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Idées

En période de crise, faut-il faciliter le prêt de main-d’œuvre ?

Idées | Débat | publié le : 01.05.2009 |

Le Parlement devrait examiner à la fin du mois une proposition de loi de l’UMP facilitant le prêt de main-d’œuvre. Le transfert de salariés d’entreprises en sous-activité vers d’autres en sous-effectif est-il pertinent par temps de crise ? Les réponses d’un ancien président du CJD, qui a rédigé un rapport préconisant l’assouplissement du prêt de main-d’œuvre, de la DRH de la société Soitec, qui y recourt, et d’un responsable de Force ouvrière.

Thomas Chaudron Dirigeant d’entreprise, ancien président du CJD

Plusieurs raisons doivent pousser le législateur et les partenaires sociaux à se saisir de cette question. Une raison structurelle d’abord : l’économie du XXIe siècle sera forcément différente de celle du XXe siècle, quand les bases du contrat social dans lequel nous vivons ont été jetées. Le développement d’une économie de la connaissance et de parcours professionnels saccadés doivent amener les salariés à considérer l’enrichissement et la maximisation de leurs compétences en toutes occasions comme un impératif. Une raison conjoncturelle ensuite. La possibilité pour une entreprise de mettre à disposition certains de ses salariés alors que son carnet de commandes se trouve momentanément amoindri peut être une alternative utile au chômage partiel, voire à des licenciements économiques. Ceux-ci sont autant de traumatismes et de pertes de ressources qui feront défaut quand la reprise sera là. Et une raison pratique enfin. La relation classique employeur-salarié a été tellement étudiée, négociée, étirée, rafistolée que les possibilités de développement massif de l’emploi avec cette approche sont aujourd’hui minimes. C’est en sortant du cadre et en explorant de nouvelles voies, dont le prêt de main-d’œuvre, que les gisements d’emplois pour demain sont plus sûrement à trouver.

Mais des prérequis sont nécessaires. Le premier est l’accompagnement humain. Tout en restant salariés de l’entreprise d’origine, on peut aisément imaginer que le départ, même provisoire, de personnes, avec leurs habitudes du quotidien, puisse parfois être vécu péniblement. Le second prérequis est la définition précise des besoins de l’entreprise utilisatrice ainsi que des apports des salariés identifiés. Cette démarche de maillage passe nécessairement par un travail fin ciblant les compétences recherchées et celles détenues, la capacité d’adaptation n’étant pas la moindre. Enfin, il faut définir de façon claire et précise pour l’ensemble des parties (salarié, entreprise d’origine, entreprise d’accueil) les conditions d’emploi des salariés prêtés. Et fixer la durée de la mission, son objet et les conditions d’encadrement, qui doivent au minimum être reprises dans une convention tripartite, pour garantir le bon déroulement du détachement. Employabilité, VAE, flexicurité sont autant de concepts qui laissent parfois un goût d’inachevé. L’heure ne doit plus être au débat mais à l’action. Élargir le prêt de main-d’œuvre serait une réponse concrète et utile aux enjeux de demain.

Corinne Margot DRH et directrice de la communication de Soitec

L’intérêt pour Soitec (leader mondial de fourniture de matériaux innovants destinés à l’industrie microélectronique de pointe) d’utiliser la mesure de mise à disposition de salariés est double. Applicable entre les membres du pôle de compétitivité Minalogic, dédié aux micro-nanotechnologies et au logiciel embarqué, cette mesure nous permet de maintenir localement nos salariés dans la région grenobloise. Elle leur donne la possibilité, au cours de la période prévue par la loi (applicable jusqu’au 31 décembre 2010), de continuer à développer leur expertise ou d’étendre leurs compétences. Nos salariés renforcent ainsi leur employabilité et, de notre côté, nous préservons toutes les ressources et toute la capacité d’innovation dont nous aurons besoin pour relancer notre croissance dès que la sortie de crise se fera sentir. La mesure mise en place au sein de Minalogic, premier pôle de compétitivité à avoir mis en œuvre la loi de 2006, est aussi un moyen de mutualiser et de renforcer les compétences dans le bassin d’emploi grenoblois. Ces échanges avec nos partenaires et ces transferts de compétences, notamment auprès des structures de recherche publiques, mais aussi privées, contribueront également à la dynamique d’innovation animée par le pôle de compétitivité.

Concrètement, cette mesure sera appliquée au cas par cas et nous garantissons le maintien du statut social Soitec du salarié détaché ainsi que son retour dans un emploi équivalent après la mise à disposition. Il faudra aussi, bien sûr, que la typologie respective des postes et des profils concorde avec celle de la structure partenaire, le salarié n’étant pas par ailleurs obligé de répondre favorablement à la proposition de poste. Toutes les catégories socioprofessionnelles et tous les profils peuvent être concernés chez Soitec, que ce soit les ingénieurs et cadres, les opérateurs ou les techniciens. Précisons enfin que le prêt de main-d’œuvre ne fait l’objet d’aucun bénéfice financier, tant pour les structures d’accueil que pour les structures d’origine.

Dernier point à souligner : dans l’univers de l’innovation, l’agilité, la réactivité et le time to market sont les facteurs clés du succès. C’est pourquoi une telle mesure qui introduit plus de souplesse et de réactivité est la bienvenue. Et, en tant que société innovante, nous nous devons aussi de l’être en matière de politique de ressources humaines dans l’intérêt partagé de l’entreprise et de nos salariés.

Stéphane Lardy Secrétaire confédéral Force ouvrière, responsable du secteur emploi, formation professionnelle et assurance chômage

Le rapport de Thomas Chaudron ainsi que la proposition de loi du député Jean-Frédéric Poisson ont mis en avant la nécessité d’assouplir la législation sur le prêt de main-d’œuvre. Sa libéralisation part du postulat qu’il permettrait de maintenir l’emploi, voire d’en créer, que ce sont donc les rigidités du marché du travail qui seraient un frein à l’emploi. Vieille antienne que l’on nous joue depuis bientôt trente ans. D’une part, il existe, à titre dérogatoire et temporaire, une souplesse permettant la mise à disposition de salariés dans les pôles de compétitivité. Or cette mesure ne semble pas rencontrer le succès escompté. D’autre part, les salariés de l’intérim, secteur dont l’objet même est le prêt de main-d’œuvre, ont été les premières victimes de la crise. Enfin, il serait erroné de déconnecter la question du marché du travail de toute problématique macroéconomique. Ce qui crée l’emploi, c’est la faculté de l’entrepreneur à anticiper l’évolution de son marché, mais aussi la capacité de l’État à intervenir dans le champ économique.

Cette proposition de loi pose une autre question fondamentale : la place de la relation marchande entre employeur et salarié. Le droit du travail s’est construit sur le constat de l’inégalité économique et sociale entre l’employeur et le salarié. Or le travailleur n’est pas l’objet même du contrat : c’est sa force de travail qu’il loue en contrepartie d’un salaire. Le prêt de salariés a été strictement encadré, justement parce que l’être humain n’est pas une marchandise et ne peut être, logiquement, l’objet d’un contrat commercial. Toutes les théories sur le marchandage illicite partent du même constat que l’être humain est inaliénable. Mettre de côté cette problématique essentielle, c’est ignorer ce qui caractérise le droit du travail et ce qui justifie que le travailleur bénéficie d’une protection particulière.

S’il n’est pas dans notre propos de remettre en cause la sincérité de la proposition de loi rédigée par huit parlementaires, il nous revient de pointer les enjeux des nouvelles formes d’organisation et de relation de travail qui ont vu le jour depuis vingt ans. Sortir plus forts de la crise, c’est se poser les vraies questions, comme celles des relations entre donneur d’ordres et sous-traitant, qui s’apparentent à du « cannibalisme économique et social ». C’est ce que nous attendons, d’abord, de ceux qui nous gouvernent et de ceux qui votent les lois de la République.