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Politique sociale

Les Chinois découvrent le chômage de masse

Politique sociale | publié le : 01.09.2009 | ÉmilieTorgemen

Après des années de folle croissance, la crise frappe les entreprises et menace toutes les catégories de travailleurs. Qui se retrouvent quasiment sans filet social.

Je vais retenter ma chance en ville dès que possible », assure Xu Wei. Ce migrant de 24 ans est rentré chez lui, à la campagne. En octobre, la crise lui a coûté son emploi de vendeur informatique à Shenzhen. Les cinq mois suivants, il a bien essayé de créer sa propre boutique d’ordinateurs dans son village natal du Jiangxi, dans le sud-est du pays, mais sans succès. Et après quelques semaines de vie précaire à dormir dans des cafés Internet de Shanghai pour quelques yuans la nuit, il vit de nouveau avec sa mère et tient, comble de l’ironie, la caisse d’un webcafé contre 120 euros par mois. Le parcours de Xu Wei est emblématique du sort des quelque 200 millions de migrants recensés par Pékin qui, pour la première fois, semble s’en alarmer. Le ministère de l’Agriculture a annoncé que 20 millions de migrants rentraient chez eux. Le chiffre, contesté, a été largement repris par les médias officiels, signe de l’inquiétude du gouvernement. À l’autre extrémité de la chaîne de l’emploi, le pouvoir chinois est aussi préoccupé par le sort des nouveaux diplômés.

Avec la crise internationale, c’est l’ensemble de la population active qui découvre le chômage. À la différence des années 90, les nouveaux inactifs ne sont pas des fonctionnaires. En 1997, en effet, l’État chinois avait décidé de liquider l’emploi public et notamment l’industrie socialiste. Dommages collatéraux, 36 millions d’anciens fonctionnaires se sont retrouvés sur le carreau alors que le système du « bol de riz en fer » maoïste qui assurait emploi à vie et couverture sociale n’existait plus. « L’astuce qui a probablement évité des troubles sociaux d’importance a été de permettre à ces nouveaux sans-emploi d’acquérir pour une bouchée de pain leur logement de fonction. Cette solution est hors de propos pour les sans-emploi d’aujourd’hui », explique Yolanda Fernandez, une analyste de la Banque asiatique de développement.

50 000 entreprises fermées dans le Guangdong. Aujourd’hui, les entreprises publiques sont interdites de plans sociaux et ce sont les employés du privé qui souffrent. Le jouet, le textile, l’électronique, l’ensemble du made in China chancelle faute de débouchés aux États-Unis et en Europe. Selon le Times, un magazine cantonais, 50 000 entreprises ont fermé dans le Guangdong, province du Sud tournée vers les exportations. Près de Shanghai, la ville de Wen­zhou, connue pour ses produits bon marché, a vu 40 000 de ses 60 000 entreprises disparaître. À proximité, à Jiangyin, la moitié des 50 aciéries est arrêtée. Le secteur le plus durement touché est donc celui qui emploie le plus de main-d’œuvre, notamment de migrants. « Avant novembre, les appels concernaient essentiel­lement les salaires impayés ; désormais, le chômage est la principale préoccupation des centaines de mingongs [littéralement paysans-ouvriers] qui nous téléphonent chaque semaine », note Liu Bo, au standard de Petit oiseau, une association pékinoise qui aide les migrants. C’est une nouveauté. Pendant les années de croissance à deux chiffres, les migrants n’étaient pas concernés par le chômage. Partis des campagnes et des provinces pauvres de l’Ouest pour faire tourner les usines du Sud et de l’Est, ils rentraient simplement dans leur campagne en cas de chômage technique, rejoignant alors la masse des sous-employés ruraux – deux ruraux sur trois.

Les mingongs deviennent illégaux. Les migrants, comme une grande partie des sans-emploi, ne bénéficient d’aucune assurance chômage. Avec le système du hukou, sorte de passeport intérieur, les natifs des campagnes chinoises deviennent des travailleurs illégaux dans les villes et passent sous les radars des statistiques de l’emploi. Officiellement, le taux de chômage s’élève à 4,3 %, mais Pékin ne recense pas l’emploi chez les ruraux, dont font partie les travailleurs migrants. Et encore, ce chiffre exclut les très nombreux travailleurs du secteur informel et tous ceux qui n’ont pas de contrat. « Ce taux ne prend en compte tout au plus que la moitié des travailleurs urbains, à peine un tiers de la population active », estime Steve Barker, le spécialiste chômage du projet sino-européen sur la sécurité ­sociale en Chine. Shi Chen-yu, chercheur de la Banque industrielle et commerciale de Chine, a attaqué ce décompte « ni complet ni scientifique » dans les pages du quotidien pékinois Xin Jing Bao, et comptabilise 50 millions de chômeurs urbains. Quant à la force de travail excédentaire à la campagne, elle était estimée à environ 100 millions de personnes avant la crise.

Même pour les heureux allocataires du chômage chinois, les pensions sont faibles. Le montant, différent selon les provinces, n’est pas lié au revenu. Il est compris entre le niveau plancher vital pour les urbains (minimum living standards schemes for urban residents) et le salaire minimum local. À Shanghai, un chômeur touche 435 yuans (45,40 euros) par mois s’il a travaillé entre une et dix années, jusqu’à 600 yuans (63 euros) s’il a plus de vingt-cinq ans d’expérience. « Les cols blancs ne sont pas non plus épargnés par la crise. Du point de vue du re­cruteur, c’est une excellente nouvelle et un bouleversement complet », explique Frédéric Vaissaire, DRH d’Ensival-Moret, une entreprise franco-belge qui fabrique des pompes industrielles à Shanghai. Jusqu’à présent les employés chinois étaient réputés changer de poste comme de chemise, l’essentiel du travail des services de ressources humaines consistait à retenir ces « petits empereurs », notamment pour les plus hauts profils. Désormais, le chômage guette, et les cols blancs ne sont plus à l’abri. Chez Ensival-Moret, des postulants surqualifiés acceptent de baisser leurs prétentions salariales de 20 à 25 % pour des postes administratifs, de secrétaire de direction, de comptable… Ils viennent souvent d’agences immobilières ou de l’industrie automobile, deux secteurs sinistrés. En revanche, les ingénieurs hydrauliques restent des perles rares, « pour l’instant », précise le DRH.

Jusqu’à présent, les cols blancs chinois étaient réputés changer de poste comme de chemise

Pékin a particulièrement sonné l’alarme à propos des jeunes diplômés. Ils sont plus de 6 millions à être jetés sur un marché de l’emploi saturé en 2009 alors que 1 million des diplômés 2008 seraient encore sans emploi. Fait inhabituel, le Premier ministre chinois, Wen Jiabao, s’est rendu en mars à l’université de Pékin pour rassurer les étudiants. « Le choc est rude. C’est tout un modèle de pensée qui est remis en cause, le diplôme a une grande valeur dans la culture confucéenne », explique Éric Tarchoune, consultant en ressources humaines à Shanghai.

Face à cette vague de chômage, Pékin n’a pas impulsé de nouvelle politique globale de l’emploi. Le gouvernement s’est contenté de donner quelques lignes directrices : embaucher les nouveaux diplômés, ne pas licencier, etc. Aux autorités locales de les interpréter. À Shenzhen, l’un des poumons exportateurs du pays, les entrepreneurs se sont mis d’accord pour geler les salaires, y compris le salaire minimum, une déclinaison des conseils du Premier ministre Wen Jiabao qui a invité les directions d’entreprise, au nom de la lutte contre le chômage, à « revoir la politique des salaires, aller vers plus de flexibilité ». À Chengdu, la municipalité a choisi d’accorder, sous certaines conditions, une allocation chômage de six mois aux travailleurs migrants après trois mois de chômage.

Selon Hana Brixi, analyste chargée de la politique sociale au bureau de Pékin de l’Unicef, les mesures clés pour lutter contre le chômage en Chine sont celles qui facilitent la création d’entreprises, notamment individuelles. Un point de vue libéral, largement partagé par les dirigeants chinois. D’ailleurs, le plan de relance de 400 milliards de yuans se concentre sur les dépenses d’infrastructures, les dépenses sociales ne représentant que 4 % du plan et celles liées aux logements sociaux 10 %.

« L’idée socialiste selon laquelle un travailleur même sous-payé, même sous-employé vaut mieux qu’un chômeur rejoint l’idée libérale selon laquelle l’argent public, même abondant, ne doit pas être utilisé pour entretenir des inactifs », estime Jean-Louis Rocca, chargé de recherches à Sciences-po, spécialiste de la Chine. Pékin, qui prévoit de réformer sa sécurité sociale, assurance chômage comprise, d’ici à 2020, ne semble pas vouloir favoriser un système généreux « à l’européenne ». La Chine ne souhaite pas réparer un État social qu’elle a mis des années à détruire. Et préfère miser sur la reprise économique.

L’acier déprime à Jiangyin

A Jiangyin, ville industrielle au sud de Shanghai hérissée de cheminées de hauts-fourneaux, ils sont plus de 100 à se presser contre la vitre où sont affichées les offres d’emploi. Wang Chuan Min est déçu. Il ne correspond à aucun des profils recherchés. Cet ancien ouvrier de 44 ans vient d’arriver de son village du Shandong, à près de 1 000 kilomètres au sud. « J’ai quitté Jiangyin en juillet, au tout début de la crise économique, j’ai été licencié du jour au lendemain avec un tiers de l’équipe de notre petite fabrique de bateaux », explique-t-il. Avec ses deux fils de 21 et 24 ans, ils ont travaillé leur lopin de terre quelques mois, mais « impossible d’en vivre ! ». Ils sont de retour en ville où l’industrie navale est l’un des premiers débouchés de l’acier. C’est grâce à ce métal que Jiangyin est une des villes modèles du delta du Yangtze, région pionnière du capitalisme chinois. Mais l’acier national, dont le cours est soutenu par Pékin, est devenu l’un des plus chers du monde alors que la demande internationale chute.

Selon le Telegraph, la moitié des 50 aciéries de la ville a dû fermer. Une information démentie par le gouvernement local pour qui tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. « Parce que notre acier sert à la fabrication navale qui se porte bien », explique sans ciller Wu Fuqing, un responsable de l’emploi de la municipalité. « Personne ne veut parler des difficultés, glisse Dong Cunran, un jeune technicien de l’immense aciérie XiDong Qing, mais dans mon service on encourage fortement les départs volontaires. » Dans la zone industrielle, M. Li, le directeur des ventes de Jiangyin City Huaxi Color Steel, explique : « Beaucoup d’usines ont fermé, de nouveaux chômeurs frappent à notre porte pour trouver du travail alors que nous faisons l’impossible pour conserver l’ensemble de notre personnel. »

Auteur

  • ÉmilieTorgemen