logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enquête

Comment licencient nos voisins

Enquête | publié le : 01.06.2009 |

Plan social, indemnité, accompagnement… les cadres légaux sont plus ou moins élaborés et discriminants mais, bien souvent, les pratiques sont en deçà.

ESPAGNE

Un plan social au-dessus de 50 salariés

Il y a trois semaines qu’Hector a reçu sa lettre. « Je savais ce qu’il y avait dedans avant de l’ouvrir », raconte ce technicien en espaces verts. La confirmation de son licenciement. EVsa, la petite entreprise de jardinage qui l’employait, perd des contrats depuis des mois : « Les mairies des alentours de Madrid avec lesquelles on travaillait depuis des années préfèrent embaucher des chômeurs », explique-t-il. Licencié sans préavis, pour raisons économiques et de production, avec cinq ans d’ancienneté, il empochera 20 jours par année travaillée (indemnité plafonnée à vingt années), et pourra toucher des allocations chômage pendant vingt mois, qui atteindront 75 % de son salaire dans les six premiers mois et 60 % ensuite. Il ne s’estime pas si mal loti. « J’ai de quoi voir venir », dit-il. « En théorie, les conditions sont les mêmes dans une grande entreprise, souligne Sonia Cortés, spécialiste en droit du travail, associée du cabinet d’avocats Cuatrecasas. Mais, dans la pratique, les syndicats tentent toujours de négocier de meilleures indemnités, spécialement s’il s’agit de la délocalisation d’une multinationale. On obtient en moyenne 35 à 45 jours par année d’ancienneté, voire parfois jusqu’à 60 jours. »

Difficultés des précaires. Autre différence : l’obligation d’accompagner les procédures de licenciement collectif de la mise en place d’un plan social pour toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Avec plus de 4 millions de sans-emploi, soit 17 % de la population active, l’Espagne est particulièrement affectée par la montée du chômage. « Le plus difficile est le cas des personnes qui, avant la crise, vivaient déjà dans la précarité, en alternant CDD et périodes de chômage, explique Mari Cruz Elvira, responsable des questions d’emploi au syndicat Commissions ouvrières à Madrid. Elles ont peu cotisé et arrivent rapidement au bout de leurs droits. » Alors que les ONG alertent sur le fait que près de 1 million de personnes sont actuellement sans prestations, les régions multiplient les allocations d’insertion. Et les syndicats résistent à la pression du patronat qui réclame la dérégulation des licenciements afin de flexibiliser un marché du travail trop rigide, selon eux. « Trop rigide ? Un comble, alors que 800 000 personnes ont perdu leur emploi au premier trimestre 2009 », s’indigne Mari Cruz Elvira.

Cécile Thibaud, à Madrid

ALLEMAGNE

Seuls 15 % des licenciés touchent une prime de départ

Le licenciement est toujours un coup dur. Mais quand on part avec 80 000 euros en poche, un contrat dans une « société de transfert » qui offre formations et reclassement ainsi que l’assurance de toucher 90 % de son dernier salaire net pendant au moins un an (67 % sont financés par l’Agence fédérale pour l’emploi), ce peut même être pour certains un sacré coup de chance ! Ce traitement « de luxe » n’est autre que le plan social négocié pour 2 300 salariés de l’usine Nokia de Bochum, fermée en 2008 au profit d’une usine roumaine.

D’autres entreprises, comme Deutsche Telekom, Siemens ou Deutsche Bahn, ont également fait parler d’elles pour avoir adouci de vastes plans de suppressions d’emplois par des conditions de départ très honorables. De là à conclure que « l’économie sociale de marché » allemande offre de « bonnes » conditions de licenciement, il y a un pas. A priori, le cadre légal est plutôt favorable au salarié puisque, cogestion oblige, la création d’un comité d’entreprise est aisé et la pratique plus fréquente que dans d’autres pays. Le CE allemand doit être consulté avant chaque licenciement. Et, au-delà de 20 salariés, il peut imposer un plan social à la direction. Dans les faits, les conditions d’un licenciement dépendent aussi de la culture sociale de l’entreprise, de l’état de ses finances ou du niveau de pression exercé par les politiques et les syndicats. Jugée scandaleuse, la délocalisation de l’usine Nokia a ainsi été au centre du débat public pendant des semaines. Ce qui a conduit l’entreprise à accepter un plan social de 200 millions d’euros au lieu des 70 initialement proposés. Chez Karmann (4 000 à 5 000 salariés), carrossier et sous-traitant automobile légendaire, la situation est moins rose.

Manque de fonds pour la société de transfert. En difficulté depuis plusieurs années, Karmann est en cessation de paiements et a été placé en redressement judiciaire début avril 2009. Faute de fonds suffisants, la « société de transfert » annoncée pour 1 350 salariés licenciés n’a toujours pas été créée. Et une partie d’entre eux ne verra jamais l’indemnité de départ promise. Selon une étude de la Hans Böckler Stiftung, le think tank des syndicats allemands, seulement 15 % des personnes licenciées reçoivent d’ailleurs une telle indemnité qui n’est en rien obligatoire. Pour les autres, la seule aide au reclassement vient plus souvent de l’Agence fédérale pour l’emploi que de l’entreprise. L’étude rappelle enfin que le tissu économique allemand est principalement composé de PME qui n’ont pas les moyens des grands groupes.

Thomas Schnee, à Berlin

ROYAUME-UNI

Les employeurs prennent des libertés avec les procédures

En Grande-Bretagne, tout un arsenal législatif existe sur les procédures de licenciement, d’après l’Employment Rights Act 1996. Consultation obligatoire avec l’employé et le syndicat de l’entreprise, une durée de négociation qui s’allonge avec le nombre de licenciements, un préavis d’une à douze semaines, des indemnités de licenciement calculées en fonction de l’âge de l’employé, de la durée de service et de son salaire hebdomadaire, une allocation chômage forfaitaire s’élevant à 64,30 livres (72 euros) par semaine pour une durée de six mois.

Dans les faits, les employeurs prennent souvent moins de gants, et la crise économique aggrave la situation. Plus de 260 000 travailleurs ont été licenciés d’octobre à décembre 2008, selon l’Office for National Statistics, 47 000 en janvier 2009, 19 700 en février et 7 000 en mars… faisant grimper le nombre de chômeurs à 2,1 millions en avril 2009. Triste record jamais battu sous la gouvernance travailliste depuis 1997. Or des milliers de salariés ont été licenciés sans aucun respect des procédures, comme le constate le cabinet de conseil Jones & Walker. Parmi les employeurs qui se sont séparés de plus de 20 salariés, un sur cinq aurait agi de façon illégale, selon le sondage de 548 travailleurs londoniens conduit par Ipsos Mori.

Pratiques illégales. En ligne de mire, certaines banques et autres institutions de la City qui n’ont pas respecté le devoir de consultation, voulant ainsi réduire le montant des indemnités de licenciement. Certaines d’entre elles ont mis à la porte plus de 100 salariés d’un coup, par l’intermédiaire d’une simple lettre et en leur demandant de déguerpir le jour même. Dans d’autres cas, les employés se sont vu offrir de grosses indemnités de départ en échange de l’abandon de la consultation. Certains employeurs ont écourté la consultation, tandis que d’autres ont insisté pour « négocier » avec des représentants du personnel proches du management… Autant de pratiques illégales qui coûteraient cher à ces entreprises si les employés remerciés portaient plainte : jusqu’à trois mois de salaire pour chaque employé dont les droits ont été bafoués ! Or peu de travailleurs licenciés ont conscience de leurs droits – selon le même sondage, seulement 14 % d’entre eux ont cherché de l’aide auprès d’un avocat. Mais les syndicats veillent au grain et se mobilisent. Ainsi, les 610 travailleurs remerciés par le fournisseur automobile Visteon ont obtenu, en mai 2009, des indemnités de licenciement plus généreuses – le montant minimal légal plus 52 semaines de salaire, augmentées de 5,2 %. Un arrangement décidé après la grève de deux usines et la pression exercée par le puissant syndicat Unite.

Agnès Baritou, à Londres