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Enquête

Une efficacité toute relative

Enquête | publié le : 01.10.2009 | Garance Chardot

Obligatoires, ces espaces dédiés au retour à l’emploi obtiennent des résultats très variables en fonction du bassin d’emploi, du profil des licenciés. Et du professionnalisme du cabinet.

Elles arrivent quand tout est fini. Et que tout reste à faire. En vingt ans, les cellules de reclassement se sont installées dans le paysage. En 2008, selon le ministère du Travail, 85 % des PSE en prévoyaient une. Dans le sillage de la loi Soisson de 1989 qui a instauré la procédure des plans sociaux, elles ont fleuri dans les grands groupes industriels (Usinor, Michelin). Aujourd’hui, elles ne sont plus animées par les services du personnel mais par des cabinets d’outplacement en proie à une guerre sans merci. Malgré la concentration, le marché est ultraconcurrentiel. Sitôt une vague de licenciements annoncée, les outplaceurs démarchent DRH et représentants du personnel. Derrière les mastodontes Altedia, Sodie ou BPI, qui raflent la majeure partie des affaires les plus médiatisées, une kyrielle de petits cabinets tente de se faire une place. « Parmi eux, il y a des brebis galeuses », déplore Dominique Paucard, responsable du pôle restructurations de Syndex, cabinet de conseil auprès des comités d’entreprise. Quand l’État en finance tout ou partie – notamment en cas de redressement ou liquidation –, les directions départementales du travail veillent au grain. « Si on a des doutes sur l’efficacité du cabinet, on peut refuser de le prendre en charge », soutient Grégory Acakpo Addra, inspecteur du travail à la direction départementale du Nord.

Généralement, l’employeur choisit seul celui à qui il va confier le destin de ses futurs licenciés. Tout juste demande-t-il l’avis du comité d’entreprise. Parfois, pour apaiser le climat social, il laisse le dernier mot aux syndicats. Or sa décision s’arrête souvent sur le moins-disant. « Les directions choisissent en fonction du coût, et ce qui est donné au cabinet va en déduction des primes de départ », constate Pierre Piccarreta, membre CGT du comité d’entreprise de Caterpillar qui a confié le reclassement des 418 salariés à BPI.

Pas de label ni de charte. Pour remporter les marchés, les cabinets cassent les prix. « Les entreprises investissent dans le reclassement 40 % de moins qu’il y a six ans », déplore Alain Petitjean, directeur général de Sodie. Dans ces conditions, comment offrir des perspectives aux salariés licenciés ? « Avec 2 000 euros, on ne fait pas la même chose qu’avec 5 000 euros ! prévient Rodolphe Lebois, responsable du développement technique au cabinet Horemis Est, à Metz (Moselle). Entre les tensions sur le marché du travail, la faiblesse des financements et de l’offre de formation, c’est de plus en plus dur. » Pour rentrer dans leurs frais, certains envoient au charbon des consultants juniors, chapeautés par un senior. Et les surchargent de dossiers. « La reconversion, c’est un vrai métier, il faut écarter les marchands de soupe ! » martèle Maurad Rabhi, secrétaire général de la Fédération CGT du textile.

Pour les entreprises, surtout les PME, difficile de s’y retrouver. Pas de label ni de charte. Mais des blacklists qui circulent de bouche à oreille. Or la réussite du reclassement dépend en partie de la qualité du prestataire, de son expérience, de son réseau. « Jamais un cabinet ne vous présentera un bilan catastrophique, et pourtant je vois des cas où une personne sur deux n’est pas reclassée, souvent parce que la cellule ne s’implique pas suffisamment », rapporte Gérard Cherpion, député des Vosges (UMP), qui a rédigé un avis très critique sur le sujet. Mais aucune évaluation n’existe. Les cabinets affirment reclasser 70 à 80 % du personnel quand Pôle emploi atteint péniblement 38 %, six mois après le licenciement économique, selon l’Unedic. D’après le ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi, cité dans le rapport Cherpion, 56 % des salariés ayant adhéré à un dispositif conventionné avaient rebondi en 2007. Et encore, le point de chute est souvent précaire. Parmi les « solutions identifiées », selon la formule consacrée, sont comptabilisés les CDI, les CDD de plus de six mois, les créations d’entreprise, les missions d’intérim, les formations qualifiantes. Mais aussi d’obscurs « projets de vie ». « C’est quelqu’un de 52 ans qui s’arrête et se laisse porter par le système sur les conseils du consultant », raconte Maurad Rabhi. De quoi gonfler artificiellement les résultats, sans vérification douze mois après.

Budgets serrés. Dans les appels d’offres, les cabinets s’engagent sur un taux de reclassements. En moyenne, un tiers de leur rémunération en dépend. La tentation peut donc être grande de placer à tout-va et de proposer des offres valables d’emploi pas toujours adaptées aux attentes des salariés. Contraint par des budgets serrés, le cabinet a intérêt à aller vite. « Ce que l’on faisait en trois mois, on le fait désormais en trois semaines, à un rythme très cadencé, note Alain Petitjean, de Sodie. Pour la personne qui a un projet, c’est motivant. Pour celle qui est rétive à rentrer dans le système, c’est un problème. »

Or pousser la porte d’une antenne emploi ne va pas de soi. À peine 56 % des salariés l’ont fait chez Continental. « On est un peu persona non grata quand on arrive, reconnaît Catherine Kerviel, responsable du pôle mobilité collective chez Horemis Est ; mais, au bout d’une séance, certains reviennent. » Tout est affaire de mise en confiance. « Quand le cabinet de reclassement est celui qui a mis en place le PSE, il y a conflit d’intérêts », déplore Carole Tuchszirer, chercheuse au Centre d’études de l’emploi. Les syndicats jouent aussi parfois un jeu dangereux. « Ils font la pluie et le beau temps. Ils peuvent inciter à la fréquentation de la cellule emploi ou à son boycott s’ils la jugent inefficace », poursuit la chercheuse. En tout état de cause, la cellule doit faire avec le dynamisme du bassin d’emploi et le profil des licenciés. « On ne peut pas exiger d’elle qu’elle crée de l’emploi, prévient Carole Tuchszirer, mais, pour des métiers difficiles à satisfaire, elle peut améliorer le placement grâce aux reconversions. » C’est l’une des forces des outplaceurs. Avec en moyenne un consultant pour 30 salariés – contre une centaine pour Pôle emploi –, ils sont capables de proposer un suivi personnalisé, de rassurer, d’orienter. Ceux qui réussissent ont activé leur réseau local pour « vendre » les licenciés et dénicher les 70 % d’offres du marché caché. « Ils modifient les files d’attente », plaide Dominique Paucard, de Syndex. Enfin, les meilleurs travaillent en bonne intelligence avec Pôle emploi, qui peut également gérer les licenciés en convention de reclassement personnalisé (CRP). L’articulation des dispositifs (congé reclassement, CRP, contrat de transition professionnelle) et l’information des salariés sur leurs droits sont primordiales. Pour être plus efficace, le système gagnerait donc à être mieux encadré et contrôlé. Par les services préfectoraux, comme le suggère Gérard Cherpion ? Par une charte ? Par un observatoire des restructurations, comme le souhaite la CGT ? L’urgence exige de trancher rapidement.

Dans les Vosges, une cellule pour les TPE

Ce sont les oubliés des plans sociaux. Quand les multinationales ouvrent le tiroir-caisse, les salariés des TPE ont droit au strict minimum. Pour réparer cette injustice, État, collectivités locales, patronat (Medef, CGPME) et syndicats (CGT, CFDT, FO, CFTC…) financent, depuis début septembre, une cellule interentreprises dans les Vosges. Première du genre, elle s’adresse aux licenciés économiques des sociétés de moins de 10 salariés. « Le but est d’avoir un traitement social égalitaire des licenciements, explique Christophe Thomas, secrétaire général adjoint de la CFDT des Vosges. L’empilement des dispositifs nuit à leur efficacité ; selon l’endroit où l’on est, on n’a pas les mêmes droits. » Atelier CV, orientation, bilans, recherche de métiers en tension… Installée dans les locaux de la Maison de l’emploi d’Épinal, la cellule est animée par le cabinet Horemis Est. Elle restera ouverte un an, renouvelable. De quoi redonner espoir aux chômeurs dans un département qui comptait 10,7 % de demandeurs d’emploi au premier trimestre 2009. G. C.

Auteur

  • Garance Chardot