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Idées

Avec la crise, l’emploi des seniors est-il toujours aussi prioritaire ?

Idées | Débat | publié le : 01.10.2009 |

Disparition progressive des dispenses de recherche d’emploi, fin des mises à la retraite d’office, pénalités pour les entreprises qui n’ont pas conclu d’accord ad hoc… le gouvernement fait feu de tout bois pour améliorer le taux d’emploi des seniors. Judicieux, avec la flambée du chômage ?

Annie Jolivet Chercheuse à l’Ires et au Creapt-CEE

C’est, en creux, la question d’un éventuel retour aux préretraites et d’une exclusion massive des salariés plus âgés. Le risque d’un retour à une pratique « addictive » est cependant peu probable. Les préretraites publiques ont été considérablement réduites : les entrées ont été divisées par 10 entre 1996 et 2007. Bien sûr, cette atonie des préretraites publiques a comme contrepartie un accroissement du nombre de chômeurs âgés. Il y a eu moins de 1 000 entrées en allocation spéciale du Fonds national de l’emploi entre janvier et juillet 2009, mais près de 75 000 chômeurs âgés supplémentaires.

Pour autant, l’emploi des seniors doit logiquement rester une préoccupation des entreprises, des représentants syndicaux et des pouvoirs publics.

Le cadre législatif a profondément évolué au cours des derniers mois, sur deux points en particulier. La mise à la retraite n’est désormais plus une décision unilatérale de l’employeur. Entre 65 et 70 ans, elle ne peut plus être utilisée qu’avec l’accord du salarié. C’est une contrainte nouvelle pour les entreprises. Par ailleurs, l’obligation de conclure un accord ou de mettre en place un plan d’action pour l’emploi des seniors et la menace d’une pénalité imposent aux entreprises de se pencher sur ce thème.

Les entreprises devraient aussi être incitées à agir en fonction d’enjeux internes. Ainsi, l’allongement de la durée de cotisation percute la gestion des départs et le renouvellement du personnel. Les demandes de prolongation deviennent plus fréquentes et créent un flou plus ou moins important sur la date de départ à la retraite. La crise pourrait même inciter des salariés à différer leur retraite, compte tenu des risques pesant sur leurs proches. Gérer la formation, les mobilités, les évolutions de salaire jusqu’au bout de la vie professionnelle sont ou seront plus fréquemment des préoccupations très concrètes. Autre exemple : l’allongement de la vie professionnelle soulève des interrogations dès lors que l’entreprise est confrontée à des inaptitudes plus nombreuses. Agir en amont sur les conditions et sur l’organisation du travail, prévenir l’usure professionnelle reste une nécessité. Enfin, anticiper la reprise implique de réfléchir sur les risques de perte de compétences associés aux licenciements. Beaucoup d’entreprises ont d’ailleurs privilégié chômage partiel et formation pour garder autant que possible leurs salariés.

François Legendre Chercheur au Centre d’études de l’emploi

La survenue fréquente de sérieuses récessions économiques – en 1993 puis maintenant, en 2008-2009 – permet de vraiment (re)donner un sens à la distinction en France entre politiques conjoncturelles et politiques structurelles. Les seniors les moins qualifiés sont ainsi plus particulièrement victimes du chômage qui résulte de cette conjoncture très dégradée ; ils en sont victimes comme les autres catégories de main-d’œuvre les plus fragiles sur le marché du travail. La protection sociale joue ainsi un double rôle : elle atténue les conséquences du chômage pour les actifs privés d’emploi et contribue à la stabilisation macroéconomique. Sans être taxé de schizophrène, on peut donc plaider, d’une part, pour des politiques globales de stabilisation et pour, d’autre part, des politiques structurelles ciblées sur des populations, des secteurs d’activité, des territoires…

En matière d’emploi des seniors, la grande difficulté est de passer de l’ancien compromis implicite qui organisait l’éviction de l’emploi d’une partie de la main-d’œuvre vieillissante à un nouveau consensus sur les politiques à mener pour relever le taux d’emploi des seniors. Et l’ancien compromis ne cesse de perdurer : par exemple, les ruptures conventionnelles semblent être utilisées dans certains cas comme des préretraites. Les pouvoirs publics ont du mal à construire ce consensus parce que les mesures – prises ou envisagées – s’adressent surtout aux salariés, tels la suppression de la dispense de recherche d’emploi, le cumul emploi-retraite, le relèvement de l’âge légal de la retraite, etc.

Il est à craindre que ces mesures accroissent les inégalités et la sélectivité du marché du travail pour les actifs les plus âgés. Les employeurs voudront s’attacher le plus longtemps possible les services de leurs seniors les plus utiles et se séparer le plus vite possible de ceux qui leur semblent les moins productifs. S’il faut donc mettre l’accent sur l’emploi des seniors, ce serait pour élaborer un paquet de mesures qui s’adresseraient, principalement, aux entreprises ; elles comprendraient une dimension contraignante telle que l’obligation d’assurer la formation professionnelle de la main-d’œuvre vieillissante la moins qualifiée et une dimension incitative, comme des exonérations de cotisations patronales pour l’emploi d’un chômeur de plus de 57 ans.

Tiphaine Garat Ingénieure d’études à l’Institut du travail, université de Strasbourg

Afin d’améliorer le taux d’emploi des seniors toujours très modeste en France (38 %), le gouvernement a élaboré un plan d’action détaillé dont les mesures se trouvent pour l’essentiel dans la loi de financement de la Sécurité sociale de 2009. Parmi ces mesures figurent la libéralisation du cumul emploi-retraite, le recul de l’âge de la mise à la retraite d’office et, surtout, la mise en place, dès janvier 2010, de pénalités pour les employeurs qui ne joueront pas le jeu en matière d’emploi des seniors.

Une question se pose cependant : toutes ces mesures peuvent-elles réellement s’appliquer dans le contexte de crise actuel ? Le maintien au travail des seniors reste une préoccupation, mais ne devrait-on pas revoir l’ordre des priorités, notamment eu égard aux nombreux jeunes qui arrivent sur le marché du travail sans perspective d’embauche ?

L’arbitrage à réaliser est des plus délicats mais, pour autant, il n’est sans doute pas nécessaire de dispenser toutes les entreprises des efforts que certaines d’entre elles sont capables de fournir. En renonçant à agir en matière d’emploi des seniors, nous enverrions un très mauvais signal aux régimes de retraite, aux partenaires sociaux, aux seniors et à l’Europe.

Tout d’abord, il est indispensable d’augmenter le taux d’emploi des 55-64 ans afin d’assurer l’équilibre des régimes de retraite. Revenir aujourd’hui sur les mesures prises effacerait sans aucun doute dix années d’effort pour modifier les pratiques et enrayer la tendance apparue à la fin des années 70 d’un développement des préretraites.

Ce retour en arrière serait aussi un très mauvais message adressé aux entreprises, et notamment en matière d’amélioration des conditions de travail et d’aménagement des fins de carrière. Pour augmenter le taux d’emploi des seniors, il faut leur permettre de se maintenir au travail. Mais pourquoi les entreprises s’empareraient-elles du sujet si on leur fait implicitement passer le message qu’elles pourront se séparer des salariés les plus âgés sans subir de sanction ?

Enfin, ce recul s’analyserait comme un pied de nez à l’Europe. En 2001, au sommet de Stockholm, les pays européens se sont engagés à porter le taux d’activité des 55-64 ans à 50 % d’ici à 2010. Malgré ses efforts, la France fait toujours office de mauvais élève. Il y a peu de chance de sortir de cet état si l’âge redevient la variable principale d’ajustement des effectifs.