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Idées

Le dialogue social est-il de mauvaise qualité en France ?

Idées | Débat | publié le : 01.06.2009 |

La multiplication de conflits durs dans les entreprises ces derniers temps, avec séquestration à la clé, pose à nouveau la question de la capacité des partenaires sociaux à négocier en France. L’Hexagone est-il un mauvais élève en matière de dialogue social ? La réponse de deux consultants et d’un chercheur de l’Ires.

Jacky Fayolle Directeur adjoint du centre Études & Prospective du Groupe Alpha

Les séquestrations sont la médiatisation du pauvre, les chèques à la valise des parachutes de plomb : cet ultime exercice de la voice avant l’exit final est le miroir déformant du théâtre des élites, où l’on sort de la scène sous les sifflets mais avec le cachet. L’évanescence déroutante de la débâcle systémique pousse à la recherche des lieux de décision et à la personnalisation des responsabilités : c’est évidemment difficile à bien cibler, puisque l’organisation des grandes entreprises est parfois faite pour les rendre insaisissables, comme le film Louise-Michel s’en est fait l’écho burlesque.

Le dialogue social, pour être crédible, a besoin d’une obligation de résultat, ce qui suppose des acteurs bien identifiés et ayant capacité à s’engager, ainsi que des lieux pertinents. Dans le cas des restructurations, la route s’est avérée longue pour dessiner un équilibre entre le rapport de force, la loi, la négociation. Des progrès ont été enregistrés dans les dernières années, depuis les accords de méthode bien compris jusqu’aux incitations législatives en faveur de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. La violence de la crise met à l’épreuve ces efforts d’anticipation avant qu’ils aient pu pleinement mûrir. Le risque de régression est indubitable. Le contrer suppose l’inverse du renoncement : aller plus avant dans l’association des salariés à la gouvernance des entreprises, afin que le dialogue social puisse s’adosser à un dialogue économique contestant la suprématie de la création de valeur pour l’actionnaire et évitant les errements auxquels elle conduit.

La responsabilité de la puissance publique est engagée à cet égard. Son intervention est sollicitée de toutes parts. Qu’il s’agisse des banques ou de l’industrie, ses principes de conditionnalité méritent clarification. Si cette intervention n’était que béquille pour capitaux en détresse, nous sortirions de cette crise avec un aléa moral multiplié, source de nouvelles déconvenues. L’association en amont, notamment par une présence significative dans les conseils d’administration, des salariés à la gouvernance des entreprises bénéficiant de l’appui public devrait participer de cette conditionnalité. Parce qu’ils ont le souci de la viabilité de leurs emplois, les salariés et leurs représentants sont intéressés à la qualité de cette gouvernance et à la pertinence des choix stratégiques. S’ils étaient en mesure d’y contribuer, l’efficacité du dialogue social ne pourrait qu’en tirer profit.

Udo Rehfeldt Chercheur à l’Ires

Pour caractériser la faible efficacité du dialogue social en France, il était longtemps coutumier d’opposer deux modes d’articulation entre négociation et conflit en Europe. D’un côté, il y avait le modèle allemand, dans lequel la grève était utilisée comme un dernier recours au cas où une négociation échouait. Les syndicats la considéraient comme une épée : on devait ne pas s’en servir trop souvent, pour qu’elle reste tranchante, mais on ne devait pas la laisser rouiller non plus. D’où un faible taux de conflictualité avec de rares et brefs mouvements de grève, mais alors très suivis. De l’autre, l’image de la France était inverse : pour entamer une négociation, il fallait d’abord déclencher un conflit. D’où la place traditionnelle de l’Hexagone parmi les pays les plus conflictuels en Europe. Cette image est aujourd’hui en partie révolue. D’abord, le taux de conflictualité a fortement diminué dans l’Hexagone, comme d’ailleurs dans l’ensemble des pays européens. En France, la négociation est devenue la règle dans les grandes entreprises ainsi qu’aux niveaux interprofessionnel et sectoriel, même si ces niveaux sont insuffisamment articulés. Il est vrai que, de plus en plus souvent, on ne négocie plus sur des revendications syndicales mais sur des « agendas » déterminés par les organisations patronales et le gouvernement. La menace d’une mesure législative autonome incite fortement à la conclusion d’accords dans un calendrier plus contraint. Malgré l’augmentation du nombre d’accords collectifs, tous les domaines ne sont cependant pas couverts par cette priorité à la négociation. On n’a toujours pas, en France, l’équivalent de ce qui est le noyau dur du système contractuel allemand, à savoir une négociation salariale régulière au sein des branches.

Finalement, deux traits caractéristiques du système français restent toujours valides : la France est le pays possédant le taux de syndicalisation le plus bas en Europe et la fragmentation syndicale la plus forte. Les syndicats français peuvent se consoler en pensant que leurs homologues allemands connaissent eux aussi la crise et admirent en retour la capacité des syndicats français de mobiliser les salariés. Quant à la fragmentation, il faut voir si les nouveaux critères de représentativité de validité des accords collectifs introduits par la loi du 20 août 2008 vont inciter à un comportement plus stratégique et plus unitaire des organisations syndicales.

Olivier Mériaux Directeur de la stratégie et du développement au Groupe Amnyos Consultants

Le dialogue social à la française est généralement associé à une infirmité nationale à produire du changement négocié, que ce soit au niveau interprofessionnel ou de l’entreprise. Paradoxalement, c’est autour de ces deux pôles qu’on entend aujourd’hui structurer les relations sociales, la régulation de branche étant amenée à perdre de son importance. Or la crise actuelle montre les limites de cette approche, qui revient à renvoyer au niveau de l’entreprise le traitement curatif de problèmes structurels de compétitivité et d’emploi que les partenaires sociaux et les pouvoirs publics n’ont pas su traiter en amont.

Sur le plan macro, le radicalisme ouvrier a souvent pu justifier à la fois l’unilatéralisme patronal et l’intervention des pouvoirs publics. Depuis les années 70 et la tentative d’instaurer un partenariat social, un jeu de rôle autour de l’anticipation de l’intervention étatique a limité les capacités d’adaptation. Plus les sujets de négociation sont complexes et supposent des concessions de part et d’autre, plus l’attachement proclamé des partenaires sociaux à l’autonomie du dialogue social cède du terrain face à des considérations tactiques élémentaires. Patronat et syndicats sont tous pour le dialogue social, mais rarement au même moment ; en caricaturant à peine, on dira que le patronat y a été favorable lorsque la gauche était au pouvoir et que les syndicats ont surtout pratiqué le dialogue social lorsqu’ils ne pouvaient compter sur une majorité compréhensive… Logique, dès lors, que l’État n’ait jamais résisté à la tentation d’instrumentaliser les acteurs sociaux pour servir ses propres objectifs.

Au niveau de l’entreprise, ce qui frappe avant tout est le décalage entre le bilan quantitatif de la négociation – plus de 20 000 accords par an – et la pauvreté de son contenu. Depuis 1982, l’État a encouragé l’autonomisation de l’entreprise comme instance de production normative. Avec quels effets sur la capacité des acteurs à renouveler les termes du compromis social ? Il est significatif que, dans les conflits médiatisés ces dernières semaines, les violences soient intervenues au moment où les salariés découvrent que les jeux sont faits ou que l’interlocuteur de la direction est aussi peu informé qu’eux-mêmes sur la stratégie du groupe. Quel est le sens de négocier localement dès lors que leurs conditions de travail et d’emploi sont en grande partie fonction de choix effectués en amont, par un donneur d’ordres, une filiale ou un actionnaire majoritaire peu identifiable ?