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Vie des entreprises

Guillaume Pepy, partisan de la révolution tranquille à la SNCF

Vie des entreprises | Méthode | publié le : 01.09.2009 | Anne Fairise

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Les effectifs de la maison mère sont en baisse depuis 2001

Crédit photo Anne Fairise

Face à une concurrence généralisée, son président veut faire de la SNCF un groupe de services centré sur le client. Une rupture organisationnelle et culturelle dont il cherche à convaincre les cheminots, avec force concertation.

Les caténaires qui lâchent, les grèves tournantes, la fermeture de la gare Saint-Lazare. Et puis la crise, les recettes en berne et la survie du transport ferroviaire de marchandises menacée, promettant à la rentrée un mano a mano serré avec les syndicats… Depuis sa nomination en février 2008, Guillaume Pepy accumule les épreuves. Mais pas de quoi entamer la détermination du président de l’entreprise publique. « La SNCF sortira plus forte de la crise », assène le quinqua, qui maintient son « plan de croissance » (une hausse de 50 % du chiffre d’affaires en 2012) et la simplification du fonctionnement. Pour sortir de la bureaucratie et être plus proche du client.

Son ambition reste inchangée : bâtir, en France et à l’international, un groupe de services qui ne soit plus 100 % ferroviaire mais appuyé sur quatre métiers (logistique de marchandises, grandes lignes, transports de la vie quotidienne, infrastructures). Il l’a signifié dès son arrivée aux manettes, par l’OPA sur le transporteur routier Geodis. « Il y a urgence », dit-il. Après le fret en 2003, les liaisons internationales de voyageurs s’ouvrent à la concurrence en 2010 : « Nous devrons trouver ailleurs le chiffre d’affaires que nous perdons sur le rail », note le premier des cheminots. Fin connaisseur du mastodonte qu’il a intégré voici vingt ans, artisan habile de la réforme des régimes spéciaux, hyperactif enthousiaste, il ne manque pas d’atouts pour réussir. D’autant que cet homme pressé sait prendre du temps lorsque les tensions durent, afin d’éviter l’arrêt en pleine voie, sa hantise. Reste à installer dans le train de la réforme les 160 000 cheminots de la maison mère, en plein doute, et leurs syndicats.

1-Simplifier le fonctionnement

Un Rubik’s Cube aux couleurs mélangées, voilà le symbole brandi par Guillaume Pepy en séminaire de cadres pour signifier l’impasse de l’organisation, début 2008. Au pilori, le « fonctionnement hypermatriciel », budgétivore et source de « bureaucratie ». Épinglées, les logiques « politiques » d’équilibre entre métiers qui prévalent sur les besoins du service, jusqu’à la gabegie. Faute de contrôleurs dédiés aux lignes européennes à grande vitesse Railteam, 2 500 d’entre eux sont formés à l’anglais, au lieu de 300 !

Fidèle à sa réputation de fonceur, Guillaume Pepy décide d’« assumer jusqu’au bout » la transformation initiée par Louis Gallois, poursuivie par Anne-Marie Idrac, dont il fut le bras droit : la gestion, non pas par les métiers, mais par quatre activités. En dotant chacune d’une logique industrielle et de moyens propres. Le président, qui s’est entouré d’à peine sept directeurs, veut une seule courroie de transmission. Depuis octobre 2008, le fret gère ainsi en direct 15 000 conducteurs, commerciaux, agents d’exploitation, avec une hiérarchie light. « Nous avons gagné en réactivité, résume Alain Declercq, directeur adjoint. Le comité directeur connaît mieux les réalités opérationnelles et les responsables d’unité ont accru leur marge de manœuvre. »

Mais c’est un séisme pour la SNCF historique et ses syndicats, vent debout contre ce « démantèlement progressif ». Jamais avare de symboles, Guillaume Pepy prend le soin d’écrire aux 160 000 cheminots pour se porter « garant » de l’unité de l’entreprise, du maintien des valeurs (sécurité et service public en tête) et d’un socle social commun. Le projet « simplifier et rassembler » a porté l’étincelle, en effaçant de la carte les 23 directions régionales – lieu de régulation entre activités – et les directions des métiers, transversales. « Tout ce qui permet de mutualiser les moyens, procure souplesse et réactivité », résume Didier Le Reste, leader de la toute-puissante CGT Cheminots. Le quotidien s’en trouve bouleversé. « Le cheminot est axé sur son métier et son bassin d’emploi, où il construisait son parcours professionnel, note un cadre. Le rattacher à une branche bouscule ses repères. » Comme la polyvalence des emplois et les déroulés de carrière.

Au fret, les conducteurs ont arraché fin 2008 un contrat de travail tripartite (direction métier, DRH et salarié). « Un pis-aller » pour Bruno Duchemin, de la Fgaac-CFDT, qui réclame une direction métier autonome. Mais l’assurance d’évoluer d’une branche à l’autre. Et de conserver les habitudes : des débuts au fret et une fin de carrière aux manettes d’un TGV, plus rémunérateur. Message compris par la direction : depuis le printemps 2009, elle a différé l’intégration des branches « voyageurs » et « proximités » (bus, métro, tramway). Et maintenu les directions vouées à disparaître. Détricotage ? « Nous procédons par étapes. Concerter implique naturellement des inflexions », modère François Nogué, le DRH. « Fin 2010, la gestion par activités sera acquise pour la moitié de la SNCF. C’est une transformation monumentale en deux ans », martèle un haut dirigeant.

2-Transformer le management

La définition a priori de l’organigramme n’était pas l’objectif de Guillaume Pepy, qui s’est gardé d’écrire, dans le détail, celui de la direction générale. Une rupture avec la culture de la SNCF. Le président réformateur, qui intéresse dès son arrivée les cheminots aux résultats via l’instauration du dividende salarial (207 euros par agent en 2008), met le cap sur le business. « Au-delà d’un projet de fonctionnement, il s’agit d’une transformation managériale et culturelle. L’enjeu est d’améliorer les interfaces entre les métiers », précise Béatrice Tilloy, déléguée à la qualité et au management. Mots d’ordre : des circuits raccourcis de décision et une autonomie accrue donnée aux agents au contact des clients.

Guillaume Pepy décide ainsi de transférer 3 000 cadres des tentaculaires directions centrales vers le terrain. Partout les managers doivent favoriser l’émergence de projets locaux d’amélioration du service, décloisonnant les métiers, à partir des objectifs de l’activité. Une autre rupture avec la culture SNCF, « prescriptive et descendante ». Amélioration de la régularité, du confort, de la sécurité…, 3 500 opérations ont émergé en six mois. Sur la ligne Paris-Versailles, vendeurs, agents de sécurité, d’exploitation tiennent régulièrement des stands d’information : « Ça donne du sens, on ne voyait jamais le client », souligne un spécialiste de la réparation de portes. De quoi aussi éviter l’immobilisme, là où les rattachements hiérarchiques à l’activité n’ont pas encore eu lieu. « L’objectif est de développer une identité commune autour de l’activité », souligne Alain Krakovitch, directeur de la ligne D du RER, qui ne gère encore que… 80 des 2 000 cheminots y travaillant.

Encore faut-il que les 25 000 cadres fassent leur révolution culturelle et abandonnent leur culture de l’exécution. « Nous voulons leur donner le goût de l’initiative et du risque mesuré », précise le DRH, François Nogué. « La sécurité impose un respect absolu des procédures. Culturellement, les cadres pensent donc souvent n’avoir de marges de manœuvre nulle part. C’est une idée reçue », déplore Michel Bernat, directeur de l’institut du management, qui a revu ses formations. Pis, les cadres seraient démobilisés, selon le baromètre social interne qui pointait, au printemps, « une adhésion assez molle aux grandes orientations » : 58 % à peine. « Ils comprennent la finalité, modère Patricia Lacoste, directrice des cadres. Mais ils ont mal vécu les réorientations successives du projet et sont par ailleurs inquiets pour leur avenir personnel. » D’autant que les exigences de résultat s’accentuent. La part variable du salaire, quasi nulle voici trois ans, atteint jusqu’à 10 % de la rémunération brute annuelle des managers d’entité opérationnelle. L’accent est mis sur la mobilité géographique. Les conditions d’accompagnement ont beau avoir été alignées, mi-2008, sur celles de 1 700 cadres sup (bonus porté à deux mois de salaire, déménagement défrayé…), seuls 35 % des cadres sont prêts à changer de région.

3-Faire le pari de la concertation

Pas moins de cinq mois de concertation, 12 tables rondes, sans compter les bilatérales… Depuis son arrivée, le nouveau président a mis à rude épreuve les syndicats, avec lesquels il a tenu à « coconstruire » la réorganisation. Hormis Sud Rail, qui a refusé de participer. « C’est plutôt la stratégie de l’étouffement ! Guillaume Pepy agit à la manière de Nicolas Sarkozy. Il ouvre un maximum de feux pour occuper les syndicats », estime Didier Le Reste.

Ce n’est pas la seule nouveauté : la fédération cégétiste, choyée par la cogestion de Louis Gallois, a vu une page se tourner au premier comité central d’entreprise. « Guillaume Pepy a répondu aux déclarations de toutes les organisations, sauf de la nôtre. » Une manière de remettre tous les syndicats dans le jeu. Et d’en finir avec « la gréviculture » : « Je veux prouver que la grève paie moins que la négociation », disait-il en misant sur le pôle réformiste Unsa-CFDT-Fgaac. Pas de chance : la CGT a été renforcée par les élections professionnelles (39,3 % des suffrages) et la nouvelle loi sur la représentativité syndicale. Elle est en effet seule à peser les 30 % de voix nécessaires à la validation d’un accord d’entreprise. « Soit la CGT continue d’investir les champs de la négociation, ce qu’elle semble vouloir faire, soit le dialogue social marquera une pause dans l’attente des élections professionnelles de 2011 », estime le DRH, prompt à rappeler les 12 accords signés en 2008.

Pour l’instant, Guillaume Pepy évite la confrontation, quitte à donner l’impression de reculer. Au soulagement des syndicats. L’ex-directeur de cabinet de Martine Aubry dans les années 90, salué pour sa connaissance des rouages de la SNCF, était suspecté d’être trop réformiste, voire libéral. Mais il a déjà différé la réforme sociale du fret, à l’automne dernier, face au risque de grève généralisée des conducteurs agité par la CGT et Sud Rail. Ceux-ci n’ont pas apprécié le recours au bénévolat des conducteurs pour augmenter l’amplitude horaire au-delà des limites autorisées par la réglementation gérant le statut des cheminots. Mais, avec 123 166 journées de travail perdues, la SNCF a connu en 2008 l’un de ses plus faibles taux de conflictualité, les grèves interprofessionnelles exceptées.

4-Tirer parti d’un groupe puissant

Attention, par le sigle SNCF, il faut désormais entendre le groupe de 201 000 salariés, avec ses 445 filiales, et non plus seulement l’établissement public industriel et commercial qui abrite les 160 000 cheminots sous statut. Guillaume Pepy l’a vite signifié, en faisant part de son ambition de faire grandir de moitié le groupe. Une reconquête industrielle présentée comme une nécessité face à l’arrivée de la concurrence. Mais les syndicats voient dans le recours aux filiales un moyen aussi pour la direction de s’affranchir du statut des cheminots. Avant d’être proposé dans la branche fret, le recours au volontariat des conducteurs, sous un statut transitoire, a été expérimenté sans remous dès 2007 dans sa filiale Naviland Cargo. « La SNCF se sert de ses filiales pour abaisser ses coûts de revient. Cela institutionnalise un véritable dumping interne », déplore la Fgaac-CFDT.

Développement de la mobilité interfiliales des cadres, travaux sur un modèle managérial de groupe…, la SNCF a commencé à élaborer une réflexion RH globale. « Mais l’appartenance au groupe est loin d’être passée dans tous les esprits », note un cadre. Ce n’est pas le moindre des défis pour Guillaume Pepy, qui sera le premier président à faire face à la concurrence dans toutes les activités à la fin de son mandat, en 2012.

Repères

En 2008, le groupe SNCF, qui compte 201 000 salariés dont 80 % dans la maison mère, a vu son chiffre d’affaires croître de 25 milliards d’euros. Mais son bénéfice net était divisé par deux. Malgré la crise, il entend poursuivre sa stratégie de développement pour affronter un marché de plus en plus ouvert.

1938

Création de la SNCF, détenue à 51 % par l’État. Son personnel bénéficie d’un statut particulier.

1982

La SNCF devient un établissement public à caractère industriel et commercial. Les cheminots conservent leur statut.

1995

Transposition dans le droit français de la directive européenne permettant l’ouverture à la concurrence.

2005

Le premier train de marchandises privé circule sur le réseau SNCF.

2010

Ouverture à la concurrence du transport international de voyageurs.

Les effectifs de la maison mère sont en baisse depuis 2001
ENTRETIEN AVEC GUILLAUME PEPY, PRESIDENT DE LA SNCF
“Je crois à la modernisation négociée”

Vous avez initié une réorganisation de la SNCF qui entérine la gestion par activités. Depuis mai, elle subit des inflexions. Pourquoi ?

En fait, ces inflexions sont le produit du débat interne. Ce projet de réforme en profondeur du fonctionnement, j’ai décidé de le coconstruire avec les managers, les personnels et leurs organisations syndicales. C’est une gageure, j’en conviens. Nous avons effectivement trouvé un point d’équilibre. Certains syndicats l’analysent comme une reculade ; certains managers, comme allant très très vite. Ces réactions me convainquent que l’équilibre trouvé est le bon et qu’il garantit la réussite.

Mais la réforme est inachevée : la moitié de l’entreprise conserve une organisation matricielle…

Je préside une entreprise qui porte un amour immodéré à l’organisation. Moi, je voue un amour immodéré au fonctionnement, avec deux objectifs simples : faire en sorte que les managers soient plus près des clients et qu’ils aient les leviers d’action d’un service de meilleure qualité. Si l’organisation suffisait à le garantir, ça se saurait. Cette question doit être dépassée pour que l’entreprise se recentre sur le client. « Est-ce que le client est dans la pièce ? », voilà la question que je pose à longueur de journée, aussi bien aux syndicats qu’aux managers.

Ce message passe-t-il ?

C’est un engagement quotidien. Il faut mesurer la révolution en cours. La SNCF est une entreprise qui a été structurée sur un modèle plutôt militaire.

Quand pensez-vous achever cette réorganisation ?

Le plus vite possible, dès lors que le succès est assuré. S’il existe un risque de blocage, je chercherai le moment opportun. Je suis un pragmatique absolu, partisan d’un « réglage » permanent de la transformation.

Selon le baromètre social, l’adhésion des cadres est « molle » et les changements sont perçus négativement par 57 % des salariés. Quelle est votre analyse ?

Les changements sont énormes. Après soixante-dix ans de monopole, la SNCF se retrouve, en trois à cinq ans, en secteur concurrentiel. Elle s’ouvre à l’international et devient une entreprise de services de mobilité, qui n’est plus 100 % ferroviaire mais présente dans le tramway, le métro automatique… Les salariés ont une soif inextinguible de connaître l’avenir. J’entends leur message. À la rentrée, nous lancerons des opérations pour susciter plus de débats et leur donner plus de lisibilité.

Quelle autonomie auront les branches d’activité ? Les syndicats craignent des conditions d’emploi différentes…

Le statut du personnel, qui est le ciment des RH à la SNCF, n’est pas remis en cause. En revanche, que les organisations du travail, les systèmes de primes ou de formation diffèrent selon les métiers, cela est heureux. Je suis confiant en notre capacité à trouver les bons équilibres.

Comment qualifieriez-vous votre méthode de réforme ?

Je crois à la modernisation négociée. Mon rôle est de mettre le groupe en mouvement pour accélérer son développement. L’avenir n’est pas au statu quo. Dès que les syndicats acceptent cette perspective, j’essaie de tenir compte de leurs contraintes. Prenons l’intéressement. Nous avons essuyé deux conflits sous la présidence de Louis Gallois : les syndicats étaient opposés à ce dispositif, qui ne nourrit pas le système de protection sociale. Devenu président, je me suis centré sur l’objectif – distribuer une part des résultats aux cheminots – et j’ai opté pour le dividende salarial, qui est chargé de cotisations. Nous avons abouti en juin 2008.

La réforme de la représentativité syndicale a renforcé la CGT, capable de valider ou d’invalider seule les accords d’entreprise. Cela ne va pas vous faciliter la tâche…

La CGT, premier syndicat, a toujours été en situation de responsabilité et l’est plus que jamais. Lors des négociations salariales 2009, elle n’a pas signé l’accord mais ne s’y est pas opposée. Depuis la réforme de la représentativité, le dialogue social est plus intense, plus simple et porte davantage sur des sujets de fond. Car quatre syndicats restent représentatifs au niveau national, dont trois souhaitent négocier la vie industrielle et sociale de la SNCF. Sud Rail, quant à lui, ne veut pas rentrer dans les négociations.

Propos recueillis par Anne Fairise et Jean-Paul Coulange

GUILLAUME PEPY

51 ans, énarque.

1988

Directeur de cabinet du président de la SNCF.

1990-1992

Rejoint les cabinets ministériels.

1993

Directeur de l’économie et de la stratégie à la SNCF.

1995

Directeur général adjoint à la Sofres.

1997

Retour à la SNCF à la direction des grandes lignes.

2003

Directeur général exécutif.

2008

Président.

Auteur

  • Anne Fairise