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Politique sociale

Syndicaliste à vie, c’est fini

Politique sociale | publié le : 01.10.2009 | Stéphane Béchaux

La loi de 2008 sur la représentativité fragilise les carrières syndicales. Des militants recalés doivent reprendre un poste après des années de rupture. Les grands groupes s’en préoccupent.

Cruelles élections ! En mars, il a manqué… 57 voix à la CFTC pour passer la barre des 10 % à BNP Paribas. Quelques bulletins qui valent de l’or. Outre sa représentativité, le syndicat y a perdu 6,5 postes de permanents nationaux, des locaux et une subvention annuelle de 45 000 euros. Potentiellement, pour l’instant. Car le syndicat attend ces jours-ci le jugement du tribunal de grande instance de Paris, qu’il a saisi pour contester sa perte de représentativité. Mais quoi qu’en disent les juges, le mal est fait : la CFTC s’est déjà vidée d’une partie de ses militants. « Le reclassement des provinciaux s’est plutôt bien passé. Mais pas celui des Parisiens. Ils étaient permanents depuis très longtemps et n’ont pas retrouvé de poste », explique Daniel Villard, délégué syndical national adjoint. Pour neuf quinquas franciliens, le militantisme s’est achevé par une rupture conventionnelle, avec indemnités légales, conventionnelles et prime de fin de carrière à la clé. Et vive la préretraite Assedic ! À la SNCF aussi, les élections professionnelles du printemps ont fait des dégâts. Pas à la CGT qui, avec 39 % des voix, a même vu le nombre de ses permanents officiels passer de 45 à 51. Des « agents en service libre » qui comptent, dans leurs rangs, un certain… Bernard Thibault. Principale victime du scrutin : la CFE-CGC. N’ayant franchi le seuil des 10 % dans aucun des 27 établissements, elle a perdu ses neuf postes de permanents. Des militants à qui la direction avait donné six mois, jusqu’au 1er octobre, pour retrouver une affectation. « Les cas sont traités individuellement. Mais, à la mi-septembre, rien n’était encore réglé », dénonce Philippe Francin, secrétaire général adjoint de l’organisation.

À 50 ans, cet ancien conducteur de TGV, qui a perdu son habilitation, n’entend pas reprendre les commandes d’un train. « Quand on a négocié à armes égales avec des dirigeants et côtoyé des ministres, on a envie d’autre chose », plaide-t-il. Engagé dans une démarche de validation des acquis de l’expérience (VAE) à l’université de Reims, ce syndicaliste ambitionne de se lancer dans le conseil en formation. Pour peu que sa direction accepte sa proposition de rupture conventionnelle, moyennant gros chèque.

Perte de mandat électif des uns, lassitude des autres… Le retour à l’emploi des militants syndicaux n’est pas, en soi, une problématique nouvelle pour les grandes entreprises. Mais le faible flux de syndicalistes à recaser autorisait jusqu’alors les services RH à bricoler des solutions plus ou moins satisfaisantes. Avec la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale, changement d’échelle. La représentativité se mesurant désormais établissement par établissement, tous les syndicats, CGT et CFDT comprises, vont perdre des plumes dans les scrutins. Et devoir renvoyer au turbin leurs délégués syndicaux n’ayant pas franchi la barre des 10 %. Voire leurs permanents nationaux, s’ils n’atteignent pas un score à deux chiffres au niveau global. À EDF, les élections n’ont lieu qu’en novembre 2010. Mais les centrales s’y préparent déjà. « On est en train de revoir toutes nos listes électorales pour y inclure nos futurs délégués syndicaux. Sinon, ils perdront leur mandat », confie Jean-Michel Bassal, délégué syndical central CFE-CGC.

Élections de tous les dangers. Parmi les scrutins très attendus, celui de la RATP. Prévu cette année, il a été opportunément repoussé d’un an. En l’état actuel du paysage syndical, seules la CGT et l’Unsa sont sûres de sauver leur tête, et donc leurs troupes. Cet automne, les élections s’annoncent également dévastatrices à Pôle emploi : l’Unsa, la CFTC, le Snap et SUD devraient y passer à la trappe. Avec l’essentiel de leurs ouailles. « Les problèmes de retour à l’emploi seront limités. On bâtira des parcours personnalisés, si besoin avec des formations. On a une très bonne pratique en la matière », soutient Moezally Rashid, le DRH, qui cite des reconversions réussies dans la négociation de contrats de partenariat ou les relations extérieures. À l’Unsa, le discours laisse sceptique. « La fusion de l’ANPE et des Assedic réduit considérablement le nombre de mandats à pourvoir. Il y avait 1 500 permanents ou quasi-permanents hier, il y en aura 500 demain. Beaucoup angoissent à l’idée de retourner en agence », explique Jean-Cyril Le Goff, son délégué syndical central.

Axa, qui a vu la CFTC et FO passer sous les 10 %, inaugure un dispositif de VAE pour les militants

Négociations en cours. Cette nouvelle donne contraint les grandes entreprises à formaliser leurs pratiques en matière de déroulement de carrière de leurs partenaires sociaux. Elles y sont d’ailleurs tenues par l’article 7 de la nouvelle loi qui stipule qu’« un accord détermine les mesures à mettre en œuvre pour concilier la vie professionnelle avec la carrière syndicale et pour prendre en compte l’expérience acquise ». Depuis quelques mois, les négociations vont bon train. Les partenaires sociaux de BNP Paribas, Pôle emploi ou Axa ont conclu au premier semestre des accords traitant du sujet tandis que ceux d’Areva, EDF ou LCL y travaillent.

Entretiens réguliers avec les RH, formations, bilans de compétences, VAE… Les outils prévus dans les textes visent à maintenir l’employabilité des représentants et à reconnaître leurs nouvelles compétences. « Chez Axa, 4 000 collaborateurs ont changé de métier en quatre ans Nous sommes donc très optimistes sur notre capacité à accompagner les permanents dans leur retour vers une activité professionnelle. Pour peu qu’ils parviennent à faire le deuil de leur vie syndicale », explique Corinne Guillemin, directrice du développement social. Fonction achats, services RH, relations presse… Les points de chute sont variés. L’assureur qui, lors des élections du printemps, a vu la CFTC et FO passer sous les 10 %, inaugure cet automne un dispositif de VAE pour les militants. La première « promo » en comptera une dizaine.

Chez Thales, voilà trois ans que le « développement professionnel » des militants est balisé dans un accord de groupe qui différencie les représentants selon que leurs activités syndicales les occupent plus ou moins de 50 % de leur temps. « À l’issue des mandats, on organise systématiquement des entretiens spécifiques pour faire un bilan. On essaie d’éviter les décrochages. Plus le salarié s’absente longtemps de son poste, plus il est compliqué de le remettre en emploi », souligne Pierre Groisy, DRH France. Des formations au dialogue social sont également dispensées au personnel d’encadrement. Histoire d’atténuer les craintes des managers, qui sautent rarement de joie à l’idée de récupérer un ancien syndicaliste. Une constante, quelle que soit l’entreprise. Taupe, mouton noir, grande gueule, fainéant… Les a priori collent toujours à la peau des représentants du personnel !

Si l’encadrement intermédiaire fait encore de la résistance, les états-majors, eux, ont pris conscience de la nécessité de valoriser les parcours militants. Car le manque de renouvellement des troupes les préoccupe. « On a entamé des réflexions avec les fédérations sur les moyens d’assurer plus de fluidité entre les carrières syndicales et classiques. Ce qui n’est pas simple. Car on a besoin d’avoir face à nous de vrais professionnels du dialogue social. Et en même temps on leur demande d’être proches du terrain et d’exercer un vrai métier », confie Laurent Zylberberg, directeur des relations sociales de France Télécom. « Il faut faire en sorte que les fonctions syndicales soient attractives pour les jeunes. Sinon, les directions ne devront pas se plaindre d’avoir en face d’elles des syndicalistes de carrière, vieillissants et coupés du terrain », abonde Marianne Naud, son alter ego chez Areva. Reste à passer des paroles aux actes. Pour l’instant, le syndicalisme n’a rien d’un accélérateur de carrière.

Auteur

  • Stéphane Béchaux