va constater « une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ». Tout dépend ici de l’évolution éventuelle du virus, mais aussi de la santé du salarié. Si le virus H1N1 reste une grippette, le retrait sera en principe fautif, car si la contamination est certes imminente (contagion), ce danger n’est pas grave. Attention cependant : la formulation du texte de 1982 est délibérément subjective : ce n’est pas au manager ou au médecin du travail de constater objectivement qu’il y a danger : c’est au salarié de savoir s’il a « un motif raisonnable de penser que »… Or avec la médiatisation en forme de peur bleue, couleur du choléra…

– S’agissant en revanche de femmes enceintes ou de personnes présentant des troubles respiratoires, le droit de retrait sera évidemment largement facilité : car, à leur égard, un danger réel existe, et il peut être raisonnablement considéré comme grave. En termes de responsabilité patronale, on peut d’ailleurs se demander s’il ne sera pas plus prudent de leur demander de ne pas venir au bureau pendant le pic de la pandémie. Mais la paie devra tomber quand même.

– L. 4132-1 : « Le droit de retrait est exercé de telle manière qu’il ne puisse créer pour autrui une nouvelle situation de danger grave et imminent » : bref, l’infirmière ou le salarié sur chaîne ne peuvent quitter leur travail en laissant en plan une personne âgée qui tousse ou son chalumeau allumé.

– L. 4131-3 : « Aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux. »

Contrairement aux absences dues à la grève, le droit de retrait est intégralement payé : pourquoi ? Car le salarié doit rester à disposition de l’employeur. C’est-à-dire que si Bianca refuse de travailler dans le bureau où Charles tousse décidément beaucoup, elle ne peut en profiter pour rentrer chez elle, son manager lui trouvant un bureau libre et parfaitement sûr pour poursuivre son labeur.

TRAVAILLER À DISTANCE ?

Pas de problème insurmontable pour les entreprises ayant négocié un accord sur le télétravail avant la crise : mais il leur faudra parfois obtenir l’accord du salarié afin qu’il ne vienne pas du tout au bureau. Car s’il prend acte…

1. Pouvoir joindre les salariés déclarés malades ? En cas d’absentéisme massif, les rares présents seront tentés de téléphoner aux nombreux malades pour leur demander de les sortir d’un très mauvais pas. « Si le salarié n’est pas tenu de poursuivre une collaboration avec l’employeur durant la suspension de l’exécution du contrat de travail provoquée par la maladie, l’obligation de loyauté subsiste pendant cette période ; le salarié n’est pas dispensé de communiquer à l’employeur, qui en fait la demande, les informations qui sont détenues par lui et qui sont nécessaires à la poursuite de l’activité. » (Cass. soc., 18 mars 2003.)

2. Faire télétravailler les salariés bien portants afin d’éviter qu’ils soient contaminés dans les transports ou au bureau ? Depuis l’arrêt Zurich Assurances du 2 octobre 2001, nul n’ignore que « le salarié n’est tenu ni de travailler à son domicile ni d’y installer ses instruments de travail » : il n’est pas choquant de refuser de voir notre inviolable domicile transformé en second bureau. D’où la proposition de loi « pour faciliter le maintien et la création d’emplois » votée en première lecture en juin 2009 et voulant permettre aux entreprises de passer outre cette interdiction jurisprudentielle : « En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d’épidémie, la mise en œuvre du télétravail est considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l’activité de l’entreprise et garantir la protection des salariés. » Bref, pendant la durée limitée de la pandémie, l’employeur pourrait obliger les salariés concernés à télétravailler sans qu’ils ne puissent y voir une modification de leur contrat ni une atteinte excessive à leur vie privée : car, s’ils sont vraiment indispensables à la poursuite de l’activité, cette atteinte ponctuelle et exceptionnelle serait « justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché ».

Mais le télétravail n’est pas le miracle attendu : s’il croît collectivement et très rapidement, il n’est pas certain que les installations, privées et publiques, soient en mesure de fournir autant de flux sans tomber en rideau malgré les récentes promesses des opérateurs voyant dans cette pandémie une occasion inespérée de développer leur marché : car tout le monde ne prend pas cette pandémie en grippe !

FLASH
L’idéal vu par l’Anact

Le groupe de travail « Grippe A » a pour objectif de prévoir/d’anticiper sur chaque site :

– Impact de l’absentéisme sur les postes sensibles pour la continuité du service.

– Envisager l’hypothèse de 50 % d’absentéisme des salariés.

– Estimer la probabilité d’absentéisme de chaque salarié en s’appuyant sur des critères d’une analyse démographique : éloignement domicile-travail, enfants en bas âge, mode de transport, etc.

– Prendre en compte le niveau de polyvalence existant en fonction des compétences disponibles et de ce qui est prévu pour pallier l’absentéisme quotidien : établir la matrice des polyvalences existantes.

– Les fonctions clés (paie, maintenance, sécurité, etc.) pourront-elles continuer selon les probabilités d’absentéisme et le niveau de polyvalence établis précédemment ? Est-ce que les effectifs et les compétences disponibles seront suffisants pour assurer le service ?

– Impact de ruptures d’approvisionnement.

– Prendre en compte l’absentéisme des salariés des fournisseurs.

– Étudier avec les fournisseurs clés les hypothèses d’absentéisme.

– Impact sur la continuité de chacune des fonctions clés en cas d’arrêt de livraison ou de livraisons aléatoires d’énergie, de fournitures nécessaires à la production du service, etc.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray