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Vie des entreprises

Brouillard juridique sur les départs volontaires

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.09.2009 | Jean-Emmanuel Ray

Renault, Peugeot, Valeo, Michelin, HSBC… Pourquoi tant de plans de départs volontaires en France, alors que notre droit du licenciement économique est le plus sophistiqué d’Europe ? Pourquoi tant de groupes préfèrent cette voie encore juridiquement incertaine à un bon vieux plan de sauvegarde de l’emploi hyperencadré par lois et jurisprudence ? Explications.

Le vif engouement pour les plans de départs volontaires tient à, au moins, deux bonnes raisons : médiatique et judiciaire.

1° « Pour vivre heureux, vivons cachés ». Dans notre société de la réputation, un bon plan de suppression de postes est celui dont personne ne parle : bref, l’inverse des usines à feu et à sang avec le DRH couchant dans son bureau présentées à chaque journal télévisé de mai-juin 2009. Qui eût cru, qui eût dit, il y a seulement dix ans, que Renault aurait pu sortir de ses effectifs 4 400 salariés en six mois sans huit mois d’occupation, des centaines de pneus qui brûlent et six TGI statuant en urgence ? Pourquoi un tel calme social ?

Sur le plan individuel, les salariés souvent endettés et n’ayant guère d’illusions sur leur éventuel reclassement, voire l’avenir de leur site, préfèrent un solide chèque pour passer tout de suite à autre chose.

Sur le plan collectif, les syndicats sont mal à l’aise et fréquemment divisés, à tous les niveaux : « Se battre jusqu’au bout pour l’emploi » attire la bienveillance des médias et donc de l’opinion elle-même confrontée à cette terrible question. Mais négocier ensuite le montant du chèque, pratique la plus courante à l’étranger, est nettement moins populaire, voire contre-productif pour des syndicalistes responsables. Car, depuis les généreux chèques-valises des mineurs lorrains des années 70, on ne peut ignorer ce qu’il advient ensuite : désendettement puis consommation et inscription à Pôle emploi : or, dans le contexte actuel…

Mais, à l’impossible nul n’est tenu : mis sous pression par leurs propres militants, voire par un écrasant référendum, les syndicalistes voulant voir plus loin que leur grève ne peuvent guère résister, même avec le soutien de la DDTE locale en charge de l’intérêt général. Surtout depuis que l’audience électorale est devenue le critère de la représentativité. « On a dû gérer une double pression : celle de certains salariés à bout qui voulaient leur chèque et nous reprochaient d’avoir contesté le plan en justice, et celle de ceux qui voulaient sauver leur emploi », expliquait, par exemple, le délégué syndical CGT de Capgemini Outsourcing ayant obtenu en justice le blocage du PDV… mais qui a dû ensuite y renoncer devant la fureur de nombreux salariés déjà sur le départ. Idem pour le contentieux Renault, où FO et la CFTC sont intervenues devant les juges pour expliquer que le PDV contesté par la CGT était une excellente idée.

2° Vu l’état actuel de la jurisprudence s’agissant :

– de l’obligation de reclassement dans les groupes internationaux : urbi et orbi, dans la moindre filiale (Total en a environ 600, dont 430 à l’étranger ; EDF : 249 et 199 ; France Télécom : 211 et 149), même pour remplacer un CDD. Aucun groupe international ne peut prétendre gagner en justice sur ce terrain miné, du moins avant la louable réforme de l’été 2009 (voir Flash) l’autorisant à faire remplir un questionnaire préalable de mobilité et à ne pas proposer des postes à l’étranger que lorsque la rémunération est équivalente ;

– mais aussi de la cause réelle et sérieuse au niveau du secteur d’activité, y compris international. Le juge se réservant le droit de le redécouper s’il soupçonne une fraude (Cass. soc., 24 juin 2009 : « La spécialisation d’une entreprise dans le groupe ou son implantation dans un pays différent de ceux où sont situées les autres sociétés du groupe ne suffit pas à exclure son rattachement à un même secteur d’activité »), puis de vérifier qu’il s’agit bien de sauvegarder sa compétitivité (cf. Cass. soc., 27 mai 2009 : la société mère italienne avait perdu 8 millions d’euros en 2005, puis été liquidée en 2006). Bref, après le TGI, ces groupes sont à peu près sûrs de se retrouver devant les prud’hommes et, quatre ans plus tard, de devoir payer six à quinze mois de dommages-intérêts par salarié. Il n’apparaît alors pas déraisonnable de préférer donner tout cet argent tout de suite aux personnes concernées. En matière de gestion des risques médiatiques, juridiques et du coût final de l’opération, un plan de départs volontaires semble donc un choix rationnel.

PDV : MIRACLE OU MIRAGE ?

1° En termes de procédures, le second alinéa de l’article L. 1233-3 semble faire perdre tout intérêt à la manœuvre : « Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail, à l’exclusion de la rupture conventionnelle homologuée. » Un PDV ne permet donc pas d’éviter une information-consultation du comité d’entreprise ; mais aussi le montage d’un PSE si plus de 10 salariés doivent partir en un mois. À moins qu’il ne s’agisse des suites d’un accord de GPEC, disent certains, ce qui n’est pas sûr du tout. Bref, Livre IV puis Livre III disaient nos aînés. Sans doute à la marge, trois résiliations conventionnelles, homologuées ou non, peuvent faire miraculeusement tomber le chiffre à neuf : mais la fraude devient difficile s’il s’agit de 456 départs. Et la même loi du 25 juin 2008 exclut expressément toute rupture conventionnelle homologuée dans le cadre d’une GPEC ou d’un PSE. Il reste vrai qu’un PDV financièrement alléchant évite les chicanes procédurales habituelles en cas de PSE.

2° En termes financiers, la situation d’aujourd’hui n’est plus celle d’il y a un an. Vu la flambée du chômage qui risque de se prolonger jusqu’à la mi-2010, les volontaires se font rares. Les chèques doivent donc augmenter… alors que les DRH ont un budget plus réduit. L’entreprise voulant éviter d’avoir son nom associé à l’arrêt de cassation décidant qu’il ne peut y avoir de départs vraiment volontaires a intérêt à s’engager à ne procéder à aucun licenciement si le nombre souhaité n’est pas atteint : ce qu’avait fait fort opportunément Renault à propos de son « plan d’ajustement des effectifs fondé sur le volontariat », légitimé par la cour de Versailles le 1er avril 2009.

3° En termes de contentieux, il faut rester prudent : les plans de départs volontaires ne font que commencer, et tant que la Cour de cassation n’aura pas défini son régime, il faut prendre quelques solides précautions.

TROIS CONTENTIEUX ÉVENTUELS

Certes, quelques TGI et trois cours d’appel ont pris position, et la chambre sociale elle-même en avait admis le principe le 2 décembre 2003 : « Le contrat de travail peut prendre fin non seulement par un licenciement ou par une démission, mais encore du commun accord des parties »… dans le cadre d’un accord collectif. Et surtout, la loi du 21 décembre 2006 a prévu que des accords répertorient « les catégories d’emplois menacés par les évolutions économiques ou technologiques » et envisagent le recours à des départs volontaires pour les salariés concernés (L. 2242-16 et s.).

Le risque principal n’est évidemment pas la question de l’ordre des licenciements (non, Cass. soc., 10 mai 2005, cour de Versailles, 1er avril 2009) ou de la priorité de réembauche, qui remonte pourtant fort en ces temps difficiles (oui, Cass. soc., 24 juin 2009 : « Il appartient à l’employeur d’apporter la preuve qu’il a satisfait à son obligation en établissant qu’il a proposé les postes disponibles ou en justifiant de l’absence de tels postes » : l’employeur n’ayant pas produit le registre unique du personnel…).

1° Mais quid de la cause réelle et sérieuse d’une rupture pouvant être un jour requalifiée en licenciement par des juges estimant que le volontariat n’existe pas en droit du travail ? L’arrêt de la chambre sociale du 16 décembre 2008 exigeant que l’employeur motive l’ex-CRP, puis celui du 27 mai 2009 lui reprochant de ne pas avoir motivé la lettre de rupture… « d’un commun accord » sentent le brûlé. De là à motiver, au cas où…

Comme la décision du TGI de Nanterre ayant bloqué le 19 janvier 2009 le PDV de Capgemini Outsourcing Services car la délimitation trop précise des catégories de salariés susceptibles de se porter volontaires aboutissait à la quasi-désignation des « volontaires forcés » guère éloignée d’un licencié virtuel. En résumé : pour que le départ soit vraiment volontaire et ne puisse pas être requalifié en licenciement, le salarié doit avoir vraiment eu le choix : s’il appartient à un site dont la fermeture est décidée, ou que son poste est supprimé, les juges goûteront peu la manœuvre

2° La question de la discrimination, par l’âge en particulier. Cette question des « seniors » devenus « aînés » qui va dominer les années à venir ne peut être ignorée à l’occasion d’un PDV : les pratiques aboutissant aujourd’hui à un taux de licenciements économiques des plus de 50 ans trois fois supérieur à ceux des moins de 30 ans devront rapidement être revues. D’une part, en raison des accords de GPEC ou relatifs à la diversité signés avant la crise, et qui ne peuvent se voir bafoués à l’occasion d’un PDV sous peine d’intervention du TGI rappelant sous astreinte l’entreprise à ses propres obligations. D’autre part, les entreprises employant au moins 50 salariés seront soumises à une pénalité de 1 % si, à compter du 1er janvier 2010, elles ne sont pas couvertes par un accord ou un plan d’action relatif à l’emploi des salariés âgés.

Un PDV ultérieur ne pourra évidemment violer les « objectifs chiffrés de maintien dans l’emploi concernant les salariés âgés de 55 ans » nécessairement prévus. Pour cette catégorie, l’humour juridique trouvera vite ses limites.

3° L’inégalité de traitement entre salariés, mais aussi entre sites, comme l’a rappelé la cour d’appel de Versailles le 10 avril 2009 à un employeur ayant benoîtement pensé qu’il pouvait proposer exclusivement aux salariés du site en difficulté un chèque-départ. Non, bien sûr, a répondu la cour, appliquant strictement la second terme de la devise de la République : ce sont tous les salariés de l’entreprise qui doivent pouvoir en bénéficier, ce qui libère des postes pour reclasser en interne les salariés du site en difficulté. Last but not least : ce sont les meilleurs qui partent. En faisant partir des personnes ou des services vitaux pour elle, un PDV mal cadré peut déstabiliser toute une entreprise. Or il est des collaborateurs dont on ne peut que souhaiter qu’ils aillent, enfin, plomber la concurrence.

FLASH
Et la double obligation de reclassement ?

Pas d’obligation de reclassement interne ? « En présence d’un engagement de l’employeur s’interdisant de recourir à des mesures de licenciement pour parvenir à son objectif de réduction des effectifs, les salariés qui ne souhaitent pas quitter l’entreprise demeureront dans leur emploi et à leur poste de travail, ce qui exclut, par définition, toute nécessité de rechercher un reclassement. » Le truisme de la cour de Versailles du 1er avril 2009 doit être interprété avec prudence : pour qu’il mérite son nom, un PSE doit éviter les ruptures en prévoyant des reclassements internes.

Mais obligation de reclassement externe, avec « des mesures concrètes d’accompagnement du départ, de nature à permettre aux salariés un réemploi et à éviter une période de chômage, ou à leur permettre la réalisation d’un projet personnel », a indiqué la même cour de Versailles. Cette légitime volonté jurisprudentielle de ne pas se limiter aux chèques-valises est étroitement surveillée par la DDTE à qui doit être transmis le PSE-PDV et qui, en fonction des moyens dont dispose l’entreprise ou le groupe, veille sur l’intérêt général et les finances de Pôle emploi en exigeant de très concrètes mesures d’accompagnement externe.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray