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Politique sociale

Mais qui signe donc le chèque aux grands patrons ?

Politique sociale | publié le : 01.10.2009 | Éric Béal

Les salaires des dirigeants continuent de flamber. En cause, la consanguinité des administrateurs, la confidentialité des décisions, la faible participation des actionnaires aux assemblées.

Plus de 4 millions d’euros pour Franck Riboud, P-DG de Danone, en 2008 ; près de 3,9 millions pour Bernard Arnault (LVMH), et de 3,5 millions pour Jean-Paul Agon, directeur général de L’Oréal… Plus de 26 % d’augmentation de revenu pour Xavier Fontanet, d’Essilor International, entre 2007 et 2008, et 15 % pour Gérard Mestrallet, P-DG de GDF Suez… Mais qui donc fixe les rémunérations des grands patrons et décide de leur accorder des augmentations royales ? « En droit des sociétés, il revient au conseil d’administration d’évaluer la performance des dirigeants mandataires sociaux et de fixer leur rémunération. C’est un principe suivi partout dans le monde », rappelle Daniel Lebègue, président de l’Institut français des administrateurs et lui-même administrateur de Technip et de Scor.

Dans le cas d’une société à conseil d’administration (CA) et direction exécutive, le président du CA et le directeur général sont toujours évalués. Ainsi, à la Société générale, les trois directeurs généraux délégués auprès de Frédéric Oudéa, le P-DG de la banque, sont mandataires sociaux et leur rémunération est également supervisée par le CA. Avec une société à directoire et conseil de surveillance, tous les membres du directoire sont concernés, soit six personnes à Vivendi ou cinq chez Areva. « Dans certaines sociétés, le conseil d’administration s’intéresse aussi à la rémunération des principaux dirigeants non mandataires sociaux, mais ce n’est pas une obligation », précise Daniel Lebègue. Au sein du CAC 40, la majorité des conseils d’administration se sont dotés d’un comité de rémunération (CR), instance restreinte chargée de préparer la décision qui sera prise ensuite par l’ensemble des administrateurs.

La tâche des comités de rémunération est délicate. D’où l’importance du choix de leurs membres. « Les membres du CR sont désignés collégialement par les administrateurs, sur proposition du comité des nominations », explique Michel de Fabiani, administrateur et membre du comité de rémunération de Rhodia et de Vallourec. Pour cet ancien dirigeant de BP Europe, devenu administrateur indépendant après sa retraite, le choix des membres du comité doit permettre de mixer les points de vue. « Les cadres dirigeants en fonction connaissent l’actualité du marché et les administrateurs indépendants sont plus détachés. » Seule règle d’or, l’absence du directeur général ou du président du conseil d’administration, qui ne peuvent pas discuter de leurs propres émoluments.

« La plupart des administrateurs souhaitent que les rémunérations de leurs mandataires soient en ligne avec les pratiques du marché », souligne Philippe Poincloux, directeur général de Towers Perrin, un cabinet de conseil en rémunération auprès des conseils d’administration. Mais l’appréciation d’un tel niveau de salaire ne répond à aucune règle précise et résulte, la plupart du temps, d’un benchmark international. Selon le consultant, « à chiffre d’affaires et nombre de salariés équivalents, les responsabilités des uns et des autres sont semblables. » Les observateurs soulignent d’ailleurs que PSA a débauché son directeur général d’une société britannique et Lindsay Owen-Jones, le président du conseil d’administration de L’Oréal, a été sollicité par Procter & Gamble. Pour autant, ces comparaisons atteignent vite leurs limites, car il n’existe pas encore véritablement de marché du travail international pour les dirigeants d’entreprise.

Chez Rhodia et Vallourec, Michel de Fabiani veille à ce qu’il appelle le « continuum ». « Je demande des informations sur les rémunérations de l’encadrement afin de respecter une certaine cohérence. Les écarts de rémunération entre mandataires sociaux, dirigeants exécutifs et cadres doivent rester raisonnables. » Une gageure pour Denis Branche, directeur général délégué de Phitrust Active Investors, le gestionnaire de la Sicav Proxy Active Investors : « Les dirigeants gouttent peu ces comparaisons car les salaires des cadres ont peu augmenté ces dernières années. » Michel de Fabiani s’intéresse également à la structure de la rémunération. « Les dirigeants responsables des résultats doivent avoir des variables plus importants que les autres. À la hausse comme à la baisse. »

Reste que la vigilance des administrateurs et des comités de rémunération n’empêche pas les excès. La banque Dexia, sauvée de la faillite par les États français et belge, a versé 8 millions d’euros de bonus à ses cadres dirigeants français en 2008. Thierry Desmarest, le président du conseil d’administration de Total, a touché plus de 2 millions d’euros en 2008, dont près de la moitié en bonus. Un pactole qui fait tousser les spécialistes en rémunération car, en tant que dirigeant non exécutif, il n’est pas directement responsable de la gestion et des résultats obtenus. « D’ailleurs, nous avions déposé une résolution pour obtenir un vote de l’assemblée générale des actionnaires sur le sujet. Mais elle a été repoussée par le conseil d’administration », indique Denis Branche, de Phitrust Active Investors. « Chez Danone, les critères retenus pour calculer la part variable à moyen terme, ou group performance units, de la rémunération de Franck Riboud et des hauts dirigeants n’ont jamais été précisés. Alors que, logiquement, des objectifs financiers précis devraient légitimer toute évolution de la rémunération des dirigeants », renchérit Loïc Dessaint, directeur associé de Proxinvest, une société de conseil aux investisseurs.

Pour nombre d’observateurs, c’est tout simplement le gouvernement d’entreprise qui est à revoir. « La plupart des administrateurs sont cooptés par les dirigeants. C’est le règne du copinage », accuse Didier Cornardeau, président de l’Association des petits porteurs actifs (Appac). Un point de vue repris, avec des mots beaucoup plus pesés, par Christine Lagarde lors de son audition à l’Assemblée nationale : « Nous sommes dans des situations de marché où il y a une offre et une demande et une certaine consanguinité des dirigeants […], issus des mêmes fabriques d’excellence. » Et, pour Bénédicte Hautefort, présidente d’InvestorSight, un cabinet de conseil en communication financière, la situation n’évolue pas dans le bon sens : « Le nombre d’administrateurs indépendants a baissé de 55 % à 42 % dans les entreprises du CAC 40 entre 2008 et 2009. » (Voir ci-contre.)

Un « plafond d’indignation ». Théoriquement, les actionnaires ont pourtant la possibilité de sanctionner une direction en désapprouvant son rapport annuel lors de l’assemblée générale. Cette année, les AG d’actionnaires ont d’ailleurs été l’occasion pour certains d’exprimer leur colère. Celle de Sanofi-Aventis a été agitée. « Scandaleux, c’est une honte ! » ont proféré plusieurs petits porteurs à l’annonce des 2,2 millions d’euros de golden hello et des 200 000 stock-options attribués à Christopher Viehbacher, le nouveau directeur général du géant pharmaceutique. Les actionnaires actifs sont cependant peu nombreux. « Les petits actionnaires directs représentent 3 % du capital des entreprises du CAC 40. Les actionnaires salariés sont à 4 %. La majorité du capital est détenue par des fonds d’investissement qui ne s’intéressent pas à ces questions », note Didier Cornardeau. « Nous considérons que la rémunération d’un dirigeant mandataire social est inacceptable lorsqu’elle dépasse un plafond de 240 fois le smic, soit environ 4,3 millions d’euros », indique Loïc Dessaint, de Proxinvest. Totalement subjectif, ce « plafond d’indignation » est issu d’une réflexion interne menée à partir des recommandations de John P. Morgan, fondateur de la banque d’affaires et de Peter Drucker, le pape américain du management. « Nous avons adapté leurs indications aux niveaux d’écarts actuels et au contexte social et fiscal français, précise Loïc Dessaint. Certains clients suivent nos recommandations, mais trop d’investisseurs ne s’intéressent pas à la question. » En 2008, une vingtaine de dirigeants français dépassaient les 240 smics…

Proposition de loi. Au vu des nombreux dérapages, a fortiori depuis le déclenchement de la crise, l’opinion publique est devenue plus sensible à la valse des zéros. Appliqué par quelque 76 % des sociétés du CAC 40, selon une étude récente, le Code de gouvernement des entreprises concocté par le Medef et l’Association française des entreprises privées ne fait pas encore l’unanimité. Il réclame cohérence entre les rémunérations et lisibilité des critères de performance utilisés. De quoi inciter les parlementaires à renforcer la législation. Fin octobre 2008, Nicole Bricq, sénatrice PS, a rédigé une proposition de loi prévoyant de limiter la part variable de la rémunération des mandataires sociaux au-dessous de 100 % du salaire fixe. De son côté, Philippe Houillon, rapporteur UMP de la mission d’information sur les nouvelles régulations de l’économie, parle de supprimer la décote de 20 % sur le prix d’attribution des stock-options aux mandataires sociaux. Les deux élus s’accordent également sur le principe de donner un statut légal aux comités de rémunération et d’obliger les conseils d’administration à consulter les assemblées générales d’actionnaires sur l’intégralité des éléments de rémunération des dirigeants mandataires sociaux. Des préconisations qui, pour le moment, restent à l’état de projet.

Auteur

  • Éric Béal