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Politique sociale

Ils disent non à la réforme Obama

Politique sociale | publié le : 01.10.2009 | Valérie Cantié

Le projet de couverture santé universelle suscite une levée de boucliers. Les opposants craignent une hausse des impôts et rejettent l’intervention de l’État.

Thousand Oaks, Californie. William Rice, 65 ans, arrive la main ensanglantée aux urgences de l’hôpital de Los Robles. Un homme vient de lui arracher un morceau d’auriculaire avec les dents. Ils se sont affrontés lors d’une altercation entre pro et anti-réforme du système de santé de Barack Obama. Smyrna, Géorgie. Un démocrate à l’origine d’une réunion publique sur la réforme découvre une croix gammée peinte devant son bureau. Washington DC, 9 septembre. Barack Obama présente son projet au Congrès. Il démonte un à un les arguments de ses adversaires. Un élu républicain lui coupe alors la parole et le traite de menteur, provoquant l’indignation de tout le Congrès. Ce ne sont ici que quelques illustrations de la tournure que prend le débat sur la réforme de la couverture maladie aux États-Unis, un sujet qui divise profondément les Américains.

Cecilia Villarroel et Paul Kafka habitent San Pedro, en Californie. Cecilia, immigrée chilienne, est décoratrice d’intérieur. Paul, 62 ans, est conseiller financier indépendant. « Nous payons une multitude de taxes, s’énerve Paul . 40 % de nos revenus partent en impôts. Nous ne voulons pas payer plus d’impôts pour ceux qui n’ont pas de couverture santé ! » Paul est persuadé que la classe moyenne sera mise à contribution pour financer une couverture médicale universelle. Avec sa femme, ils préfèrent garder leur assurance, pour 1 200 dollars par mois (815 euros), qui exclut les frais dentaires et d’optique. « Je veux continuer à choisir mon médecin, dit Cecilia. Si le système de santé est géré par le gouvernement, je ne pourrai plus, et il faudra des mois pour obtenir un rendez-vous. »

Non aux impôts. Depuis avril, Cecilia et Paul retrouvent Diane et Bill Wilson aux Tea Parties, ces manifestations de conservateurs réclamant moins d’impôts. Depuis l’été, ces Tea Parties, en référence à la révolte antitaxes de 1773 des Américains contre les Britanniques, se concentrent sur une revendication : non à la réforme d’Obama. Jusqu’à ce qu’elle perde son emploi il y a six mois, Diane, 66 ans, était agent immobilier. « On nous dit que la réforme est destinée à couvrir les 50 millions de personnes qui n’ont pas les moyens d’avoir une assurance. Or environ 30 millions peuvent se l’offrir, mais elles préfèrent dépenser leur argent ailleurs ! Et ces gens-là sont déjà couverts : les urgences des hôpitaux ont l’obligation de soigner tout le monde, assuré ou pas. Et ils ne paient rien. » Contribuables et assurés paient en effet déjà pour ceux qui n’ont pas d’assurance… et les urgences sont saturées. Quant à Bill, un retraité de 72 ans et ancien du Vietnam, il ne veut pas entendre parler de la réforme : « J’ai peur du socialisme. Le gouvernement veut prendre le contrôle. Je pense que chaque individu doit faire ses choix. Nous nous sommes battus pour notre liberté dans ce pays, et nous voulons la garder. »

Mais, pour Diane, l’argent n’est pas le seul point de désaccord avec la réforme. « Obama dit que les émigrants illégaux ne seront pas couverts par cette loi. C’est faux. Pareil pour l’avortement… L’avortement est légal, certes, mais ce n’est pas au contribuable de le financer. » Pourtant, selon le projet de la Chambre des représentants, les personnes ne résidant pas légalement sur le territoire ne recevront aucun remboursement. Et Barack Obama a réaffirmé que l’avortement ne serait pas couvert… Diane et Bill avaient une couverture médicale privée pour 500 dollars par mois (340 euros). Comme plus de 40 millions d’Américains, ils bénéficient à présent du programme public obligatoire Medicare qui couvre les 65 ans et plus. Or Medicare est financé par l’État, et la grande majorité des seniors en sont satisfaits.

L’Amérique de la peur. Gerald Kominski, directeur associé du centre de recherche sur les politiques de santé de l’UCLA, travaille sur le système de santé depuis vingt-cinq ans. Pour cet expert, « l’Amérique n’a jamais été aussi près d’une réforme ». Il espère que la loi passera avant fin novembre. « Cinq Américains sur six ont une assurance. Comment convaincre ces cinq personnes que la sixième doit aussi en avoir une ? Les assurés ont l’impression qu’ils vont perdre quelque chose. Pourtant, la feuille de route d’Obama est raisonnable car elle n’interrompt pas ce qui marche, comme Medicare. » Pour lui, le plan du président est un compromis entre la droite et la gauche : les assureurs privés seraient toujours dans le système mais une caisse publique serait créée pour imposer plus de concurrence et abaisser les coûts. « Ce n’est peut-être pas l’idéal mais c’est le projet le plus raisonnable politiquement », reconnaît Gerald Kominski, qui aurait préféré une caisse publique unique à laquelle tout le monde cotiserait.

Néanmoins, sous la pression des républicains et des démocrates conservateurs, Obama pourrait reculer. « Si la caisse publique est abandonnée, s’inquiète le chercheur, les assureurs continueront de faire ce qu’ils veulent et, même si tout le monde est couvert, les coûts continueront de grimper. Le problème, c’est qu’il y a beaucoup d’intérêts dans le statu quo ; les compagnies d’assurances et leurs actionnaires font d’énormes profits grâce au système actuel. » Coprésidente de la Saban Free Clinic et conseillère municipale de West Hollywood, Abbe Land souhaitait aussi une caisse publique unique mais défend malgré tout le projet parce que « c’est toujours mieux que notre système actuel ». Les free clinics soignent gratuitement les non-assurés. « Le comté de Los Angeles compte presque 3 millions de non-assurés et il faut patienter environ six semaines avant de voir un médecin chez nous ! Et puis nos établissements coûtent cher à l’État. » Si la loi passe, l’économie ne s’en portera que mieux à ses yeux, car les entreprises et les écoles enregistreront moins d’absentéisme. « C’est incroyable que la première puissance économique n’ait pas de couverture universelle, et qu’autant de gens s’y opposent ! Pour moi, la santé est un droit, pas un privilège ! » conclut-elle.

50 millions d’Américains n’ont aucune couverture médicale*.

Les dépenses de santé explosent et représentent 17,6 % du PIB.

* The National Coalition on Health Care.

« Je ne veux pas que le gouvernement se mêle du système de santé et me vide les poches ! »

(Dessin paru le 28 juillet 2009 dans The New York Times.)

Un congrès divisé

Barack Obama propose de rendre obligatoire l’assurance de base. Mais tout citoyen déjà assuré pourra conserver sa couverture. Les primes d’assurance seront plafonnées et les assureurs ne pourront plus refuser de couvrir une personne ayant un antécédent médical, modifier ou stopper un contrat en cas de maladie jugée trop coûteuse…

Les non-assurés et les PME auront le choix entre une assurance privée et une caisse financée par l’État. Cette caisse est le principal point d’achoppement au Congrès, les républicains, sous la pression du lobby des assurances, s’y opposant. Selon eux, les assureurs privés ne pourront offrir des tarifs aussi compétitifs que l’État. Les démocrates conservateurs ne la jugent pas non plus nécessaire. Du coup, Obama n’en fait plus une condition pour la réforme.

L’argument choc des républicains est la hausse des impôts pour la classe moyenne, sauf à creuser le déficit. « Je ne signerai pas un plan qui ajoute un seul cent à notre déficit dans les dix ans à venir », rétorque Obama, qui chiffre sa réforme à 90 milliards de dollars (61 milliards d’euros) par an sur dix ans sans recours au contribuable. Seuls les 5 % d’Américains gagnant plus de 250 000 dollars (170 000 euros) par an verraient leur impôt augmenter. Le reste du financement viendrait des compagnies d’assurances pénalisées pour chaque police au montant trop élevé, du contrôle de la fraude et du gaspillage dans les programmes Medicare et Medicaid. Toute entreprise qui ne couvrirait pas ses salariés et tout citoyen qui ne souscrirait pas devrait verser des pénalités. Ceux qui ne pourraient pas payer leur couverture se verraient accorder un crédit d’impôt.

D.R.

Auteur

  • Valérie Cantié

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