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Vie des entreprises

1er Mai : fête du Travail… non salarié ?

Vie des entreprises | Chronique juridique | publié le : 01.05.2009 | Jean-Emmanuel Ray

Légalisation du portage salarial par la loi du 25 juin 2008, création du statut d’autoentrepreneur par la loi de modernisation de l’économie, coup de pouce aux groupements d’employeurs et sécurisation des prêts de main-d’œuvre sans but lucratif par une proposition de loi UMP soutenue par le gouvernement… Les coups de canif au CDI classique se multiplient.

Après des millénaires d’esclavage puis des siècles de servage, le salariat, fruit de la révolution industrielle, issu du tout collectif modèle unique Taylor-Ford avec son évidente subordination (tous au même endroit : l’usine ; au même moment : la sirène ; pour faire la même chose : la chaîne), serait-il une phase dépassée de notre organisation sociale à l’heure de la révolution numérique ?

Qu’il s’agisse des « co-co-pro » (contrats de collaboration à projet) italiens, des « travailleurs autonomes économiquement dépendants » espagnols, des « workers » britanniques ou des « Arbeitnehmerähnliche Person » allemands, nombre de pays semblent vouloir dépasser la summa divisio salarié subordonné/travailleur libre et indépendant. Tant il est vrai qu’il existe – et de plus en plus avec la montée des travailleurs du savoir, de l’expertise et d’Internet – des salariés extrêmement indépendants et des « travailleurs indépendants » totalement dépendants de leur donneur d’ordres.

Après la légalisation du portage salarial par la loi du 25 juin 2008 qui, aujourd’hui, se fait quelque souci avec le nouvel autoentrepreneur et ses charges sociales et fiscales light, après le rapport de Paul-Henri Antonmattei et Jean-Christophe Sciberras (« Le travailleur économiquement dépendant : quelle protection ? », décembre 2008), puis celui de Thomas Chaudron sur les tiers employeurs remis en janvier 2009 au ministre du Travail, évoquant « un flou artistique favorisant l’émergence de structures aux pratiques douteuses », la crise oblige le législateur à faire feu de toute loi pour lutter à tout prix – à n’importe quel prix ? – contre la montée du chômage. Ces rapports ont conduit huit députés UMP à présenter une proposition de loi destinée à « faciliter le maintien et la création d’emplois », qui sera examinée par la commission des Affaires sociales le 13 mai 2009 et qui devrait avoir ensuite le soutien du gouvernement. Triple but :

1° Développer les groupements d’employeurs, cette si atypique organisation au regard du modèle du CDI à temps plein dans une entreprise unique et qui, du coup, ne concerne aujourd’hui que 30 000 salariés. Un accord national interprofessionnel (ANI) ou un accord de branche, ensuite étendu, définirait les garanties que les entreprises adhérentes accorderaient aux salariés de ces groupements.

2° Sécuriser certains prêts de main-d’œuvre, la frontière entre but lucratif et titre onéreux restant d’une obscure clarté pour certains juges. Un prêt de main-d’œuvre peut faire l’objet d’une facturation pour que l’entreprise prêteuse se rembourse des salaires et des charges sociales : si un tel prêt est, certes, à titre onéreux sur le plan technique, il reste sans but lucratif puisqu’il ne rapporte rien. Sans doute a-t-il un effet positif sur les comptes de l’entreprise prêteuse. Mais, en ces temps de crise, éviter la rupture est évidemment bon à prendre. L’article L. 8241-2 du Code du travail serait donc ainsi complété : « Il n’y a pas de but lucratif dans une opération de prêt de main-d’œuvre quand l’entreprise prêteuse n’en tire pas de bénéfice. »

3° Légaliser le télétravail, qui revient à la mode entre la pollution, la soif de travailler tranquille enfin loin des collègues, mais aussi pour les entreprises déménageant tout en voulant garder leurs meilleurs collaborateurs. L’article L. 1222-9 futur obligera les entreprises à contractualiser clairement des pratiques aujourd’hui extrêmement diverses malgré l’ANI étendu de juillet 2005 : « Le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail [sic], qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur, est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon régulière et volontaire en utilisant les technologies de l’information dans le cadre d’un contrat de travail ou d’un avenant à celui-ci. »

NUIT DU 4 AOÛT POUR LE DROIT DU TRAVAIL ?

Après la loi Madelin de 1994 ayant voulu contrer la jurisprudence jugée excessivement extensive de la chambre sociale en créant la présomption de non-salariat, la loi Dutreil de 2003 a simplifié les déclarations pour créer son entreprise : guichet unique, libre détermination du capital de la SARL, fiscalité et charges sociales allégées. La loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008, enfin, a créé l’autoentrepreneur, qui a immédiatement rencontré un succès considérable (160 000 au premier trimestre 2009).

Pourquoi un tel succès ? La crise y est manifestement pour quelque chose.

1° Lorsque l’emploi salarié faiblit, il est normal que le gouvernement veuille limiter la rapide augmentation des demandeurs d’emploi. Nombre de chômeurs ayant choisi l’autoentrepreneuriat sont à l’évidence moins autoentrepreneurs qu’autoemployeurs : bref, le self employment depuis longtemps survendu en Grande-Bretagne. En ces temps de chômage, l’autogestion revient à la mode : mais il s’agit de créer son propre travail plutôt que sa propre entreprise, ce statut permettant de tester leur projet en servant de superpériode d’essai à ces self employeurs.

2° Un système juridique nouveau fonctionne d’autant mieux qu’il est en harmonie avec les mœurs de son époque. S’il y a deux ans, par exemple, le décret antitabac a fait un tabac, c’est que l’opinion était prête : en termes d’effectivité, rien de tel qu’une loi « entrée dans les mœurs ».

Les jeunes de la génération Y ont entendu parler des start-up conviviales de leurs aînés du début des années 2000, loin de la grande entreprise impersonnelle et du regard pas toujours amène du manager sur les étranges coutumes de cette tribu adulescente. Habitués depuis l’enfance à notre État de droits, ces jeunes collaborateurs ne se sentent guère subordonnés et veulent légitimement assurer un durable équilibre vie professionnelle/vie personnelle. Nés avec Internet, ces digital natives voient la subordination – et l’autorité, qu’ils n’ont jamais vraiment connue – avec une grande défiance : le travail « à distance » et l’autoentreprise leur semblent être le mariage réussi de la liberté et de l’efficacité. En commençant par des transactions sur eBay, qui compte 35 000 entrepreneurs en France, ou PriceMinister, avec 15 000 vendeurs professionnels actifs. Dans un premier temps, en effet, l’autoentreprise permettra surtout une vaste opération de blanchiment de travaux au noir ou gris foncé.

RISQUE DE REQUALIFICATION EN CONTRAT DE TRAVAIL ?

Mais le droit du travail demeurant sous le signe de l’ordre public de protection, côté donneur d’ordres, il continuait à planer le spectre de la requalification en contrat de travail, comme l’a rappelé le 13 novembre 2008 la chambre sociale de la Cour de cassation à propos d’une gaveuse de canards officiellement non salariée : « Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné. L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait [pas contrat agricole d’intégration mais de travail] dans lesquelles est exercée l’activité. »

S’agissant par exemple d’autoentrepreneurs, un futur arrêt Guégan bis (Cass. crim., 29 octobre 1985) avec sa chaîne de requalifications n’est donc pas impensable : hier salariés du bâtiment ayant démissionné pour s’inscrire comme artisans sur forte demande patronale, demain autoentrepreneurs ex-salariés licenciés pour motif économique mais continuant à travailler pour leur ex-employeur devenu leur donneur d’ordres. L’Union professionnelle des artisans est ainsi déjà montée au créneau pour signaler de curieux licenciements, voire des résiliations conventionnelles homologuées façon 2008, suivis du même travail aux mêmes conditions pour l’ex-employeur devenu donneur d’ordres de ces petits autoentrepreneurs. Il faut cependant tenir compte des seuils délibérément bas retenus par la loi : 80 000 euros de chiffre d’affaires hors taxes pour le commerce, 32 000 euros pour une activité de services.

Dans son article 11, la même loi du 4 août 2008 a donc pour la première fois défini le travailleur indépendant. Et cette définition figure aujourd’hui à l’article L. 8221-6-1 du Code… du travail : soit dans la huitième partie : « Contrôle de l’application du droit du travail », livre II : « Lutte contre le travail illégal » (!) : « Est présumé travailleur indépendant celui dont les conditions de travail sont définies exclusivement par lui-même ou par le contrat les définissant avec son donneur d’ordres. »

Comme le note la circulaire du Régime social des indépendants du 12 décembre 2008 : « L’article L. 8221-6 du Code du travail prévoyait l’application de la présomption de non-salariat au cas du travailleur indépendant ou de la société régulièrement immatriculée. La loi de modernisation de l’économie complète cette disposition en l’étendant aux personnes exerçant une activité commerciale ou artisanale qui bénéficient de la dispense d’immatriculation liée à l’autoentreprise. »

Mais, depuis la loi du 1er août 2003, demeure le menaçant article L. 8221-6-II du Code du travail : « L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordres dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci. Dans ce cas, il n’y a dissimulation d’emploi salarié que s’il est établi que le donneur d’ordres s’est soustrait intentionnellement à l’accomplissement de l’une des formalités prévues aux articles L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche, et L. 3243-2, relatif à la délivrance du bulletin de paie. »

S’agit-il d’aller vers une société postindustrielle… ou de revenir au temps des multiples ateliers à domicile, temps d’un grand barbu allemand du xixe siècle souhaitant l’extinction du salariat ?

Mais « la subordination à vie est-elle un idéal insurpassable ? » (Alain Supiot.)

FLASH
Raison d’un succès

Les raisons essentielles du succès de l’autoentrepreneur sont la simplicité et la lisibilité.

Simplicité pour fonder son entreprise : il suffit en effet d’une simple déclaration en ligne (site : www.lautoentrepreneur.fr) ou auprès du Centre de formalités des entreprises (CFE) avec état civil, coordonnées et descriptif de son activité. On obtient ainsi un numéro Siren et l’activité peut commencer.

Simplicité fiscalosociale : un seul prélèvement mensuel ou trimestriel (13 % de son chiffre d’affaires pour toute activité commerciale, 20,5 % pour une activité libérale ou 23 % pour les activités de services).

Si le revenu du foyer fiscal ne dépasse pas 25 195 euros pour une personne seule et 50 390 euros pour un couple sans enfants, versement libératoire de l’impôt sur le revenu.

L’autoentrepreneur n’est pas soumis à la TVA et bénéficie également d’une exonération de la taxe professionnelle pendant trois ans.

Une comptabilité allégée avec la tenue d’un cahier regroupant les recettes et les dépenses peut faire l’affaire. L’unique obligation réside dans la conservation de toutes les factures classées chronologiquement… Mais s’il n’existe pas de capital minimal, la responsabilité de l’exploitant est illimitée, sauf acte notarié en ce sens.

Auteur

  • Jean-Emmanuel Ray