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Enquête

Les départs volontaires bousculent le dialogue social

Enquête | publié le : 01.05.2009 | E. B.

Plans de départs et ruptures conventionnelles ont gagné du terrain. Non sans modifier la gestion et l’accompagnement des réductions d’effectifs.

Les directeurs des ressources humaines des grandes entreprises ont trouvé la solution miracle en ces temps de crise. Fini, le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), désormais ils privilégient le plan de départs volontaires (PDV). De Renault (4 000 départs espérés) à Ernst & Young (300 départs attendus) en passant par ArcelorMittal, EADS, Capgemini ou encore le CHU de Nantes, les appels au volontariat se multiplient pour régler les problèmes de sureffectifs. Engouement identique pour les départs individuels négociés. À fin février, 53 615 ruptures conventionnelles avaient été homologuées par les DDTEFP, sur un total de 60 055 demandes déposées. Un nombre en augmentation régulière, pour un dispositif en vigueur depuis la mi-juillet.

Les réformes législatives du gouvernement pour sortir du carcan des accords collectifs commenceraient-elles à porter leurs fruits ? « Les plans de départs volontaires se sont développés avec l’essor des accords de GPEC, dont la plupart comportent une clause de mobilité externe. Ces départs volontaires font donc suite à une négociation collective initiale », tempère Jean-Luc Verreaux, directeur de la branche emploi de BPI. À l’inverse, les ruptures à l’amiable sont directement issues de la loi de modernisation du marché du travail et encouragent les salariés à se lancer dans des démarches individuelles. « Certains salariés ont pensé que cette nouvelle loi donnait le droit de négocier son départ au lieu de démissionner. Ils nous sollicitent pour des conseils et déchantent rapidement. L’entreprise propose une rupture à l’amiable uniquement pour éviter de licencier », note Marie-Christine Bruyas, déléguée syndicale CFE-CGC à Capgemini.

Le plan de départs volontaires présente aussi des avantages indéniables pour la direction. « Il permet de cibler les postes et les populations dont on veut se défaire, à l’inverse d’un PSE, dans lequel l’ordre des licenciements est imposé par le Code du travail », explique Xavier Lacoste, directeur général du groupe Altedia. À Mandeure (Doubs), Christian Pellet, DRH de Peugeot Motocycles, espère susciter 250 départs volontaires. Un quart de l’effectif total ventilé sur 180 postes d’ouvriers, 50 d’Etam et 20 de cadres. Autre avantage relevé par Jean-Marc Le Gall, consultant en stratégies sociales : « Un PDV permet de sauvegarder la réputation sociale de l’entreprise. Il est également moins traumatisant pour les services RH et les salariés qui restent. »

Le personnel de Milan Presse s’est mis en grève pour imposer un dispositif de départs volontaires au lieu du plan social

Plan social camouflé. La rupture conventionnelle offre les mêmes avantages à plus petite échelle puisqu’elle ne peut couvrir le départ de plus de neuf salariés sur trente jours. Mais cela n’empêche pas certaines entreprises d’essayer. La veille de Noël, une direction départementale du travail a vu arriver 47 conventions de rupture conclues par une banque du CAC 40. Un plan de sauvegarde de l’emploi camouflé qu’elle a immédiatement refusé. Mais impossible de savoir si la majorité des 11 288 demandes de rupture conventionnelle refusées par les DDTEFP correspond à des cas aussi suspects.

Côté salariés, la souplesse du volontariat est souvent appréciée. Fin 2008 et début 2009, le personnel de Milan Presse s’est mis deux fois en grève pour imposer un dispositif de départs volontaires au lieu du plan social classique proposé par la DRH. Finalement, ce sont les plus anciens et les bénéficiaires des salaires les plus élevés qui en ont profité. « L’ambiance en interne est très familiale. Des départs contraints auraient été vécus comme un vrai traumatisme », justifie Philippe Bonhème, élu SNJ au CE. De son côté, Frédéric Bruggeman, consultant au cabinet Amnyos, estime que le volontariat est moins brutal qu’un plan social, « à condition que l’encadrement des mesures d’accompagnement soit identique à celui d’un PSE ». La négociation est importante avec un plan de départs volontaires. Me Yasmine Tarasewicz, du cabinet Proskauer Rose LLP, n’hésite pas à affirmer que l’appel au volontariat tend à modifier la teneur du dialogue social : « Dorénavant, les élus s’intéressent plus à la qualité des mesures d’accompagnement de ceux qui partent et se battent beaucoup moins sur les motifs économiques invoqués par la direction pour justifier les réductions d’effectifs. » Mais la notion de volontariat pose problème, selon Me Franceline Lepany, avocate parisienne en droit du travail : « Les volontaires sont choisis par l’entreprise et celle-ci a moins d’obligations qu’en cas de PSE. »

Reste que le nombre de volontaires au départ montre une logique tendance à la baisse. Ainsi, entre août et décembre 2008, le groupe Scor visait entre 60 et 90 départs en France ; il en a obtenu 34. Malgré l’optimisme affiché par la direction, Renault peine à trouver les 4 000 volontaires recherchés. De son côté, Peugeot Motocycles ne recensait que 110 volontaires à quatre semaines de la fermeture des guichets départs. Malgré les forums emploi organisés dans les usines, il est de moins en moins aisé de trouver un job dans des bassins sinistrés. Fabien Gâche, délégué syndical CGT de Renault, dénonce également une pression psychologique importante pour inciter les ouvriers au départ, même sans projet professionnel concret. « La direction dépeint une situation dramatique, en faisant comprendre que ceux qui restent aujourd’hui n’ont aucune chance de bénéficier de conditions de départ aussi favorables demain. » Loïc Scoarnec, de l’association Harcèlement moral stop, abonde dans son sens. « Dans de trop nombreuses entreprises, l’arrivée de la rupture conventionnelle a accentué les pressions psychologiques pour faire partir un salarié devenu indésirable », explique-t-il. « Les “volontaires” ne prennent-ils pas la fuite pour échapper à la pression ? » s’interroge pour sa part Danièle Linhart, sociologue et directrice de recherche au CNRS. La culture du divorce à l’amiable n’a pas franchi la porte de toutes les entreprises.

Négocier son départ à la retraite

Faudra-t-il bientôt supplier les seniors de partir à la retraite ? À partir du 1er janvier 2010, il ne sera plus possible de mettre un salarié à la retraite d’office avant l’âge de 70 ans. Issue de la loi Fillon de 2003 et des lois de financement de la Sécurité sociale depuis 2007, cette nouvelle règle fait partie des mesures destinées à allonger la durée de cotisation. « Les seniors volontaires pourront travailler jusqu’à 65 ans. S’ils persistent à rester au-delà, leur entreprise devra les interroger chaque année sur leurs intentions.

À charge pour eux de décider de rester ou de prendre leur retraite », explique Patrice Plouvier, manager au cabinet Winter & Associés.

Une perspective paradoxale alors que les DRH restructurent à coups de plans de départs volontaires et que la majorité des salariés aspirent à s’arrêter de travailler à 60 ans. « Les seniors qui partent dans le cadre d’une restructuration continuent à bénéficier d’un financement de leur cotisation retraite par leur ancienne entreprise. Ils s’inscrivent aux Assedic et attendent d’avoir le nombre de trimestres suffisant pour prétendre à une retraite à taux plein », indique Alain Boyadjian, du cabinet Hewitt. Mais les mentalités évoluent. Selon une enquête CSA pour le Cercle des épargnants, 49 % des Français sont prêts à travailler jusqu’à 62 ans. Ils étaient 42 % en 2008. Si, dans la métallurgie et le BTP, les salariés sont souvent usés à l’aube de la soixantaine, les cadres des services pourraient être tentés de « faire du rab » afin d’améliorer leur pension. « Dans quelques années, le volontariat prendra de l’importance », estime Patrice Plouvier. Et de pronostiquer que les DRH souhaitant modifier la structure de leur pyramide seront obligés d’augmenter les indemnités de départ en retraite pour inciter un plus grand nombre de seniors à raccrocher…

Auteur

  • E. B.