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Enquête

De deux mois à deux ans pour quitter l’entreprise

Enquête | publié le : 01.06.2009 |

À côté des plans sociaux anticipés, étalés et médiatisés de grandes entreprises, quantité de licenciements économiques de PME restent expéditifs et invisibles.

Pour Laurence Parisot, aucun doute, les procédures de licenciement traînent en longueur ! « Il faut encadrer les choses d’une manière telle que cela ne [puisse] pas durer un an ou deux », déclarait en mars dernier la présidente du Medef. De fait, entre le moment où un plan de sauvegarde de l’emploi est annoncé et celui où les salariés concernés ont effectivement quitté l’entreprise, il peut se passer plusieurs mois, parfois plusieurs années. Chez Total Petrochemicals, les rumeurs de PSE ont commencé à circuler en septembre 2008 et ont été confirmées le 10 mars 2009 en comité central d’entreprise. Trois cent six suppressions d’emplois, sans licenciement sec selon la direction, sont envisagées sur différents sites en France. « Nous sommes encore sous le coup d’un autre plan social qui a débuté en 2006 et doit se terminer en 2011. Trois cents postes ont déjà été supprimés », souligne Khalid Benhammou, délégué syndical CFE-CGC. Dans le cadre de ce nouveau PSE baptisé « plan de consolidation », la direction et les syndicats négocient un dispositif de dispense d’activité pour les salariés les plus âgés, qui s’étendra jusqu’en juin 2010 pour ceux du site de Notre-Dame-de-Gravenchon (Seine-Maritime) et décembre 2010 pour ceux du site de Mont-Lacq (Pyrénées-Atlantiques) et du siège, à la Défense. Pour les salariés des établissements de Carling (en Moselle) et de Gonfreville (en Normandie), le dispositif prendra fin en décembre 2012. Soit quatre ans après les premières rumeurs de plan. « Total étale tous ses plans sociaux pour assurer la transmission des connaissances. L’idée est de rééquilibrer la pyramide des âges de l’entreprise », décrypte Khalid Benhammou. « Les grandes entreprises ont beaucoup amélioré leur dispositif de reclassement à chaud. Elles enrobent la gestion des départs avec des plans sociaux Rolls-Royce, confirme Rachel Beaujolin-Bellet, professeur à Reims Management School et spécialiste des restructurations. Elles en voient malgré tout les limites. Un PSE ressemble trop à une injonction à la mobilité. Du coup, elles anticipent très en amont les suppressions d’emplois, qu’elles accompagnent d’appels au volontariat, et se donnent encore plus de temps pour gérer les départs. »

Responsabilité sociale. L’étalement d’un PSE ne vaut vraiment que pour les grandes entreprises. Celles qui ont les moyens développent un discours de responsabilité sociale et veulent rendre socialement acceptables les suppressions d’emplois. « Les durées moyennes d’accompagnement varient énormément d’une entreprise à l’autre et d’une catégorie de salariés à l’autre, note Catherine Chooli, consultante chez Right Management. Cela peut aller de huit mois de congé de reclassement pour un salarié de moins de 35 ans à dix-huit mois pour les plus de 45 ans. » Mais la critique de Laurence Parisot vise surtout la pression que font peser les syndicats sur les directions dès l’annonce des plans sociaux. Ulcérés par la fermeture programmée de leur usine en mars 2010, les salariés de Continental ont joué dès le début le rapport de force. Le 29 avril, reçus à Bercy, ils demandaient à la direction de l’entreprise la suspension du PSE pendant quatre-vingt-dix jours. « Au préalable, nous exigeons la négociation d’un accord de fin de conflit, tonnait alors Xavier Mathieu, le leader de la CGT. Même si dans trois mois on reçoit nos lettres de licenciement, dans un an on sera encore là pour bloquer l’entreprise. » Finalement, le PSE a été repoussé d’un mois ; l’information-consultation reprendra le 16 juin.

Effets pervers de l’étalement des procédures, les PSE s’enchaînent et se font au fil de l’eau. Au point que les salariés, restés dans l’entreprise, vivent en perpétuelle restructuration. C’est le cas chez Amora Maille (Unilever) où, depuis 2005, quatre plans sociaux se sont succédé. C’est aussi le cas pour les salariés de La Barre Thomas (un sous-traitant automobile basé à Rennes) qui, depuis 2006, ont subi trois PSE et un plan de départs volontaires. « Sans compter les périodes de chômage partiel que nous avons vécues en fin d’année. Les salariés sont épuisés, l’ambiance est délétère », souligne Bernard L’Angevin, délégué syndical CFTC.

Reste que, pour l’immense majorité des personnels des petites entreprises, les choses sont loin de traîner en longueur. Presque invisibles, ces licenciements n’ont pas de répercussion sur le plan national, ils n’entament pas la paix sociale. Après quatorze ans d’activité, Catherine, mécanicienne modèle dans une petite maison de prêt-à-porter du Sentier, a appris son licenciement entre deux portes. « Le patron voulait que je passe à mi-temps. J’ai refusé. Il m’a licenciée. J’ai reçu ma lettre le 25 mars, le 7 mai j’étais à la porte », explique-t-elle. Un licenciement « à l’arraché » d’autant plus mal vécu que le patron n’a pas hésité à placarder une petite annonce sur la vitrine de l’entreprise pour recruter à son poste une salariée à mi-temps, « avant même la fin de mon préavis »!

Les 37 salariés de l’entreprise de mécanique de précision OPF, située à Pont-de-Metz, dans la Somme, n’ont pas non plus eu beaucoup de temps pour se retourner. « On a appris début janvier la fermeture de l’entreprise. Un mois après, le tribunal de commerce d’Amiens a prononcé la cessation d’activité, raconte Alain Gravelard, ancien délégué syndical CFDT de la PME. C’est l’administrateur judiciaire qui a procédé aux licenciements. Tout a été bouclé début avril, avec le mien. »

L’histoire se répète pour les 22 salariés de France Champignon. À Branoux-les-Taillades (Gard), la fermeture du site s’est jouée en trois mois, malgré une grève aussi longue que vaine. « Dès l’annonce des licenciements, nous avons campé jour et nuit devant le site. En tout, quatre-vingt-quinze jours. Ça n’a rien changé. En septembre on a cédé. On était encore 13 à tenir. On en avait marre et le site a fermé, comme planifié par la direction », raconte Gilles Becu, délégué syndical CGT.

Fin juillet, 219 salariés de ZF Sachs, fabricant d’amortisseurs automobiles à Mouy (Oise), quitteront leur usine. La direction du groupe allemand a annoncé sa fermeture il y a cinq mois pour transférer la production en Turquie. « C’est la fermeture d’usine la plus rapide de l’histoire », pointe Loïc Picaut, délégué syndical CGT. Depuis l’annonce, la production tourne au ralenti. « Les salariés attendent la fin de la négociation du PSE », note Stéphane Maciag, à la CFDT. Absentéisme mi-mai : 37 %.

Le “20 heures”… sinon rien !

Désormais, les médias font partie de la donne. La médiatisation des plans de licenciements profite en général aux salariés les mieux organisés qui savent comment intéresser les médias à leur histoire. Mais le travelling des caméras sur quelques conflits sociaux met aussi en évidence les disparités de traitement pour ceux qui ne sont pas sous les feux de la rampe. Il y a ceux qui « font le journal de 20 heures » et puis ceux qui n’obtiennent, au mieux, qu’une petite brève dans la presse locale. « Nous parlons plus des gros plans sociaux parce que les chiffres impressionnent, il y a un effet de masse et un côté spectaculaire dont nous avons besoin. C’est d’autant plus inévitable que ces plans restent représentatifs de la crise », explique Hervé Godechot, rédacteur en chef des éditions du week-end de France 3. Pour leur part, les salariés ont bien intégré les codes de la communication et du happening social. « Le jeu avec les médias est évident, ils ont aujourd’hui un tel poids que si un conflit n’est pas médiatisé, c’est comme s’il n’existait pas, note le chercheur Jean-Michel Denis. Or, si un conflit n’est pas visible, il n’est pas reconnu. »

Un impact réel que les salariés de la PME bretonne La Barre Thomas, sous-traitant automobile qui vient de supprimer 248 postes sur 1 280, ont mesuré très concrètement : « Pendant les négociations, la direction nous reprochait de faire parler de nous à l’extérieur, raconte le délégué CFTC Bernard L’Angevin. Dans notre cas, la presse a mis en émoi le public et a permis que notre combat soit reconnu. Maintenant, les gens du coin savent qui nous sommes et pourquoi nous luttons. » Cette reconnaissance est donc bien la clé qui permet aux acteurs locaux de s’engouffrer à leur tour dans la brèche. On voit des maires se battre bec et ongles aux côtés de salariés, qui sont aussi leurs administrés. Franck Marlin, député maire (UMP) d’Étampes (Essonne), a joué un rôle important dans les discussions visant à éviter la fermeture du site Faurecia de Brières-les-Scellés : « Les élus sont souvent considérés par les dirigeants d’entreprise comme des petits acteurs locaux sans poids. Nous avons démontré le contraire et évité le pire en négociant un accord qui limite à 75 les licenciements, au lieu des 405 annoncés au début. Dans la dernière ligne droite des négociations, j’ai reçu un appel du DRH qui m’a demandé d’être un relais pour faire atterrir l’avion en douceur. » Mais tous les salariés en difficulté n’ont pas les mêmes soutiens. Que leur reste-t-il alors ? « Notre responsabilité est aussi d’aller voir ceux qui n’ont pas les moyens de venir jusqu’à nous, répond Hervé Godechot, de France 3, c’est une question de rigueur journalistique. » Et d’égalité de traitement…

Pour les salariés de Carling et de Gonfreville de Total Petrochemicals, le PSE s’étalera sur trois ans et neuf mois.

Catherine, ouvrière dans le Sentier à Paris, a eu un mois et demi pour quitter l’entreprise.